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27/09/2012

Une autre extraordinaire journée ordinaire -1-

Pas le temps cette fois  de faire dans la dentelle. Je me suis levée à l’heure où je devais être au magasin. Pas question de trainasser, de méditer, de tergiverser. Il me faut être efficace et rapide. Je saisis un jean, un pull col V noir, une paire de bottes et mon écharpe doudou en cachemire et soie d’un ton subtil taupé. Vite fait un petit coup de pinceau et de rouge sur ma face encore endormie, un brossage intense de mon blond vénitien et me voilà après une tasse de thé avalée d’un seul coup prête à partir. Je perds quelques précieuses minutes à chercher ma voiture que j’ai garée je ne sais où. Je ne m’explique pas cette résistance que j’ai à me souvenir de l’endroit où je la mets. Et me voilà en route pour de nouvelles aventures. Jamais savoir de quoi va être fait la journée. C’est un bon exercice de lâcher-prise. Un disque qui ne m’appartient pas raisonne dans l’habitacle, j’écoute distraitement et puis d’un seul coup arrive une chanson qui m’émeut davantage. Je la remets une deuxième fois un peu plus fort et une troisième pour cette fois complètement m’immerger dedans.

 

J'écris sur ce que j'endure

Les petites morts, sur les blessures

J'écris ma peur

Mon manque d'amour

J'écris du court

Mais c'est toujours

 

Sur ce que je n'ai pas pu dire

Pas pu vivre, pas su retenir

J'écris en vers

Et contre tous

C'est toujours l'enfer

Qui me pousse

 

A jeter l'encre sur le papier

La faute sur ceux qui m'ont laissée

Ecrire, c'est toujours reculer

L'instant où tout s'est écroulé

 

On n'écrit pas

Sur ce qu'on aime

Sur ce qui ne pose pas

Problème

Voilà pourquoi

Je n'écris pas

Sur toi

Rassure-toi

 

J'écris sur ce qui me blesse

La liste des forces qu'il me reste

Mes kilomètres de vie manquée

De mal en prose, de vers brisés

 

J'écris comme on miaule sous la lune

Dans la nuit, je trempe ma plume

J'écris l'abcès

J'écris l'absent

J'écris la pluie

Pas le beau temps

 

J'écris ce qui ne se dit pas

Sur les murs, j'écris sur les toits

Ecrire, c'est toujours revenir

A ceux qui nous ont fait partir

 

On n'écrit pas qu'on manque de rien

Qu'on est heureux, que tout va bien

Voilà pourquoi

Je n'écris pas

Sur toi

Rassure-toi

 

J'écris quand j'ai mal aux autres

Quand ma peine ressemble à la votre

Quand le monde me fait le gros dos

Je lui fais porter le chapeau

 

J'écris le blues indélébile

Ça me paraît moins difficile

De dire à tous plutôt qu'à un

Et d'avoir le mot de la fin

 

Il faut qu'elle soit partie déjà

Pour écrire " ne me quitte pas "

Qu'ils ne vivent plus sous le même toit

Pour qu'il vienne lui dire qu'il s'en va

 

On n'écrit pas la chance qu'on a

Pas de chanson d'amour quand on en a

Voilà pourquoi, mon amour

Je n'écris rien

Sur toi

Rassure-toi

 

 

Quel beau texte, quelle correspondance avec ce que je ressens, j’en suis toute retournée. Je me demande qui chante, cette voix , je la connais. Enfin Rue Basse, j’ouvre la boutique avec un bon vingt minutes de retard. Mes clientes le savent, c’est sans doute pour cela que c’est plus calme le matin. Un truc étonnant dans le commerce c’est ce temps, ce temps à attendre et puis souvent d’un seul coup tout le monde qui arrive en même temps. A croire que beaucoup d’entre nous ont la même horloge biologique. J’ai avec moi L’insatiable Homme-Araignée dès fois que je trouve le temps de bouquiner. J’attaque par les vitrines. La nuit j’en ai rêvé. Je reproduis ce qui m’est apparu. C’est beau. J’aime. J’espère que ça va plaire. Un doux mélange de matières et de formes qui inspirent la douceur et la féminité. De la non-couleur. De l’enveloppement. Une certaine façon de penser la mode. Confortable et élégante. Satie envahit l’espace. C’est une gymnopédie. Ma première cliente de la journée entre :

 

-       Oh ! Vous êtes là ?

