26/02/2010
La marche à l'amour
En écho à la note de GeeBee et parce que j'aime beaucoup...
Tu as les yeux pers des champs de rosées
 tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
 la douceur du fond des brises au mois de mai
 dans les accompagnements de ma vie en friche
 avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif
 moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
 moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir
 la tête en bas comme un bison dans son destin
 la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou
 pour la conjuration de mes manitous maléfiques
 moi qui ai des yeux où ciel et mer s'influencent
 pour la réverbération de ta mort lointaine
 avec cette tache errante de chevreuil que tu as 
 tu viendras tout ensoleillée d'existence
 la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
 le corps mûri par les jardins oubliés
 où tes seins sont devenus des envoûtements
 tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras
 où tu changes comme les saisons
 je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine
 à bout de misères et à bout de démesures
 je veux te faire aimer la vie notre vie
 t'aimer fou de racines à feuilles et grave
 de jour en jour à travers nuits et gués
 de moellons nos vertus silencieuses
 je finirai bien par te rencontrer quelque part
 bon dieu!
 et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
 par le mince regard qui me reste au fond du froid
 j'affirme ô mon amour que tu existes
 je corrige notre vie 
 nous n'irons plus mourir de langueur
 à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
 des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
 les épaules baignées de vols de mouettes
 non
 j'irai te chercher nous vivrons sur la terre
 la détresse n'est pas incurable qui fait de moi
 une épave de dérision, un ballon d'indécence
 un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions profondes
 frappe l'air et le feu de mes soifs
 coule-moi dans tes mains de ciel de soie
 la tête la première pour ne plus revenir
 si ce n'est pour remonter debout à ton flanc
 nouveau venu de l'amour du monde
 constelle-moi de ton corps de voie lactée
 même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon
 une sorte de marais, une espèce de rage noire
 si je fus cabotin, concasseur de désespoir
 j'ai quand même idée farouche
 de t'aimer pour ta pureté
 de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue
 dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
 l'éclair s'épanouit dans ma chair
 je passe les poings durs au vent
 j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur
 j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle
 toi tu as la tête d'abîme douce n'est-ce pas
 la nuit de saule dans tes cheveux
 un visage enneigé de hasards et de fruits
 un regard entretenu de sources cachées
 et mille chants d'insectes dans tes veines
 et mille pluies de pétales dans tes caresses 
 tu es mon amour
 ma clameur mon bramement
 tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers
 ma danse carrée des quatre coins d'horizon
 le rouet des écheveaux de mon espoir
 tu es ma réconciliation batailleuse
 mon murmure de jours à mes cils d'abeille
 mon eau bleue de fenêtre
 dans les hauts vols de buildings
 mon amour
 de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
 tu es ma chance ouverte et mon encerclement
 à cause de toi
 mon courage est un sapin toujours vert
 et j'ai du chiendent d'achigan plein l'âme
 tu es belle de tout l'avenir épargné
 d'une frêle beauté soleilleuse contre l'ombre
 ouvre-moi tes bras que j'entre au port
 et mon corps d'amoureux viendra rouler
 sur les talus du mont Royal
 orignal, quand tu brames orignal
 coule-moi dans ta plainte osseuse
 fais-moi passer tout cabré tout empanaché
 dans ton appel et ta détermination 
 Montréal est grand comme un désordre universel
 tu es assise quelque part avec l'ombre et ton coeur
 ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
 fille dont le visage est ma route aux réverbères
 quand je plonge dans les nuits de sources
 si jamais je te rencontre fille
 après les femmes de la soif glacée
 je pleurerai te consolerai
 de tes jours sans pluies et sans quenouilles
 des circonstances de l'amour dénoué
 j'allumerai chez toi les phares de la douceur
 nous nous reposerons dans la lumière
 de toutes les mers en fleurs de manne
 puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
 tu seras heureuse fille heureuse
