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24/08/2012

A mon cher Mc Comber

Cher et tendre,

Ah! On m'a baladée. malheureusent, mon précieux ami, je dois t'avouer que non. Personne ne m'a parlé, personne n'a même osé une critique. Tout ce que j'ai dit et écrit, vient de mon ressenti. Je t'ai fait de la peine, Eric, j'en suis navrée. Tu me connaîs, je déteste l'idée et pire encore de faire du mal à quelqu'un que j'aime et apprécie. Tu pleures de mes écrits et je pleure de te savoir à ce point meurtri par ma faute. Mais, mais, pardonne mes mais. Je n'ai pas comme toi eu l'occasion ni même l'envie d'aller plus d'une dizaine de fois à Cuba. Pourtant, tu connais mon amour pour la musique. Orishas est un groupe dissident, pas cubain, je ne sais même pas s'ils l'écoutent là-bas, un de ses menbres est français, un autre espagnol. Et, peu m'importe. Je ne cherche pas à descendre un idéalisme possible, une religion pour certains, je ne veux qu'exprimer ce qui m'a étreint. Nous sommes différent toi et moi. Tu n'as pas eu à vivre l'obscurantisme, le culte de la personne, l'idée d'un seul homme. Quand même Eric, je ne vais pas te mettre en lien reporters sans frontières: Cuba tu l'aimes ou tu le quittes, n'est ce pas le lot de tous ceux qui pensent autrement? Et toi tu vis ça comment? Pas vu une parabole sur les toits des maisons, pas vu non plus la presse internationale où que ce soit même à l'aéroport de la Havane, pas vu non plus d'endroit "officiel" pour nourrir l'appétit de savoir ce qui se passe dans le monde. Une expo d'haikus, oui, mais c'est si peu et pourtant! Et j'ose à peine te parler d'internet qui est proscrit là-bas! Comment tu ferais toi? Pas de chocolat, pas de thé, pas de moutarde, pas de savons, mais surtout pas d'internet! Ah. Je l'ai capté une seule fois par hasard, à la Havane, entre la poire et le fromage, façon de parler, c'était entre, hé,hé. Nan! C'est stupéfiant Et c'est normal que les cubains fassent semblants, je ferais de même à leur place... Mais j'oeuvrerais en douce, je contournerais l'obstacle, l'idéologie, la religion d'état à tout prix... N'est-ce pas ce que certains font au fond au prix d'énormes efforts et de peur, juste parce qu'ils aiment leur pays et veulent y vivre? Penser que l'individualité n'a pas d'existence et que la propriété n'a pas de sens, c'est, pardonne-moi, pour moi, ne pas comprendre ce que l'individu cherche à faire quand on lui en donne les moyens. C'est quoi être écrivain, poète ou artiste (et pire homosexuel au milieu de tout ça) là-bas si tu ne penses pas Fidel ou Ché, son aura? Lire José Marti, alors que où que tu sois dans cette île il y a son buste, son effigie, oui je vais le lire mais je me méfie. Pour l'instant je suis dans Castro, l'infidèle de Serge Raffy, passionnant! Je suis vraiment tellement réfractaire à la pensée unique que je me suis sentie enfermée dans ce pays, dans ce qu'on en a fait, cette idéologie qui oublie l'ndividu au profit de la communauté qui comme on le sait finalement ne profite qu'à ceux qui tiennent les rennes. C'est quoi vivre au 21ème siécle?

Alors je vais devoir te faire de la peine encore (comme avec le cinéma), encore tu vas verser des larmes. La presse, in situ, est soumise à l'état. Passe par lui. Et ne peut pas être subsersive. Kafka au pays de la canne à sucre! Le Cuba que j'ai vu qui n'est pas une vue de l'esprit. Quoi? Tu crois que moi et Pat, on est des bénis oui-oui?

Les cubains ne peuvent investir dans leur pays. Je n'ai pas encore cherché l'information concernant les droits d'auteurs qui furent un temps suppprimés et puis rétablis et puis de nouveau supprimés comme beaucoup de décisions d'ailleurs. Par malheur on a enlevé leur terres aux paysans. Grave errreur!

Croire que les choses peuvent être autrement. Je trouve ça normal et souhaitable. Mais vouloir penser qu'elle devrait être de cette nature. Non. Pour moi, c'est au-dessus de mes forces.