-       Oui. Comme vous pouvez le constater, je suis là…

-       J’adore votre vitrine, elle est de toute beauté, ce gilet… il m’a fait de l’œil !

-       Vous voulez le passer ?

-       Oui, c’est une folie, mais oui… Ici c’est dangereux de franchir la porte ! Trop de tentations !

-       Bah ! On n’a qu’une vie, non ?

-       Allez dire ça à mon banquier !

       

Elle essaye le fameux gilet qui lui va à merveille. Je le savais, elle le savait. Il était pour elle. Quand je l’avais commandé huit mois plus tôt, j’avais justement pensé à elle. Bingo. C’est réussi. Elle repart plus légère et en sortant ouvre la porte à Madame Dauberville qui a une petite mine, je trouve, elle d’habitude si pimpante.

 

-       Bonjour Madame Dauberville, ça n’a pas l’air d’aller fort ce matin ?

-       Non, c’est pas terrible. J’ai été opérée fin Août, c’est pour cela que vous ne m’avez pas vu jusqu’à aujourd’hui. Je viens d’avoir les résultats. C’est pas génial…

-       Hum…

-       Je vais quand même devoir faire de la chimio… Je suis effrayée à cette idée !

-       Vous allez y arriver, vous êtes une battante !

-       Oui, Blue, vous avez raison, je suis une battante mais là, j’en ai les jambes coupées.

-       Et si nous parlions de futilités, je vais vous montrer ce que j’ai reçu pour vous, histoire de vous changer les idées, qu’en pensez-vous ?

-       Oui, c’est exactement ce dont j’ai besoin, montrez-moi, voulez-vous, Blue !

 

Je lui montre alors des petites choses comme elle aime. Elle n’est pas très grande et tous les petits volumes un peu près du corps lui vont bien, je l’habille depuis plus de cinq ans, je connais son corps par cœur. Je lui fait essayer un petit twin-set en mérinos et soie black blue avec un pantalon droit en flanelle grise, je lui pose un collier de minuscules perles grises amaties autour du cou et lui passe une veste en faille de soie bleu nuit qui pourra lui servir de petit imper élégant. Elle me sourit, heureuse de l’image que lui renvoie le miroir. Elle ne pense plus à son cancer du sein. A la caisse elle m’embrasse, me promet de me donner de ses nouvelles, me remercie du courage que je lui ai donné alors que je l’ai juste aidée à le trouver en elle et disparaît en plein milieu d’un morceau de jazz expérimental de ce nouvel artiste que je viens de découvrir Palle Danielsson, contrebassiste de grand talent qui m’enchante.

Je me prépare à fermer, je déjeune ce midi avec mon amie Anne qui sculpte et qui surtout à un grand besoin de me raconter ses nouvelles péripéties sexuelles. Faut dire qu’elles sont toujours d’un tel incroyable que chaque fois je me dis que la réalité dépasse la fiction.  La concernant, c’est vraiment peu dire ! Elle arrive en trombe, toujours à courir et après avoir mis un petit mot sur la porte de la boutique : «  Je reviens à 14 heures, à très vite », nous allons déjeuner à l’Orange bleue. La cuisine y est simple, délicieuse et l’endroit est plein de poésie propice aux confidences et autres diableries.

Anne est déchainée, elle a tellement besoin de parler qu’elle en oublie de manger. Je l’écoute en dégustant mon carpaccio de bœuf-frites.

 

-       Je me suis encore fourrée dans une histoire pas possible, tu sais Blue !

-       Ah, tu m’étonnes !

        

On se sourit d’un air entendu.

 

-       Je crois qu’une fois de plus je ne me suis pas rendue compte ! Tu crois que je suis anormale ? Pourquoi est-ce que j’ai ces pulsions que je ne peux contrôler ? Pourquoi je ne peux pas vivre sans être pénétrée ? Tu te rends compte, j’ai maintenant trois amants et je n’arrive pas à gérer…

-       Euh ! En même temps ?

-       Non, tout de même. Quoique ça ne me déplairait pas, c’est une idée…

 

Elle se tait une minute et rêvasse à cette idée.

