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13/09/2009

autarcie

 

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Fille, petite fille, arrière petite fille de paysans, maman a toujours caressé ce rêve de ne vivre que des produits de sa terre et de son labeur et elle nous a fait vivre ainsi pendant quelques années, toutes celles de mon adolescence. Tout à fait en décalage avec l'ambiance sociale et économique dans laquelle on pouvait vivre alors, les années 75, elle avait mis en place avec l'aide de mon père la vie en autarcie. J'étais à l'époque pensionnaire dans une institution catholique bien pensante un des rares endroits qui accueillait uniquement le sexe féminin, mes parents craignaient que la mixité me monte à la tête et pensaient me préserver en apparence de ce qu'on sait quoi en m'évitant toute présence mâle du mal, ridicule mais réel. La semaine à étudier entourée des filles de bonnes grandes familles bourgeoises du Nord argentées ou ruinées je rentrais le week-end à la maison dans un autre monde et endossais le costume adéquat taillé sur mesure schizophrénique et physique. Il y avait là au coeur des Flandres, sur un hectare éloigné de tous voisins un endroit hautement symbolique, l'arche de Noé reconstitué un couple d'animaux de chaque sorte, élevables et productifs, vaches pour le lait porcs pour la viande poules et poulets en plus grand nombre pour les oeufs et la chair de volaille, lapins, canards, oies, dindons, chevaux pour la beauté du geste chèvres aussi pour les produits laitiers et dérivés moutons pour la laine, un âne pour l'humilité, un paon pour les plumes et une chienne pour la chasse, et j'en oublie sans doute... J'ai appris ainsi même si cela peut paraître incroyable, ça l'était pour mes congénères hebdomadaires, appris à traire, ramasser les oeufs, plumer, vider, dépecer, monter à cheval et à dos d'âne, le fumier, le fromage, le pain, baratter le beurre, et plus encore à carder la laine et la filer au rouet! Le potager demandait lui aussi une attention particulière surtout que la terre n'était pas des plus fameuses, je savais alors bêcher, casser les mottes, planter cultiver pour ensuite cueillir récolter éplucher cuisiner. Tout ce qui était à l'ancienne était une valeur sûre jusqu'à penser et surtout se taire, c'est là aussi que j'ai été initié au tricot, à la dentelle, à la reprise des chaussettes, à stopper la maille, et tous les travaux de couture. Heureusement que j'avais les nuits de Lundi au Vendredi pour m'abreuver de rêves et d'aventures aux livres de la bibliothèque de Notre Dame de la Paix. Cet état d'esprit et cette volonté de vivre autarcique est allé jusqu'à l'éolienne pour la fabrication d'électricité et la cuve à récupération de l'eau de pluie. On ne recevait pas d'amis trop d'ouvrage mais on trouvait le temps pour la messe dominicale il fallait remercier Dieu de tous ses bienfaits. Avec le recul et le sursaut écologique on pourrait les penser avant gardistes alors que c'était plutôt rétrograde néanmoins il m'en est resté longtemps un rejet qui se transforme maintenant petit à petit en une sorte de tendresse pour tous ces gestes appris puis désappris que maintenant je m'autorise avec un certain plaisir. Ce réel paradoxe a un jour volé en éclat quand j'ai quitté le navire et tout le système et toute cette aventure, quand j'ai jeté l'éponge pour sauver ma peau et exister autrement, ils ont alors tout arrêté, vendu ou consommé toutes les bêtes et se sont depuis donnés à fond à la religion pour sauver leurs âmes et surtout la mienne et prient chaque jour pour mon salut et celui de mes enfants. Un autre moyen pour eux de se préserver du monde, de leur fille et de ma réalité.

 

 

 

 

Commentaires

Je pense que votre fils trouvera, dans ce texte magnifique, une des réponses à son devoir...
Très bon dimanche à vous !

Écrit par : Béa | 13/09/2009

Ton témoignage de "vie" en autarcie me rappelle une vie que j'ai fuis à 18 ans pour sauver ma peau. La religion n'était pas la même et mes parents n'avaient pas de quoi avoir des bêtes...juste quelques poules. Heureusement !

Écrit par : Myel | 13/09/2009

On l'a fait, cet essai, sur notre ferme, et nous partageons les mêmes savoirs, Blue - jusqu'au filage au rouet, passe-temps de mes longues années sans web, l'hiver, dans ma maison sans chauffage - le confort d'un pull en "vraie" laine s'apprécie d'autant plus....on l'a fait sans religion d'aucune sorte derrière, sans confondre le "sain" avec le "saint", et sans non plus d'intégrisme écologique, on l'a fait pour l'envie, pour l'avoir fait, pour se relier avec ceux qui nous précédaient, et mesurer tous les bienfaits de la modernité - ah, et aussi, parce que tellement nous étions fauchés que c'était là le prix de la survie. A force j'ai pu faire la différence entre "vivre" et "survivre". Cette vie de labeur acharné, où chaque instant de ta journée se passe à produire ce que tu consommes, ça, c'est de la survie. Un autre temps où tu donnes de ton temps de vie à un autre humain contre un salaire, mais pas tout ton temps de vie, pour disposer de loisirs et avoir une vie sociale, ça c'est de la vie. Dans un cas jamais de loisirs, l'horizon aux frontières de tes terres ; dans l'autre des loisirs à meubler d'expériences et de découvertes, qui t'enrichissent qui t'ouvrent, qui te font te sentir en vie. Du bon des deux côtés, du pire aussi....Encore un exercice d'équilibre.
Au moins tu as des savoirs-faire d'acquis, dans une période d'adversité tu saurais, nous saurions survivre là où les autres périraient - tu comprends l'intérêt de la chose, l'origine de l'angoisse qui pousse à chercher ce genre d'expérience de vie ? Nos parents ont vécu une guerre terrible et affameuse, et avant seuls les riches mangeaient à leur faim. L'abondance et la surproduction ne datent que des années 50/60 ! Savoir-faire, et avoir le choix de sa vie, pour la vivre justement. Intéressant. Intéressant aussi, la névrose religieuse qui semblent frapper tes ascendants - il y aurait à creuser, là, non ?
Bon dimanche, Blue, bises !

Écrit par : anne des ocreries | 13/09/2009

Men sana in corpore sana, eussent dit d'autres, à d'autres temps. Tu me donnes l'impression d'avoir effectivement vécu en d'autres temps, ma pauvre Cosette. Mais, en y regardant bien, il y a sûrement du bon à retirer de tout cela.

Bises, Blue
L'oiseau

Écrit par : Bluebird | 13/09/2009

Bird, ni pauvre Cosette, ni Cendrillon, ni Peau d'âne, ni la petite sirène, que nenni, juste un vécu et une femme en devenir.
Séparer le bon grain de l'ivraie, oui, c'est sage et je m'y emploie.

Écrit par : helenablue | 13/09/2009

Les commentaires sont fermés.