Je ne crois pas à la pensée unique, je ne pense pas qu'on puisse tous être pareils, je ne pense pas qu'il faille faire en sorte que. C'est ce que j'ai appris à Cuba. Faut défendre son bout de gras, sa manière de voir, sa manière d'être. Et faut pas penser qu'elle est possible pour tous. Parce que chacun a à être ce qu'il a à être et personne, personne ne sait mieux que lui.

Désolée de t'avoir peiné, Je ne peux malheureusement pas m'enthousiasmer de cet arrêt sur image. Génial, ces bagnoles des fifties: un pays figé dans le temps comme une mouche dans l'ambre...* Magnifique et effrayant. Stupéfiant de grâce. Envoûtant mais désarmant.

 

* De Christian Mistral

Commentaires

Chère Blue, tu affirmes n'avoir parlé à personne là-bas, tu y a séjourné une semaine et tu ponds ce papier contre leur révolution. Tu ne vois pas là un léger souci ? Tu peux quand même t'attendre à ce que certaines personnes ne soient pas d'accord avec tes affirmations ?

Commençons par Reporters Sans Frontières :
http://www.algerienetwork.com/magazine/le-financement-de-reporters-sans-frontieres-par-la-nedcia/

Comment font tous ces blogueurs cubains pour poster leurs billets, si y a pas Internet ? Il y avait toujours, la dernière fois que je suis passé par Trinidad, en 2007, le grand café Internet sur le Paseo Frank Pais. Peut-être a-t-il fermé ses portes. En tout cas, ça avait toujours été un lieu très passant où les gens discutaient ferme, un grand café tout ouvert avec de grandes arches et souvent des troupeaux familiaux regroupés devant l'écran à faire signe à tel ou tel expatrié. Il existe une liste des cafés Internet à Cuba, ça vous aurait été utile. En tout cas, de 1999 à 2007, chaque ville en avait quelques uns, souvent très lents, avec des PC pourris, et des souris sales… Mais on ne demande par non plus aux colonies non-révoltées que sont Panama ou Santo-Domingo de se transformer en pôles technologiques.

À la Havane, mais aussi à Cienfuegos et Trinidad, justement, il y avait jusqu'à 2007 de nombreux marchands de journaux internationaux, souvent situés dans le hall des grands hôtels… internationaux. On y trouve Le Monde, Libération, Le London Times, et même la très capitaliste La Presse de Montréal… Si tu me dis que ce n'est plus le cas, que tu as fait un travail exhaustif de recherche et que toute la presse mondiale a été interdite sur l'île… Je suis dégoûté. C'est révoltant.

La propriété privée n'est pas interdite à Cuba. 85% des Cubains sont propriétaires de leurs logements (et sont beaucoup plus libres que les Québécois ou les Français de les modifier comme bon leur semble). Les Cubains possèdent des voitures, des terrains, des outils de production, etc. Là c'est de l'Union Soviétique, dont tu parles.

La principale force sur laquelle s'appuie le gouvernement cubain pour se maintenir en place depuis les débuts fragiles de la révolution, et qui lui permet de faire face à l'armada états-unienne alliée à toutes les banques du monde et à tous les médias qui mangent dans leurs mains, c'est le mouvement des Campesinos. Les fermiers. Encore ces dernières années, quand tout menaçait de foutre le camp, ce sont les campesinos et leur puissante association qui ont calmé le jeu, qui ont permis la transition en douceur vers ces réformes qu'un peu tout le monde réclamait à grands cris dans les discussions d'avant le dîner sur les places et dans les parcs… Discussions envenimées, qui mènent parfois aux coups, auxquelles j'ai assisté, qui se produisent souvent devant quelques flics amusés, appuyés contre un arbre. J'aurais bien voulu voir la même scène se produire sous Vichy, moi. Mais bon… Puisque la fausse-gauche a déclaré par la voie de son papier-Rothschild que c'était une dictature…

J'ai eu de nombreux contacts et pas mal de discussions avec des écrivains Cubains, dont un que j'ai failli faire publier par mon éditeur Montréalais, et jusqu'à preuve du contraire, ils reçoivent leurs royautés comme tout le monde (et paient un impôt très vorace, il est vrai). Un de mes amis de Montréal a tenu un projet sur plusieurs années où des poètes Cubains et Québécois allaient chez les uns et chez les autres lire et échanger, qui s'est terminé par un bouquin commun publié des deux côtés et il n'a jamais été question de droits d'auteurs interdits.

Tu n'as pas vu une parabole sur le toit des maisons ?! Quelle horreur. Traînons tout de suite les chefs de ce pays de merde à la chaise électrique. Une fin à la Khaddafi te satisferait-elle ?

