03/07/2009
Joëlle
Elle est arrivée souriante et posée comme à son habitude, toujours vu comme ça depuis des années que l'on se connaît, jamais un mot plus haut que l'autre calme et attentive. Là pourtant j'ai senti une petite différence infime dans le regard derrière ses lunettes design la question habituelle bonjour comment ça va et la fêlure, le vernis qui craque et je découvre ma Joëlle en larmes effondrée prête à hurler de douleur, je la prends dans mes bras ne dis rien laisse mugir renifler et couler les larmes. Puis elle me dit dans un hoquet et du bout des lèvres, j'ai un cancer, je viens de l'apprendre, la merde! Infirmière dans le milieu psychiatrique toute sa vie à s'occuper des autres et non des plus faciles elle venait de prendre sa retraite après tant d'années de bons et loyaux services, une mammographie tous les ans due à des antécédents familiaux, sa soeur sa maman aussi ils lui découvrent un ganglion, bénin mais bon vaut mieux s'en débarrasser, on l'opère une première fois on envoie aux analyses attente retour pas joli on réopère pour en prendre davantage rebelote re retour et une nouvelle opération là on enlève plus que les cellules souches c'est mauvais. Pas bavard le chirurgien, c'est dur je sais j'ai eu le même, je lui dit il fait bien son travail c'est l'essentiel même si au fond c'est vrai je ne le pense pas tout à fait, j'ai remarqué pour y avoir eu droit à quel point ils ne paraissent pas en relation avec l'humain derrière le malade, dommage. Chimiothérapie le mot qui fait peur et puis la cicatrice et peut-être davantage forcément l'esprit gambade et la souffrance elle, s'insinue la peur aussi. Je connais Joëlle depuis plus de vingt ans, je ne l'ai jamais vu se plaindre, une seule fois il y a longtemps elle m'a parlé de son regret de ne pas avoir eu d'enfant, non pas qu'elle n'avait pas un père potentiel avec qui elle vit toujours mais je n'ai jamais vraiment su la raison pudique réservée tranquille, je m'efforçais de trouver les mots apaisants et justes, toujours pas facile, saleté de crabe. Saloperie!
08:38 Publié dans pensée du moment | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : amitié, état d'âme, relation, cancer
Commentaires
Un texte sensible et pudique ..c'est vrai que c'est bien dificil e de trouver les mots Et je suis certaine que tu as dû trouvé ceux qui sont jutes ... oui saloperie de crabe ...et comme on se sent impuissant, révolté .. devant ceux qu'on aime et qui en sont touchés
Bises à toi
Écrit par : lyse | 03/07/2009
Le sujet est "délicat" mais les mots que tu trouves, Blue, sont remplis de tendresse pour ton amie... J'aime.
Écrit par : Marie | 03/07/2009
Alors, moi aussi, j'écrirai pour elle... pour essayer de préserver son sourire.
Écrit par : J.Earthwood | 03/07/2009
Les mots parfois ...des gestes...une sorte d'engagement...le geste du mot...
Écrit par : laurence | 03/07/2009
Ton texte est beau par la tendresse et l'admiration qu'on sent que tu portes à ton amie...
Mais c'est vrai: quelle saloperie ce crabe!!!
Écrit par : Coumarine | 03/07/2009
tes mots sont apaissants, c'est vrai et surtout ton silence pour laisser mugir toute la douleur ! Misère ! Saloperie en effet ! Le choc quand tu viens de l'apprendre, ouf !
"tu fais bien ça" Héléna, de grandes qualités d'écoute et d'empathie.
bises et tentative de réconfort
Écrit par : rainette | 03/07/2009
Joëlle, qu'elle s'occupe d'elle, autant qu'elle s'est occupée des autres, que toutes ses saines énergies lui reviennent dans un mouvement boomerang.
Tu sais, j'aimerais que tous les soignants soient empathiques et attentionnés, mais ils s'occupent tant des maux qu'ils s'obligent, parfois, à se tenir loin des mots. Ça dépend de leur caractère, bien sûr, mais une connaissance médecin m'a déjà dit, m'ouvrir à la souffrance de l'autre, je deviendrais fou.
Amitié,
Écrit par : Venise | 03/07/2009
Merci à vous tous.
Je sais, Venise, et je reconnais que ton ami médecin n'a pas tort dans l'absolu, j'ai commencé par des études de médecine, les deux premières années, et j'ai eu l'occasion d'y faire un stage de deux mois aux urgences, j'avoue cela a été formateur, pourtant ça remonte à plus de 25 ans néanmoins sans forcément rentrer dans la souffrance des gens, un sourire, un mot, un geste parfois simple réconforte et apaise.
J'ai vécu aussi de l'autre côté, dans le lit d'hôpital rongée par l'angoisse et la douleur après une opération lourde de sens et de conséquence, et j'ai été beaucoup plus soutenue par le personnel soignant que par le chirurgien je conçois la difficulté et l'énergie et la concentration que cela demande mais leur pouvoir peut d'un mot alléger, souvent cela leur est difficile, je ne parle pas des médecins mais spécifiquement de ce corps d'élite. Mais probable que cela va de pair et qu'ils peuvent bien faire leur travail avec cette distanciation émotionnelle... je ne porte pas de jugement, probable néanmoins que pour quelqu'un qui s'est dévouée aux autres dans ce cadre précisément elle soit dans une attente plus implicite et que si elle m'en a parlé en priorité en s'interrogeant c'est qu'elle en avait souffert.
