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13/05/2013

petite robe noire

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- Photo Gérard Uféras - Jean-Paul Gaultier, haute couture, Paris 1999 -



Très tôt les femmes apprennent qu'il faut une petite robe noire dans leur dressing, que c'est un incontournable indispensable, la non-faute de goût par excellence. J'ai la mienne, moi aussi. Elle n'est pas une robe noire ordinaire, elle n'est plus toute jeune et commence sérieusement à être usée et trouée de-ci de-là: au creux du dos, sur l'avant-bras et, en bas, au niveau des cuisses elle semble avoir été mangée par une armée d'infimes bestioles affamées, leur passage ayant laissé une sorte de dentelle, gruyère de vide au milieu du jersey sombre laissant ainsi la peau appraraître en légère transparence.

J'aime cette robe, je n'ai qu'une seule trouille c'est qu'elle lâche aux entournures et craque aux coutures. Douce comme la soie, sensuelle, fendue, décolleté juste ce qu'il faut pour laisser deviner la naissance des seins, un rechampi de dentelle noire dans le V de l'endroit et un petit noeud discret finissant l'arrondi, elle m'est plus que précieuse. J'étais triste ces temps derniers, je l'avais égarée, impossible de me souvenir où elle était rangée. J'ai déterré de mes placards d'autres substituts pour la remplacer mais impossible d'avoir cette même sensation de confort, de présence, de chaleur qu'avec elle.

Elle a fait bien des voyages, elle a bourlingué, du Bunker à Montréal où j'ai failli mettre le feu, des sables du Brésil, de la chaleur torride de l'Andalousie, de la clémente démence d'une nuit vénitienne aimante à de folles nuits parisiennes ou plus sereines sur la côte Alamafitaine. Elle porte tous les parfums qu'un corps secrète, toutes les odeurs de l'amour et de la tristesse, de la joie, du désespoir, des rêves les plus déments. Elle agit quand je l'enfile comme un philtre et j'ai parfois bien du mal à la quitter pour aller travailller.

Je n'écris pas sans elle, bien incapable d'écrire autrement que dans mon jus de nuit. Je ne petit-déjeune pas sans l'avoir enveloppée d'un châle ou d'un vieux pull mité et je dors bien mieux quand je l'ai sur moi. Je suis heureuse de l'avoir enfin retrouvée au fond d'une valise entre Vamp, John Fante et Rien à me mettre, le vêtement plaisir et supplice. Heureuse d'avoir passé ma nuit avec elle malgré son odeur de renfermé et comblée d'avoir pu démarrer cette journée en me lovant dans son coton raffiné.

Depuis dix longues années, notre histoire d'amour dure, depuis dix longues années elle caresse mon corps, me réchauffe, me protège. Ele sait quand j'ai mal, elle sait quand je désire, elle connait tout de mes mains qui cherchent à m'offrir du plaisir. Nous avons cuisiné ensemble des dizaines de fois ma purée du Dimanche, mon tiramisu, mes poulets façon Blue. Elle adore la musique, elle tremble la première sur les chansons de Michel Legrand, Bob Dylan, Barbara ou Christophe et sur les notes de Schubert, Bach, Chopin, ou Mendelsohn. Elle est devenue avec le temps experte en film d'auteurs et en thrillers. Elle aime l'odeur des livres, du sexe et des souvenirs. Jamais je n'aurais pensé qu'une robe puisse avoir une telle valeur, pour moi. S'il faut un jour que je meure, et il le faudra bien, même si je ne suis pas trop pressée, j'aimerais qu'elle soit mon suaire et faire avec elle mon dernier voyage. J'aimerais que celle qui aura escorté une grande partie de mes nuits m'accompagne et une dernière fois me tienne dans ses fibres encre de chine.

Petite robe noire de nuit...