15/06/2011
Une extraordinaire journée ordinaire (midi)
Ah! Malgré un calme olympien dans les rues de la ville suite à ce long week-end de Pentecôte qui a perturbé comme chaque fois les emplois du temps de tout à chacun, à peine avais-je repris mes esprits qu'une petite dame plutôt timide est entrée. C'est fou comme un rien déclenche des effets secondaires d'importance: les jours fériés, les matchs de football, les élections en tout genre la présidentielle tenant le pompon, les hauts et bas de la bourse, la météo! ça plus que tout, et les news particulières comme celle de ces temps derniers avec le show télévisuel non prévu de l'ex-président du FMI, un rien change la donne et on ne sait plus en venant le matin si on va voir âme qui vive. A mon habitude je la laisse prendre tranquillement ses marques et s'imprégner doucement de l'atmosphère et puis je lui demande si je peux faire quelque chose pour elle, avec une insistance particulière teintée d'empathie, j'avais le sentiment étrange qu'elle était désespérée.
- Je marie ma fille Samedi et je n'ai rien à me mettre!
- Oh! Effectivement, on peut dire qu'il est moins une!
J'appuie ma phrase d'un sourire chaleureux l'invitant à poursuivre.
- C'est que, c'est mon mari... J'avais trouvé à Paris une robe, jolie. Je l'ai choisie avec ma fille, celle qui se marie, parce que j'en ai deux autres derrière et puis un fils aussi.
.
Je l'encourage du regard, celui que je m'étais donné tant de peine à fignoler le matin.
.
- Il n'aime pas! Il m'a dit que j'étais tarte dedans et m'a enjointe d'en trouver une autre et surtout d'une autre couleur!
- Comment est-elle?
- Quoi?
- La robe?
- Elle est nude.
- Hum, il a du trouver ça fade...
- Fadasse, a-t-il dit.
- C'est pire!
- C'est pire, en effet. Lui il est en costume blanc, le jour du mariage de sa fille, tout ce qu'il a trouvé c'est un costume blanc, on va croire que c'est son mariage à lui!
- Bon, revenons à la robe..
Je sais par expérience qu'il faut éviter d'entrer dans les conflits de couple et qu'il ne faut pas encourager une femme à dire du mal de son mari, surtout quand elle est blessée comme l'était cette dame, là tout peut y passer et on a droit à moult détails en tout genre. Et surtout, je ne me sentais pas d'attaque à recevoir là, à froid, ce genre de volée.
- Comment la voyez-vous, vous, puisque le beige rosé couleur chair ne lui convient pas?
- Noire.
- Noire?
- Noire.
Rare, très rare, extrêmement rare qu'une maman de mariée veuille bien être en noir!
- Vous êtes sûre?
- Parfaitement certaine. Je suis allée à un mariage ce week-end, la personne la plus élégante était en noir de la tête aux pieds! Avez-vous des enfants?
- Oui, des fils!
- Si l'un d'entre eux se marie, comment vous habillerez-vous?
Diable! Je passe mon temps à conseiller des femmes sur ce qui pourrait leur aller de mieux en fonction de leur physique et du contexte et voilà que cette petite dame là à brûle-pourpoint me renvoie une question à laquelle je n'avais jusqu'alors pas encore songé me concernant. Spontanément je lui réponds:
- En noir, je suppose!
- Ben moi aussi, je veux être en noir, au moins ça ne sera pas " fadasse"!
Elle n'avait manifestement pas digéré le fameux mot, son homme avait fait mouche et plus qu'il ne devait l'avoir désiré!
Je lui ai trouvé une sublime robe, longue, noire, fluide, féminine. Une robe qui bouge bien et dans laquelle elle s'est sentie tout de suite divine et aérienne, à l'aise, elle-même. Le décolleté invitait une étole, je lui ai donc déposé sur les épaules une création de toute beauté d'une italienne dont j'apprécie particulièrement le travail toute en finesse et raffinement. Une pièce de tissu peinte à la main dans des dégradés de gris bleu et d'anthracite, doublée d'une soie blanche meringuée. Elle était éblouissante comme un astre et semblait d'un seul coup, comme par enchantement, réconciliée avec la vie et avec son homme! J'étais aussi heureuse qu'elle, je crois! Après quelques autres petits conseils d'usage sur les chaussures à mettre, la coiffure à faire et autres petits détails, elle est repartie le sourire épanoui. J'étais sereine.
Je me disais déjà que ma foi la journée risquait fort bien d'être moins terrible que je l'appréhendais, qu'elle démarrait plutôt bien et que c'était bon signe. On est bête parfois, et même avec plus de bouteille, on le reste. Pourtant ça n'est pas faute d'en avoir vu... des journées. Certaines commençant bien et finissant en eau de boudin, d'autres dans le conflit pour se terminer dans l'euphorie et puis tant d'autres aussi où s'il on y prenait pas garde, on les nommerait "sans rien à signaler!"
J'ai vite déchanté, celle qui a poussé ma porte pendant que je dégustais l'expérience optimale du début de matinée risquait bien de faire basculer mon humeur si je ne prenais pas garde! Parce que dans le genre casse-ovaires, on peut vraiment pas trouver mieux, sauf peut-être les jours de pleine lune! Ah là,là! Rien que de la voir pointer son museau à la vitrine, j'étais déjà stressée! C'est une vieille peau, rabougrie, rassie par la vie, humiliante, fielleuse, prétentieuse, sachant tout sur tout et surtout mieux que quiconque. Une antiquaire à la retraite, veuve, pas d'enfant. Elle peut pas faire autrement, faut qu'elle critique, qu'elle décortique, qu'elle fouille. Ayant vu le paquet sortir devant elle, sans même me dire le bonjour d'usage elle m'assène un:
- Elle a trouvé quelque chose chez vous, cette dame?
Mais de quoi tu te mêles espèce de vipère à perruque, hein, en quoi la vie de cette femme intervient dans la tienne, qu'est ce que tu veut encore savoir que tu ne saches déjà! Lâche-moi, tu veux, viens pas foutre ma journée en l'air avec ton air de deux airs.
- Oui, et sans problème, je vous dis pas comment elle était magnifique! Resplendissante!
Je sais qu'il en faut davantage pour l'abattre ou pour juste l'arrêter, mais bon je voulais juste lui faire comprendre que c'était un jour sans!
- Ah Bon! Je me demande bien comment elle fait pour pouvoir être belle, franchement, elle ne ressemble à rien. Vous devez être sorcière!
- Ah? Vous l'ignoriez? lui-dis-je dans un large sourire tout en pensant "pas tant que toi bougresse!"
Elle s'est tue. Elle a fait un tour rapide au milieu des portants, vexée, rabâchant je ne sais quoi dans ses babines et est repartie en me décochant un oeil plus noir que la robe que je venais de vendre qui, loin de me glacer m'a rasséréné.
Ouf! la journée pouvait donc reprendre son cours tranquille et vivifiant.
L'heure avait tourné et j'avais promis à mon homme de rentrer déjeuner. Re-belote la voiture noire vers la maison pour un petit frichti en amoureux. Melon et prosciutto, salade de tomates mozarella et puis un petit coup de jaja, faut pas se laisser abattre, il y a encore cinq bonnes heures à faire et Dieu seul sait peut-être ce qu'il peut encore arriver...
08:01 Publié dans art de vivre, fragments | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : art de vivre, fragment écriture, journée, partage, humain