 d'être la femme que tu es dans mes bras
 le monde entier sera changé en toi et moi 
 la marche à l'amour s'ébruite en un voilier
 de pas voletant par les lacs de portage
 mes absolus poings
 ah violence de délices et d'aval
 j'aime
 que j'aime
 que tu t'avances
 ma ravie
 frileuse aux pieds nus sur les frimas de l'aube
 par ce temps profus d'épilobes en beauté
 sur ces grèves où l'été
 pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
 harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
 ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
 lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
 et qu'en tangage de moisson ourlée de brises
 je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
 je roule en toi
 tous les saguenays d'eau noire de ma vie
 je fais naître en toi
 les frénésies de frayères au fond du coeur d'outaouais
 puis le cri de l'engoulevent vient s'abattre dans ta gorge
 terre meuble de l'amour ton corps
 se soulève en tiges pêle-mêle
 je suis au centre du monde tel qu'il gronde en moi
 avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
 je vais jusqu'au bout des comètes de mon sang
 haletant
 harcelé de néant
 et dynamité
 de petites apocalypses
 les deux mains dans les furies dans les féeries
 ô mains
 ô poings
 comme des cogneurs de folles tendresses
mais que tu m'aimes et si tu m'aimes
 s'exhalera le froid natal de mes poumons
 le sang tournera ô grand cirque
 je sais que tout mon amour
 sera retourné comme un jardin détruit
 qu'importe je serai toujours si je suis seul
 cet homme de lisière à bramer ton nom
 éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
 mon amour ô ma plainte
 de merle-chat dans la nuit buissonneuse
 ô fou feu froid de la neige
 beau sexe léger ô ma neige
 mon amour d'éclairs lapidée
 morte
 dans le froid des plus lointaines flammes 
 puis les années m'emportent sens dessus dessous
 je m'en vais en délabre au bout de mon rouleau
 des voix murmurent les récits de ton domaine
 à part moi je me parle
 que vais-je devenir dans ma force fracassée
 ma force noire du bout de mes montagnes
 pour te voir à jamais je déporte mon regard
 je me tiens aux écoutes des sirènes
 dans la longue nuit effilée du clocher de Saint-Jacques
 et parmi ces bouts de temps qui halètent
 me voici de nouveau campé dans ta légende
 tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
 les chevaux de bois de tes rires
 tes yeux de paille et d'or
 seront toujours au fond de mon coeur
 et ils traverseront les siècles 
 je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
 lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme
 je marche à toi, je titube à toi, je bois
 à la gourde vide du sens de la vie
 à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
 à ces taloches de vent sans queue et sans tête
 je n'ai plus de visage pour l'amour
 je n'ai plus de visage pour rien de rien
 parfois je m'assois par pitié de moi
 j'ouvre mes bras à la croix des sommeils
 mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
 avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
 je n'attends pas à demain je t'attends
 je n'attends pas la fin du monde je t'attends
 dégagé de la fausse auréole de ma vie
- Gaston Miron (L'Homme Rapaillé, Montréal, l'Hexagone, 1994) -
16:48 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gaston miron, poésie, québec, montréal, art, mots, humain
 
 

 
 
Commentaires
C'est beaucoup par la dernière partie (...je marche à toi, je titube à toi....) chantée magnifiquement par Chloé Ste-Marie que mon intérêt pour Miron s'est décuplé.
Ben marci!
Écrit par : gaétan | 26/02/2010
oh oui, Chloé Ste-Marie le sent vraiment, ce poaime ; d'ailleurs je crois que c'était un de leurs amis proches à elle et Gilles Carle.
Et puis Yann Perreau la chante bien itou...
Batèche de batinse de baptême de bateau, c'est ça de la poésie pure !
Bonne fin de journée Blue
Écrit par : raynette | 26/02/2010
http://www.youtube.com/watch?v=snMblLLJcy4
non c'est pas JP le linkeux, c'est moi, maikeresse !
Écrit par : raynette | 26/02/2010
Thanks et mille fois dame Rainette...
Kiss.
Blue
Écrit par : helenablue | 26/02/2010
Ce poème , je le trouve plus encore et plus que tout!
Écrit par : helenablue | 26/02/2010
seulement que cette phrase : "je marche à toi je titube à toi" suffit à me faire capoter !
Écrit par : raynette | 26/02/2010
Moi aussi!
Écrit par : helenablue | 26/02/2010
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