Écrit par : helenablue | 03/07/2009
si tu n'aimes pas les crabes, ou que t'aimes bien les écrabouiller, tu devrais lire "la route de los angeles" de john fante. y'a un chapitre tout entier consacré à l'extermination d'une population entière de crabe sur la plage, à la carabine à plomb. un vrai régal! vive arturo bandini !!!
Écrit par : Mr Clean | 03/07/2009
Hum, Mr Clean, sans doute as-tu en commun avec John Fante le goût de l'excés et de la provocation qui donne tant ce sentiment parfois d'être vivant et de ne pas banaliser le train train de la vie, là où d'autres gosses font ce qu'on leur dit lorsqu'on leur demande de ne pas s'approcher de la fenêtre, Fante saute.
Je n'ai rien contre les crabes en soi, même s'ils ne m'attire pas particulièrement, disons que je les méconnais, là c'est de cancer dont je parle, sujet qui ne se traite pas à coup de carabine à plomb mais sans doute de manière plus violemment subtile, à mon sens.
Je ne suis pas sûre que cela puisse t'interpeller, mais je ne suis pas sûre qu'on puisse trouver toutes les réponses dans le dénigrement, le cynisme, ou le chaos.
Néanmoins , c'est une souffrance possible qui ronge et effraie, mais il en est d'autre, le " crabe " peut aussi prendre des formes plus sentimentales ou psychiques, il reste que le cancer a une sorte d'implacabilité assez effrayante, j'ai perdu des gens chers et de manière foudroyante par cette maladie, et ma foi ça ne me fait pas franchement rire.
J'en suis pas capable, et je n'y tiens pas.
Je n'ai pas le goût de l'extermination, suis pas terminator dans l'âme, pas du tout. J'essaie de comprendre l'autre, et de l'entendre et parfois plus si je peux.
Écrit par : helenablue | 04/07/2009
oui. voulais pas me moquer, chéplus.
moi non plus j'ai pas franchement le goût de l'extermination de quoi que ce soit, enfin, des fois, si, mais la plupart du temps, ça se retourne contre moi.
en fait, je ne sais pas exterminer sans me faire mal à moi-même.. chépas.
souvent, je m'inquiète à me demander si c'est normal de ne rien ressentir, ou au contraire, d'être écrabouillé par un poid énorme..
ça doit être de vivre enfermé sans jamais voir personne en vrai, ou très rarement, chépas. l'an dernier, quand mon grand-père est mort (d'un cancer lui aussi) j'ai ressenti un énorme vide. et des fois je m'en fous, et d'autres, je me mets à chialer comme une madeleine sans comprendre.. la plupart du temps, je ne comprends rien. il me semble avoir tellement refoulé de sentiments dans tous les sens pendant tellement d'années, et soigné ça en fuyant ou en pikolant, en cachetonant et autre choses, qu'aujourd'hui, je ne sais plus rien de mes véritables sensations. je doute. là, je ne me sens pas triste, ou quoi que ce soit... un peu de honte, et encore, pas tellement. j'écris, sur un ordinateur... en ce moment. il n'y a pas de présence humaine à proprement parler.. tu n'es pas vraiment là. si je voyais ton visage s'indigner, ou si tu souffrais, dans la même pièce que moi, ça serait sûrement différent. mes réactions en seraient changées. je suis à un autre endroit, à un temps différent. moi non plus je ne suis pas vraiment là.
mais c'est vrai aussi qu'avec le temps, un sentiment d'indifférence s'est installé. en général. mais indifférence n'est pas le mot. plutôt le sentiment de ne plus être vraiment vivant. un peu comme l'étranger de camus, je sais pas. un truc comme ça.
Écrit par : Mr Clean | 04/07/2009
puis sans vouloir me vanter, je crois que je suis un peu con.
et que je ne suis pas le seul, malheureusement.
Écrit par : Mr Clean | 04/07/2009
Quoi que l'on fasse, on est toujours seul face à la maladie, malgré les paroles réconfortantes, les amis, quelque rare médecin empathique, du personnel dévoué (si pas condescendant). La maladie nous renvoie une image de nous remodelée, rabotée.
La maladie porte en soi une forme de perte d'humanité, elle nous rapproche de nos frontières, elle nous pose des questions dont la réponse ouvre souvent les portes d'un néant.
Les paroles à cet instant deviennent superflues mais le réconfort d'une présence est une forme de prolongement de la possibilité de continuer à vivre.
Ton texte Helena me touche beaucoup car il me rappelle tant de départs imprévus, insensés...Je sais qe tu n'as besoin des mots pour dire ce que tu ressens envers ton amie, et je sais qu'elle le comprend...
La maladresse n'est pas ta marque de fabrique, jamais !
Écrit par : Saravati | 04/07/2009
@ Saravati : Ce que tu dis là est très juste, la maladie nous raméne à notre condition d'humain, et à notre fragilité, notre vulnérabilité et c'est angoissant.
Les gestes, la présence, l'écoute , oui l'emportent alors sur les mots, ils rapprochent de notre humanité et peuvent contribuer alors à se sentir affiliés, encore en vie.
Merci pour ta grande confiance, elle me touche.
Écrit par : helenablue | 04/07/2009
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