Un des plus vieux clichés sur Cuba est cette histoire sur les homosexuels. J'ai entendu dans les grands médias au Québec et en France les trucs les plus saugrenus, qu'on les tuait à la naissance, qu'il étaient enfermés sur une île désertique, qu'on les emprisonnait d'office. Pourtant, quand on vit sur place, on se rend bien vite compte que comme dans toute société sud-américaine, les gays subissent des quolibets, mais qu'on y voit de nombreux travestis s'affichant comme tels et vivant à peu près en paix avec la situation (tout de même un peu macho). J'avais deux potes gays à Cienfuegos que j'ai interrogés jour après jour sur cette question, après avoir vu le chef-d'œuvre de désinformation et de propagande de ce gros porc de Schnabel (Before Night Falls), et pour lesquels la vie en tant que gay officiel et avoué n'était pas pire chez eux que dans les pays nombreux qu'ils avaient visités, Argentine, Venezuela, Brésil, etc. Cependant, mes infos sont vieilles. Et si en cinq ans tout avait changé si radicalement pour devenir soudainement identique aux clichés inventés par CIA, eh bien encore une fois, j'en serais profondément attristé et révolté. Des sources, s'il-te-plaît.


Je ne t'accuse de rien, et je ne dis pas un mot sur Pat, dont je n'ai pas lu de compte-rendu. Je réagis à ton texte à toi. Tu passes quelques jours là-bas et tu en tires ensuite certaines conclusions, qui m'apparaissent parfois erronées ou imprécises. Et comme il n'y a pas un média pour défendre ce peuple et sa révolution, j'ai envie de remettre les pendules à l'heure. Pardonne-moi. Je te donne un son de cloche différent… Profites-en ! Voilà un exemple de débat avec des idées qui divergent. Ça devrait te réjouir, toi qui condamnes la pensée unique. Profitons de notre infinie liberté pour… ouvrir nos esprits !…

Écrit par : Topfloorman | 25/08/2012

Merci Eric, c'est vrai, tu me donnes l'occasion d'être congruente. Je n'avais pas énormément d'à-priori avant de partir là-bas, je n'avais comme source d'informations que cette amie qui m'y a envoyée avec moults recommandations, dès l'aéroport; je n'étais pas rassurée et n'avais étonnament pas tellement envie d'y aller. La magie du lieu là-bas l'a emporté et puis les cubains chez qui j'ai logé étaient plus que sympathiques comme tout ceux que j'ai pu rencontrer. Mon ressenti, diffus les premiers jours s'est accentué à force d'y être et c'est en revenant que j'ai lu de-ci, de-là de nombreuses choses parfois controversées sur Cuba, il suffit déjà d'aller sur Wikipédia pour comprendre que tous ne parlent pas d'une même voix et que la façon de vivre ce qui s'y passe n'est pas appréhender part tout le monde de la même manière. Et puis le livre de Raffy que Pat à lu pendant tout le séjour, dont il me parlait réguliérement et que je viens de commencer.


Par pudeur, je n'ai pas parlé avec les cubains de ce que je ressentais et de ce que je voyais. J'aurais aimé leur demander ce qu'ils pensaient de ce qu'ils vivent et comment ils le vivent, mais je ne l'ai pas fait. La seule phrase m'a été dîte par Juani, qui m'a affirmé qu'ici tout est compliqué. Pas faute de l'avoir remarqué, la difficulté de s'approvisionner par exemple...

Je ne remets pas en cause leur révolution, mais je ne trouve pas qu'elle aboutisse à plus de libertés et qu'elle ai rendu plus riche ce pays. C'est triste de voir toutes ces maisons abandonnées, ces chantiers commencés et stoppés faute de moyens et toute cette misère partout alors qu'on sent qu'il y aurait des possibilités si seulement il était permis d'agir.


Je n'ai pas vu de paraboles sur les toits des maisons, l'image se suffit à elle-même, non? Une fin comme Kaddafi, Eric, c'est mal me connaître. J'aurais préféré que Fidel fasse autrement, qu'ils permettent à ses concitoyens de s'ouvrir au monde et de s'informer pour qu'ils se fassent leurs propres idées. Remarque, les choses bougent un peu puisque depuis 2011, les cubains peuvent acheter et vendre une voiture, j'ai lu ça dans le Monde, ici:

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/09/28/les-cubains-peuvent-desormais-acheter-et-vendre-des-voitures_1579227_3222.html

ainsi que leurs maisons, là:

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/11/03/006-cuba-achat-maison.shtml

Quand à la presse, je n'ai pas du aller dans les bons endroits, je n'en ai pas vu ni au Nacional de la Havane, ni à l'aéroport, quoi de plus international qu'un aéroport? Pourtant, il n'y en avait pas.

