18/01/2011
de la critique, de l'écriture, de l'art...
"Je n’ai rien à gagner à faire la critique de mes collègues écrivains. Rien.
Si je dis du bien du livre d’un auteur québécois, il sera content, évidemment, mais puisque son livre est bon, je n’aurai fait que mon devoir, c’était la moindre des choses. Si j’en dis du mal, je suis un chiant, un incompétent, un pas fin, un jaloux...
Une mauvaise critique ne s’oublie pas. Croyez-moi.
Les jurys pour les prix littéraires et pour les bourses des Conseils des arts canadiens et québécois sont constitués d’auteurs dont j’aurai peut-être un jour critiqué l’ouvrage; à choisir entre ma candidature et celle d’un autre qui ne lui a jamais démontré qu’une franche admiration de façade, eh ben...
La «prudence» critique est source de revenus.
Je connais des auteurs qui affirment ne pas lire les livres de leurs collègues; ça leur évite d’avoir des opinions sur le sujet. D’autres lisent mais n’expriment publiquement que leurs louanges, réservant leurs critiques à la sphère privée.
Il en est des écrivains comme de toutes les professions, le civisme réclame une camaraderie de surface, un enthousiasme louangeur et une sorte d’esprit de corps dont la somptueuse banalité s’exprime sans retenue lors d’événements comme le Salon du livre de Montréal, où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil puisque tout le monde il lit, et tout le monde il écrit.
Rien de cela n’est vrai. Il existe des clans, des détestations, des mépris si féroces qu’ils font trousser les dents. Des jalousies, bien sûr (tenez, moi, je suis profondément jaloux d’India Desjardins et de son bonheur d’écrire). Il y a de grandes amitiés, aussi, et de sincères admirations.
L’EXIGENCE
Mais la portée de l’admiration est limitée par l’absence de discours critique. S’il n’existe que des louanges, les louanges ne veulent plus rien dire. La surenchère de l’admiration mutuelle et le copinage prudent préservent peut-être l’ego fragile de l’auteur, mais je crois que c’est la littérature qui perd au change.
Il faut un discours critique pour qu’on puisse s’améliorer. Notre littérature est jeune et exubérante. Elle prolifère, elle pousse dans tous les sens, même en période de crise économique. C’est une chose de s’extasier sur le phénomène. C’en est une autre de distribuer à droite et gauche des trois étoiles et demie pour des romans qui ne seront plus en librairie trois mois après leur parution, victimes de leur propre laisser-aller ou d’une certaine paresse conceptuelle.
Il se publie beaucoup plus de romans maintenant que jamais, au Québec. C’est un signe de santé de l’industrie.
Mais l’industrie n’est pas la littérature. Ces sont les romans qui durent, ceux qui sont encore lus deux ans, cinq ans, dix ans, vingt ans après leur parution, qui sont les signes d’une littérature en santé.
Entre les romans qui disparaissent et ceux qui durent, entre les livres prêts à jeter et les briques avec lesquelles s’édifient une culture, une grande différence: l’exigence.
L’exigence d’une pensée précise, d’une psychologie de personnage fine et capable d’évoquer la complexité des êtres. Une exigence de la langue, de la construction romanesque. Une exigence de la phrase, du rythme, de la musique. Une exigence du récit qui refuse les clichés. Une exigence envers le lecteur qu’on ne veut pas con mais complice. Une exigence de l’ambition, aussi.
C’est tellement difficile d’écrire qu’on ne parvient jamais à atteindre vraiment ses objectifs. Or, si on souhaite d’entrer de jeu faire un «p 'tit livre», il y a bien des chances qu’on accouche d’un avorton.
Il faut voir grand, et se hisser à la hauteur requise à la force des poignets.
La critique est un dialogue entre le lecteur et l’auteur. La critique nous dit quels sont les effets sur le lecteur de nos mots et de nos phrases agencés en récit. Ça vaut la peine de l’écouter, comme l’ébéniste écoute le client qui lui a acheté un meuble : «Ah ben, comme ça le deuxième tiroir de la commode coulisse mal?»
L’ébéniste ne répondra pas: «Pff, maudit jaloux, tu comprends rien à mon art!»
C’est la grâce que je nous souhaite: une critique précise, articulée, nous permettant à nous, auteurs québécois, d’améliorer nos livres, de maîtriser encore mieux nos outils narratifs. Et c’est à cette tâche que je me consacrerai ici, semaine après semaine, en me consacrant dorénavant beaucoup plus aux livres québécois.
Comme l’ébéniste, l’auteur tue des arbres. Que ça vaille la peine, dirait Idéfix."
- Jean Barbe - Parler des nôtres -
08:59 Publié dans écriture | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, art, québec, critique, réflexion, ouverture, humain
Commentaires
Enjoy ! j'ai adoré ce billet. J'avais partagé cet article sur ma page FB.
Écrit par : anne des ocreries | 18/01/2011
Lorsque l'artiste crée, involontairement il ouvre l'immense boîte de Pandore remplie à raz bord de tous les crabes, du plus petit des acariens aux plus puissant des nécrophages, que sont les critiques en tous genres. Grands princes salariés à la solde du "bizness" médiatique qui d'un seul claquement de doigts réduisent tous vos efforts de création à néant, tout en récoltant au passage la généreuse prime apposée sur votre gueule. Ils se pourlèchent les babines en prenant grand soin de se polir les crocs à l'or que vous ne récolterez pas. Et si seulement il s'agissait bien d'or dans votre cas, habitués que sont les artistes en général à bien maigre pitance Vous voulez qu'on les nomment? Inutile, affalés qu'ils sont derrière leur pupitre à manier, avec grande dextérité, la tronçonneuse sur vos oeuvres, ils se reconnaissent tous puisqu'ils se nourrissent à même votre talent, votre travail, qu'ils n'ont point, avant de régurgiter sur papier ou dans le micro le résultat de trop de copinage, d'influences indues, de mesquineries à peine avouées et pourquoi pas, de jalousie.
Que Jean Barbe s'active à bien vouloir anoblir la relation en se faisant trûchement honnête entre lecteurs et écrivains, va, mais derrière les rideaux ils sont tous là, eux les salariés de la critique et...toujours plus gras!
Écrit par : MakesmewonderHum! | 18/01/2011
Sa voix résonne jusqu'ici !
Il parle fort, JB.
Écrit par : Venise | 18/01/2011
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