09/09/2012
La Casa Musica de La Habana
Le spectacle devait commencer à neuf heures du soir et nous étions un peu à l'avance parce que Marlen avait tenu à nous accompagner, elle n’aime pas sortir le soir seule dans son quartier et voulait être sûre que nous ne courions aucun danger. Vu le nombre de gardiens et d’hommes de sécurité, il n’y avait pas à s’en faire. Nous nous sommes assis à une petite table au milieu de la grande salle sombre en sirotant notre récurent mojito et nous avons assisté à l’installation de la scène au milieu des ingénieurs du son. La salle s’est remplie progressivement. Des couples d’amoureux, des groupes d’amis, une bande de vénézuéliennes complètement en transe, sans doute ravies d’être là et quelques hommes seuls disséminés de ci-de là. Les gros caissons noirs de chaque côté de l’estrade envoyait un son épouvantable, à un point tel qu’il n’était pas possible d’apprécier la musique diffusée. J'espèrais que cela allait changer une fois le groupe en piste. De plus en plus l’ambiance chauffait, certains se mettaient à danser près de leur table, d’autres trinquaient et se réjouissaient d’être là. Mais le spectacle le plus édifiant qui au début m’avait mise mal à l’aise était le défilé de plus en plus consistant de jeunes femmes toutes tirées à quatre épingles, maquillées, perchées sur des talons invraisemblables, moulées dans des petites robes trois trous à la Jackie Kennedy, les mains impeccablement manucurées tenant une pochette oblongue scintillante. Elles passaient et repassaient, se déhanchant et lançant des œillades à la volée. Elles m'évoquaient une présentation de Paule Ka avec leurs coupes de cheveux toutes identiques, lissés et remontés en chignons savamment décoiffés. Si jeunes. Tellement jeunes. Des lolitas, jeunes femmes jouant à être femme pour aiguiser les appétits masculins. Aucun homme célibataire ne le restait longtemps. Elles l’approchaient à deux ou trois, souvent une blonde, une brune, une entre-deux, comme pour proposer un choix à leur proie et même parfois l’une d’elle se levait pour aller en chercher une quatrième sentant que celle-ci qui avait tapé dans l’œil du coquin. Juste avant que le concert ne soit lancé, des bandes de copains firent leur entrée. Manifestement, ces hommes avaient leurs habitudes, et venaient sans état d’âme cueillir une fleur pour agrémenter leur soirée. A la table à ma droite étaient assis trois couples de cubains et cubaines venus pour apprécier la musique, ou tenter de le faire. Mon voisin le plus proche me regardait d’un air dépité chaque fois qu’un gars repartait avec une de ces jeunes filles sous le bras. Je pensais : « ça pourrait être sa fille ! » Et lui semblait se dire : « Elle doit penser que ça pourrait être ma fille ! ». La musique d’un coup est venue s’abattre sur nous coupant court à nos émotions. Et j’aime trop la musique pour pouvoir l’entendre dans de telles conditions, je me suis demandée d’ailleurs de quoi les tympans des cubains étaient faits pour pouvoir le supporter. Et puis, surtout, je commençais à avoir trop mal au cœur de voir tout ce gâchis, toute cette jeunesse qui n’a comme seule issue que l’usage de son corps. Je suis repartie de la casa musica de la Habana, ivre et triste. Une image de Cuba loin des couleurs, des lumières et de la poésie que je m'étais écrite jusque là.
12:33 Publié dans art de vivre, écriture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : écriture, art de vivre, cuba, la havane, émotion, partage, humain
Commentaires
Bin oui, la vie c'est ça aussi ; les latins n'ont certes pas le même rapport au corps que nous....
Écrit par : anne des ocreries | 10/09/2012
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