Pour internet, j'ai cru comprendre que c'était plutôt intranet et que la liberté de communiquer avec le monde extérieur est particulièrement surveillée voire impossible. Comment font les blogueurs, là-bas, si j'en crois ce que dit la blogueuse dont j'ai parlé c'est une sorte d'usine à gaz...

Comment expliquer l'intolérance envers ceux qui pensent autrement et qui tentent de le dire. Je trouve que ça plane dans l'air ambiant.

Ce qui m'a frappé aussi c'est qu'il n'y ait qu'une télé d'état, avec huit chaînes certes mais pas d'alternatives.

Mais, dans le fond, c'était peut-être pire encore et l'ouverture au tourisme va permettre à ces gens d'aller de l'avant...

En tout cas grâce à toi, j'ai envie d'en savoir davantage et je vais m'informer et lire des écrivains et poètes cubains pour affiner ma pensée. Tu sais, j'aimerais me tromper, vraiment, et je leur souhaite de s'en sortir mais je suis très septique sur ce modéle de société.

Écrit par : helenablue | 25/08/2012

Oh! Cet article là aussi du monde diplomatique d'Avril 2011 semble donner des réponses aux questions que je me posais là-bas:

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/LAMBERT/20364

Écrit par : helenablue | 25/08/2012

Bon, ben, saint ciboire, ça s'est passé en plein comme prévu.

Je t'avais dit que c'était garanti, mais j'ai eu le tort de ne pas lui écrire avant que tu ne publies.

Te lisant, pourtant, je bénis mon silence. Comme chacun sait ou devrait savoir, je ne communique guère, depuis des mois, qu'avec toi et deux ou trois autres assez malchanceux pour m'aimer. Je peux confirmer que tu ne surfais pas sur l'internet à Trinidad: tes cartes postales me parvenaient par textos. À ton retour, tu m'as écrit plus substantiellement (sur un clavier à taille humaine adulte, pas un téléphone intelligent fait pour des pouces d'enfant). Et je t'ai répondu un peu plus en détail que ma santé ne m'y incite ces temps-ci.

Je t'ai dit, en gros, de faire attention: tu semblais t'extasier sur toutes ces bagnoles des fifties à Cuba, et voir en Fidel un tyran onaniste, cruel, honni. Je t'ai dit que Mac allait sauter une coche si tu ne nuançais pas...

Tu m'as dit (je paraphrase): «t'inquiète pas, BA, je sais ce que je fais, ce que j'ai vu, ce que je veux dire, ce que je dirai. Faut seulement que je digère. Trust me.»

Eh ben, t'avais raison. Moi aussi, remarque, en prédisant la mercuriale de Mac, et en négligeant de lui écrire pour la prévenir j'ai aussi trouvé matière à me réjouir. Mais c'est toi la gagnante, et nous tous à travers toi et Mac: ce qu'il t'a écrit et ce que cela t'a motivée à écrire en retour tient du pur art épistolaire tel qu'enrichi par la transmission véloce et généreusement partagée que permet la technologie. Votre désaccord, tel qu'exprimé, est aussi touchant qu'éloquent. Je me demandais comment tu finirais par fournir le compte-rendu de ton séjour, celui que tous te réclamaient à grands et pressants cris et que tu promettais imprudemment. Pour tout dire, je ne me le demandais pas: je savais qu'il ne pourrait venir. La plupart de tes lecteurs sont des artistes aussi, donc ils avaient compris, pour l'avoir éprouvé: quand ce qu'on a ressenti et absorbé et compris et imaginé et conçu est si puissant qu'il semble temporairement saturer nos moyens d'expression, il vaut mieux soit quand même essayer de dire tout ce qu'on peut tout de suite, soit ne rien annoncer du tout.

Mais la réac de Mac t'a permis de débloquer tout ce stock chaotique auquel tu avais réfléchi, de l'organiser, de nous le livrer, et je vous en remercie! C'est mon boulot, d'habitude, depuis longtemps, de t'écrire comme ça, mais puisque pour un temps je n'y arrive pas, je suis bien content que ce soit lui.