 

-       Là, je me suis retrouvée dans une histoire de dingue. Une de mes amies m’a invitée à faire l’amour avec elle et un de mes amants que j’adore depuis longtemps. Nous avons fait cela tranquillement à trois, c’était plutôt bien, mais depuis, figure-toi, alors qu’ils m’avaient juré l’un et l’autre de ne jamais le faire sans moi, ben ils sont toujours l’un avec l’autre et je n’existe plus ni pour l’un ni pour l’autre, ça me fait un mal de chien, tu n’as pas idée. Je ne mange plus, je ne dors plus, je suis comme devenue folle. J’ai le sentiment d’avoir été utilisée comme un objet, suis terrassée. Qu’est ce que t’en penses ?

-       Depuis que je te connais, tu as toujours été confrontée à ce sentiment d’être un objet. Ce que j’en pense, tu le sais bien, toi seule sait pourquoi il faut toujours que tu reproduises les mêmes schémas, les mêmes erreurs, pourquoi tu fais ton propre malheur ? Tu vas me dire que c’est plus fort que toi. Et je vais te dire que tu peux agir dessus mais que je n’ai pas la recette miracle pour toi. Seulement, je n’aime pas te voir souffrir, te voir dans cet état là parce que les choses t’échappent. Ne cois-tu pas qu’aller au-devant de toi, pourrais t’être profitable ?

-       J’ai essayé, j’ai tout essayé. Je dois être maudite !

-       Nan, nan, arrête de dire des conneries ! Quelque chose en toi tente de se dire, essaie d’entendre. Parle à ton homme, dis lui que tu souffres, demande lui de l’aide, c’est ton meilleur ami, non ?

-       Oui. Il a une patience infinie avec moi et il m’aime. Mais lui parler de ça, Blue, c’est trop la honte !

-       C’est certain que ça n’est pas facile, mais vous vivez ensemble de puis plus de trente ans, vous vous connaissez bien l’un et l’autre et il ne t’a jamais laissé tomber. Il doit bien sentir que tu souffres et doit avoir envie de t’aider sauf qu’il ne sait pas par quel bout prendre le problème, tu ne crois pas ?

-       Si, tout à fait, je vois bien qu’Alain cherche à m’aider, mais je n’arrive pas à lui parler de ces démons qui me démangent, tu sais... comment tu dis déjà... ce Hyde en moi !

-       Tu peux le faire. Tu peux intervenir. Quand changer te fera moins peur que souffrir…

Anne prend un café gourmand. Elle boit le café et je mange la mousse au spéculoos, le mini-tiramisu et la barre de chocolat. Je suis obligée d’écourter notre conversation, l ‘heure tourne et je ne peux me permettre d’être en retard une deuxième fois. D’un commun accord on se donne rendez-vous la semaine prochaine, même endroit, même heure. Elle me serre dans ses bras, je la réconforte. On dirait un moineau crevé tant elle est maigrichonne. On s’embrasse et on se quitte sur le trottoir. Je retourne à ma base, le cœur un peu défait...

 

Commentaires

j'ai aimé ce récit qui parle comme si on y était...J'espère qu'un jour tu nous montreras une image de ta vitrine
Moi, en ce moment, j'expose sur un blog mes objets anciens de mon univers terrestre qui sont un peu comme tes contacts ne serait-ce que pour les faire vivre encore un peu dans leur curiosité de l'éphémère...
http://mesobjetscurios.canalblog.com/

Écrit par : alex | 27/09/2012

:-)
la plume qui démange... un journée presque entière chez Blue. J' en redemande !

Écrit par : lorka | 27/09/2012

j'aime bien apprendre un peu de ta vie, Blue, merci de ce cadeau....

Écrit par : anne des ocreries | 28/09/2012

Rassure-moi, ton imagination écrit bien, elle n'existe pas ta copine de déjeuner ?

Écrit par : Claudio | 28/09/2012

@ alex:

Bientôt tu pourras voir toutes mes vitrines, je suis entrain de faire mon site pro et je vais y inclure un blog, comme cela tu pourras suivre sans soucis si tu le désires toute mon activité!!

Écrit par : helenablue | 28/09/2012

@ Laure:

Oui, c'est tout à fait ça, une démangeaison... Bientôt la fin de la journée en cours d'élaboration, avec des surprises à l'horizon!

Écrit par : helenablue | 28/09/2012

@ Anne:

My pleasure. Touchée que tu aimes me lire...

Écrit par : helenablue | 28/09/2012

@ Claudio:

Ben... c'est que... pour être tout à fait honnête...je la vois encore ce midi!

Écrit par : helenablue | 28/09/2012

Les commentaires sont fermés.