Il y a une histoire que je voulais évoquer ici la semaine dernière, quand j'ai anticipé ce qui allait se passer pour le pire. Je ne l'ai pas fait et, comme je le disais ci-haut, tant mieux. Well, that was then, this is now: je vais le faire maintenant.

Ça remonte à quelques années et les détails m'échappent. C'est une histoire que Mac m'a racontée, en privé, et qui le met en cause, donc quand bien même les détails resteraient frais à ma mémoire, je ne la répéterais pas sans sa bénédiction.

C'est une très belle histoire, une anecdote en fait, qui tient en deux ou trois phrases.

Je n'ai jamais mis les pieds plus au sud que Virginia Beach, Mac knows that, je ne sais pas jouer de la guitare, je ne parle aucune langue étrangère, je ne sais pas conduire une auto, je ne fais pas de vélo, je sais aimer des personnes en particulier mais je me fous des gens en général, je pense que le monde est pareil partout, sublime et désespérant (sauf évidemment à la gare de Perpignan). J'essayais de comprendre ce qu'il trouvait tant à Cuba et pas ailleurs. J'essayais de mieux le connaître. J'ai été servi. Parce que son anecdote m'a appris quelque chose de fondamental à la fois sur lui et sur Cuba. Je ne le lui ai jamais dit, ça, je crois. Ni qu'alors en lui j'ai vu confirmé l'authentique écrivain, dont je ne constatais jusque-là que le talent et le tempérament (il serait le premier à vous dire que ces deux ingrédients, certes essentiels, ne sont néanmoins pas suffisants). Parce qu'il avait frappé mon imagination, m'avait dessiné un mouton, m'avait illustré une idée, un sentiment, une situation, une géopolitique et même une réflexion morale, tout cela et davantage, avec des mots, une poignée de mots. Lorka fait ça avec des images qui bougent. Blue nous présente régulièrement des artistes morts ou vivants dont la maîtrise de leur médium produit cet effet...

Cette histoire, je souhaite avec ardeur qu'il la raconte. Je lui demandais je ne sais plus quelle sottise à propos de cigares cubains. Sa réponse, la fameuse anecdote, inclut une guitare bon marché, un troc étrange, le gagne-pain de deux ou trois familles, et une casquette si j'ai bon souvenir, mais comme j'ai pris soin de le préciser, les détails m'échappent: je les ai, délibérément, laissés s'envoler. À mesure qu'il les mentionnait. Parce que je sentais l'importance et la grâce de me pénétrer du moment, de l'histoire, du gars qui me la racontait, afin qu'elle agisse en moi et me reste, essentiellement, longtemps.

Un mot encore. Mac, Madre de Dios, parfois ta passion généreuse, humaniste et savante te rend injuste et te fait perdre la mesure, comme on doit s'y attendre d'un homme plus grand que nature. Blue en était à son premier séjour cubain. Elle a choisi Trinidad pour sentir le pays, pas Cayo Coco pour se griller la couenne sur la Playa Los Flamencos, à la façon des Québécois, ni Trouville à la façon du Parisien moyen ou l'île Maurice à la façon du Français faussement sophistiqué. Elle a voyagé pas mal, dans sa vie, d'ailleurs, remember: de partout, elle a rapporté quelque chose, quand ce n'était pas des gens. On ferait bien de se rappeler qu'elle est venue ici, son premier séjour, pour un aller-retour de 72 heures, juste pour nous connaître un peu mieux, de plus près, en plus vrai. J'avoue, à ma courte honte, avoir aussi douté de son jugement quant à son expérience cubaine, quand elle m'en a relaté les grandes lignes, les impressions d'ensemble. C'était un feeling indéfinissable et donc fort désagréable: I should know better about her, and I do, et si j'étais pas si déwrenché ces temps-ci j'aurais compris d'emblée mon erreur de perception, d'autant plus qu'elle a quand même une semaine d'expérience cubaine de plus que moi. Toi, ton excuse, c'est quoi, vieux barbudo? T'y es allé près de dix fois, à Cuba, t'as vécu là-bas, t'as aimé là-bas, t'as même appris l'espagnol là-bas, t'as cultivé un morceau de toi et tu l'as planté là-bas, t'as partagé misère, espoir et joie avec les déshérités miraculeux de l'increvable Revolucion, t'as lu des tonnes de livres et d'articles sur le sujet, et en plus ta sainte horreur de l'impérialisme te range systématiquement du côté des opprimés, tu prends toujours pour les plus faibles par pure haine des plus forts, t'as jamais pu croiser une bataille inégale sans te jeter dans le tas, t'as jamais su mettre une valeur en veilleuse et ménager chèvre et chou même si ta santé, ta sécurité et ta prospérité en dépendaient: on peut pas s'accorder, avec des animaux pareils, des fanatiques d'intégrité et de fraternité, héhéhé. Bon, oui, avant de digresser, j'avais un point: tu ne peux attendre de Blue qu'elle ait développé ton rapport à Cuba. Je sais que tu le sais, ça, tu t'en souviens chaque fois que ton intellect chauffé à blanc par ton indignation se refroidit un peu, laissant ton humanité viscérale te révéler le restant de la Vérité.

Ah, quel cadeau ce serait, que tu nous la racontes, cette anecdote!

Écrit par : Christian Mistral | 26/08/2012

Pour avoir été dans un stage de danse pendant 7 jours dans un même lieu (merveilleux au demeurant) avec 9 personnes et pour y avoir reçu le même enseignement j'ai pu constaté qu'à l'issue de ces 7 jours commun ou chaque oeil et chaque corps avaient reçu les mêmes informations... une totale et "opposée" création de chacun...chacun avait construit un monde différent qui correspondait à sa vision de l'univers... et chacune avait cette beauté qui correspondait à son désir...un désir sans borne d'exprimer librement ce qui lui correspondait le mieux...

Écrit par : laurence | 26/08/2012

Même Dieu, qui a passé au moins six jours ici, voire sept, on sait pas trop, le lieu de son repos est imprécis, mais enfin six jours c'est bien certain, et six jours devraient amplement suffire à Dieu pour se faire une idée sur un territoire, sa nature, sa culture, ce qui y vit, y meurt, et comment, et pourquoi, surtout qu'il en est l'auteur et signataire immodeste. Eh ben non: Dieu n'a manifestement guère plus de compréhension envers cette boule que nous n'en avons de, disons, l'Égypte sous Akhénaton, les 38 ans de liaison entre Sally Hemings et Thomas Jefferson, la disparition de 11 jours d'Agatha Christie en 1926 ou celle de Jacques Vergès entre 1970 et 1978, l'essor fulgurant des Chinois ou comment on fait pour passer sa vie en Alabama. Dieu ne nous connaît aucunement, à l'évidence, ou alors il est bien au courant, auquel cas politiquement c'est une charogne.

Écrit par : Christian Mistral | 26/08/2012

Chère Blue, l'article du Monde Diplodocus vers lequel tu pointes est excellent, précis, et informé, et ne contient à ma connaissance qu'une seule bêtise, ce qui est plus rare qu'un DVD de Woody Allen chez Adolf Hitler. La bêtise est d'appeler les «tiendas» des «shoppings». Môdzi Français, tabarnak. Enfin, bref, article très étonnant par sa qualité.

En général, toute mention de Cuba éditée en France contient l'expression «Lider Maximo», qui n'existe pas dans la Isla Grande, mais a été inventée à Langley, Virginia par les responsables de la guerre médiatique anti-cubaine. C'était un bonheur de ne pas la lire dans ce document. Beaucoup de tes affirmations y sont démenties, l'as-tu remarqué ?

Quant aux paraboles, en voici une :
Il était une fois un bon papa qui avait 100€ dans les poches. Il avait le choix entre nourrir sa famille pour un an ou la désinformer pour 10. Le bon papa a choisi le riz, les tomates et les cuisses de poulet, au risque d'horrifier la voyageuse qui passait par là.


Cher Mist,
Je me rappelle très bien de cette aventure marrante. C'était vers 2001, je crois, ou avant. Un ouragan venait de détruire la moitié de Playa Giron (la Baie des Cochons) lorsque j'y suis arrivé. C'était un de ces complexes hôteliers où on trouve une poignée de touristes étrangers et des centaines de vacanciers Cubains. J'avais loué une bicoque pour deux mois et je traînais une guitare très chouette que m'avait refilé l'excellent Benoît Leblanc. Pendant tout mon séjour je la prêtai à l'un et à l'autre pour qu'ils aillent égayer les terrasses et se mousser un peu le chocolat, parce que les trois ou quatre guitares dignes de ce nom du hameau avaient été emportées par l'ouragan. On m'en offrit d'abord 20 U$D, puis 50, puis 100, le prix que j'avais acheté la petite chose. Cependant, j'aimais cette guitare et j'aimais mon pote qui me l'avait vendue, presque donnée et j'avais de la difficulté à m'en départir. De plus, je répugnais à l'idée d'accepter le salaire annuel de 5 ouvriers pour une guitare, ce qui aurait signifié une gratte de 100 000$ au Québec. Je me sentais comme un engañador !

Alors j'ai proposé un troc. Mon pote Osvaldo, tromboniste de la mort, présent sur les premiers disques d'Arturo Sandoval, a tapé des mains et s'est enfui en courant, promettant de me proposer un truc impossible à refuser. Il est revenu une heure plus tard avec un gros tas de boîtes de Cohibas. Je ne connaissais pas les cigares, à l'époque. Surtout, je ne connaissais pas leur valeur dans le monde. J'ai refusé, parlant de mes valeurs, moi qui étais (un peu sottement) contre tout tabaco, gnagnagna, jamais, jamais, et contre tout trafic (faut-y être con), bref. Tout enrubanné de ma candide blancheur, je dresse une liste de ce que je voudrais obtenir : une de ces casquettes vert olive, dont la teinte est si unique (où l'ai-je mise ?) ; un drapeau Cubain (ils ont escaladé le mat de la mairie - oups) ; une épinglette aux armoiries de la revolucion ; et des percussions (maracas, guiro, bongos, etc.). Je suis donc reparti de Cuba sans ma guitare, mais bourré de petits machins fort significatifs pour mes valeurs et fort bruyants au demeurant (tchh-tchh-rokkrrkork jusqu'à la porte de mon appart).

J'avais pris en note, juste par curiosité, les noms, les marques et les codes des cigares que me proposaient mes amis les musiciens (dont quelques uns bossaient le jour chez Partagas). Un certain après-midi, je suis passé à la Maison du Havane sur Sherbrooke. Et là, glp. J'ai compris que les types m'avaient offert trois ou quatre mille dollars de cigares, mais que j'avais préféré 20 pesos de verroterie. Mes origines Kahienkehaka, sans doute.

Épilogue, il ne me reste plus grand chose de tout ça. J'ai le drapeau et les maracas ici, je les ai emportés dans mes bagages en décembre. Et l'épinglette (une pins, pour nos amis Hexagonaux-anglophiles), quant à elle, je l'arbore toujours, sur ma veste ou ma casquette. Elle tient en place mon carré rouge.

Écrit par : Topfloorman | 26/08/2012

pendant ce temps là on tranche le lard à Guantánamo.

Écrit par : le bourdon masqué | 26/08/2012

@ Christian:

Tu m'avais prévenu, c'est vrai. Mettre de la nuance et puis de la rigueur, toujours. J'y oeuvre depuis le propos de Mac, je lis, je fouille, je cherche à comprendre mieux. J'ai écrit aussi aux deux femmes chez qui j'ai été reçue. A Trinidad, chez Juani et à La Havane à Marlène, leur ai envoyé à chacune des photos. Pour la première de sa belle-fille et de son petit fils que nous avions rencontré par hasard sur la playa nous étant éloignés du coin plus touristique et pour l'autre de nous deux bavassant, et riant, moi ne parlant presque pas un mot d'espagnol et elle pas plus de français, arrivant pourtant à se comprendre par des gestes, des oeillades et une profonde envie de communiquer. Me suis commandée aussi un roman de José Lezama Lima. Mon hôtesse avait un livre de lui et semblait y être particulièrement attachée.

Merci pour l'image de "la mouche dans l'ambre", qui vient de toi. Elle m'a tant touchée que je me la suis faite mienne. Surprenant de beauté d'ailleurs ces bestioles enchâssées comme ça pour l'éternité, suis allée voir des images parce que jusqu'à ce que tu m'en parles j'en ignorais l'existence...

Écrit par : helenablue | 26/08/2012

@ Laurence:

Chacun voit "midi" à sa fenêtre, on ne peut voir autrement qu'au travers de sa carte du monde et c'est tout l'intérêt de se confronter, de partager et de s'ouvrir les uns aux autres... Je crois que c'est un bon moyen pour élargir son champ de conscience et sa vision du monde.

Écrit par : helenablue | 26/08/2012

j'ai bien aimé ce long échange de points de vu sur CUBA. Heureusement qu'on est multiple, différent, singulier, particulier. Cette semaine sur mon blog j'ai commenté le film de Xavier Giannoli qui sort cette semaine "SUPERSTAR". A un moment il dit " j'ai peur de devenir le personnage que la société veut que je joue"c'est un peu l'état d'esprit dans le quel je suis. Il n'y a de société idéale nulle pas; on essaie simplement que celle dans laquelle on est soit moins pire que les autres mais c'est pas gagné et c'est vrai que la société française pour ne parler que d'elle est assez inquiétante avec sa vulgarité médiatique et je partage aussi le point de vu de ce réalisateur quand il dit que" nous sommes tous responsable du monde dans lequel on vit, c'est pas seulement la faute aux médias"

Écrit par : alex | 27/08/2012

Aye, aye, aye. Je vais finir par m'énerver.

Donc, Alex, Xavier Giannoli, un membre actif de la secte des médias (un réalisateur intégré dans le système) pond cette phrase géniale de sagesse «nous sommes tous responsable du monde dans lequel on vit, c'est pas seulement la faute aux médias» (sic).

Je ne peux m'empêcher d'imaginer un monde alternatif dans lequel nous serions en train de préparer le premier centenaire du Reich. L'élégant Nicolas Von Goebbels, petit fils du second Fuhrer, présente son discours télévisé devant l'Académie des ouvriers électroniques de Birkenau et commence ainsi : «nous sommes tous responsables du camp dans lequel on vit, c'est pas seulement la faute aux gardiens». Reaction shot dans l'assemblée, montrant des dizaines de visages acquiesçant d'un air pénétré et profond. Dans tous les salons du Reich, de Vladivostock à Cape Town, on hoche la tête. «Qu'est-ce qu'y cause bien, le petit Nicolas».

Et puis, si le grand rêve d'Adolf avait pu se réaliser, croyez-moi, ces sales petits Cubains n'auraient certainement pas pu se permettre de faire les marioles ainsi pendant plus de cinquante ans. Demandez aux Polonais. Ah, y en aurait, des paraboles sur les toits ! Obligatoires, les fucking paraboles ! Ach ! Sieg Heil !

Écrit par : Topfloorman | 27/08/2012

Mac m'a fait rêver à ce que serait un récit uchronique de lui: cette image de Nicolas Von Goebbels, circa 2045, est frappante. Je songe à Fatherland de Robert Harris. Le genre oblige à se questionner sur notre réalité, et les choix qui l'ont créée ou l'ont perpétuée. Mac pourrait enfin confluer les deux veines de son oeuvre afin qu'elle atteigne le même bassin rassemblé de ses lecteurs. Et résolve son conflit intérieur.

Au cas où l'idée germerait en lui davantage, comme il vient de la planter en moi, je nous ferais une joie, à lui comme à moi, de lui écrire en privé pour le chicaner gentiment sur des points de détail. La rigueur, ça nous fait bander dur. Genre quoi? Ché pas, moi: j'y dirais, genre: Mac, oublie pas, Goebbels n'a eu qu'un fils, Helmut Christian, donc Nicolas doit en être issu. J'y dirais que la particule est incongrue: Goebbels n'était pas noble (Ribbentrop non plus, mais il avait acheté la sienne en 1925), et tutti quanti. Il me répondrait, avec raison, yo dude: Bonaparte a crée la noblesse d'Empire même pas vingt ans après la Révolution française, et by the way pourquoi aucune des filles du bon docteur n'aurait-elle pu conserver son «nom de jeune fille», de gré ou de force, et le transmettre au petit Nicolas, fils de whogivesafuck papa? N'est-ce pas comme ça au Canada?

Oué, il me dirait ça, sans parler de ce que je n'ai pas encore imaginé. Et c'est justement pourquoi son récit serait si riche et si utile: il permettrait à chacun de se sentir interpellé, de débattre avec soi-même, de se poser des questions (parce que, bon, oui, Mac ne peut être partout à la fois, et puis il se fait vieux, la plupart de ses lecteurs ne savent pas son adresse, anyway que feront ses lecteurs non-nés encore quand il sera mort? Héhé. Ils s'arrangeront, c'est ça qu'ils feront. Avec le texte. Ils l'interpréteront, se dépêtreront, selon le contexte de leur génération. Sûr, ce serait cool de pouvoir appeler Voltaire au téléphone, ou lâcher à Baudelaire un Twitter, ou pitcher à Sartre un courriel, mais qu'apprendrait-on davantage sur leur travail qu'à travers la lecture de leur travail? Not a damn thing, believe you me, parce que s'ils avaient voulu ou pu y ajouter un iota, ben, putain, ils l'auraient fait, mais une fois que c'est fait, ce qui est fait est fait, for better or worse, après on n'est plus la même personne, ni celui qui écrit, ni celui qui le lit: you can't go back).

Écrit par : Christian Mistral | 29/08/2012

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