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29/01/2013

apesanteur

La journée n'allait pas être facile, je le savais déjà depuis quelques semaines. Mais je savais aussi que quoiqu'il advienne elle devrait se passer et je m'étais en quelque sorte préparée. Madame Cheval, je l'ai rebaptisée, est venue ce matin comme prévue à neuf heures. Trempée par la pluie diluvienne qui tombait depuis l'aube, elle s'est présentée ruisselante devant moi pour prendre un premier contact comme elle me le dira le sourire aux lèvres. L'entretien s'est passé on ne peut mieux, courtoisie, questions d'usage, explications succintes. J'étais de toute façon dans un état second. Depuis deux jours je couve une sorte de grippe, et hier toute ma nuit fut agitée. La fièvre commençait à me gagner. Ce matin j'étais chaude comme un brazero. Les joues en feu et le front en braise, ma comptabilité me paraissait une espèce de grosse chose molle un peu lointaine, floue, arachnéenne. Après deux heures d'entretien intenses, madame Cheval est repartie son lourd dossier bleu sous le bras, et je suis retournée pas très vaillante derrière mon comptoir de verre. J'esperais tenir au moins la journée et m'écrouler comme une masse en début de soirée, mais mon corps en a décidé autrement. Le passage éclair de Sylvaine a mis chaos mes dernières cartouches et cessant de lutter je suis rentrée me mettre au chaud chez moi, c'est là que j'ai relu Camus et c'est avec lui que je me suis endormie pendant deux bonnes heures, assomée.

Sylvaine a vu sa vie chamboulée quand il y a plus de deux ans maintenant son fils aîné fut broyé dans un accident de la route. Il venait tout juste d'avoir vingt ans. Elle n'était pas revenue s'occuper d'elle depuis le coma de son Marc. Deux longues années de coma, deux longues années pendant lesquelles elle n'a jamais perdu pied. Elle disait: " tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir." Elle le pense toujours. Le meilleur ami de Marc n'avait pas eu cette chance. Le cinq tonnes qui a anéanti leurs vies lui avait fauché la sienne pour de bon. Et ce matin, elle était là, face à moi. Toujours aussi belle et aussi délicate, toujours la voix brisée. " Il est revenu à la vie, vous savez, pas encore tout à fait, pas encore en entier. Hémiplégique du côté droit, il se remet à parler, très doucement. On vient de lui faire une opération des plus délicates, c'est un chirugien russe qui s'en est occupé en Espagne. On va tout tenter. On ne peut pas laisser tomber. On ne peut pas abandonner son enfant, n'est-ce-pas?". Bien sûr qu'on ne peut pas. Elle a continué à se dire pendant une bonne heure, elle avait trop besoin de parler, de pleurer, de sortir d'elle tous ses doutes et ses découragements et ses espoirs aussi. Elle était venue chercher auprés de moi de l'énergie et je la lui ai offerte du mieux que je pouvais. Certains destins vous secouent les tripes et sont de véritables électro-chocs. On se sent d'un seul coup épargnés malgré nos petites misères. Le malheur de l'autre colore de lumière le sombre de nos états d'être. Même si à chacun sa souffrance, certaines souffrances sont beaucoup plus étreignantes que d'autres.

En me réveillant tout à l'heure d'une sieste régénérante, j'ai repensé à ces mots de Camus:" l'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher." J'ai plus que repensé à ces mots, je les ai ressenti et j'ai pris conscience que si parfois j'ai ce sentiment néfaste de ne servir à rien ou de pas en tout cas faire ce que je voudrais de ma vie, je me trompe. Chaque petit geste de la vie compte. Chaque temps consacré à l'autre nourrit ma fibre. Chaque fois que mon tempérament prend le dessus, mon art s'affine, se dessine, s'enrichit. Ma toute petite pierre à l'édifice. Madame Cheval me paraissait d'un seul coup bien lointaine. Mon âme, en apesanteur. Et mon coeur les voiles gorgées de vent. Me suis sentie en communion, gratifiée, apaisée, moins fiévreuse. En paix. En vie. Prête à repartir. A créer. A écrire. A commercer. A réagir. A inventer. A offrir. A ouvrir. A m'étonner.

 

Commentaires

Dorlote-toi, Blue, et soigne-toi bien ! Quelle vie pourrait se dire inutile ? Il a bien raison, Camus !

Écrit par : anne des ocreries | 30/01/2013

"Par le pire,
S’écoule l’air du tocsin.
Son métallique
Bruits en fuite.

Tout devient
Du très loin.
Le regard devient matin.

Le don sera fertile.
Juste mesure de ce grain.

L’offrande peut être
Mais il faut renaître.

Par le vivre,
s’écoule le vide,
Usurpation du sens.

A te recevoir,
Tu m’obliges.
A te rendre,
Je me pressens
Géant.

Il me faut alors tout te rendre.
Par le geste et par mon sang
Par cet or et par ce temps.

Il faut que l’on s’échange
Puis qu’après nous,
Le ciel ne saurait attendre.

Par le pire,
Alors, s’en retourne le vide,
L’espace en un rien de temps.

C’est la main que tu me tends
Qui fait rouler le monde.

Je te donne ce que tu m’offres
Puisque nous ne possédons rien.

Mendiants en course folle,
Nous sommes délicieusement aimants.

Nous sommes quelques grains,
Portés en océan,
Forts
Et à jamais,
Vivants."

texte : "DANAE" - jan 2012- Astrid. Avec toute mon amitié.

" Dans les bons jours, faire confiance à la vie ça la force à bien répondre"- A CAMUS la mort heureuse. Alors...faisons lui confiance, on verra bien!

Écrit par : Astrid SHRIQUI GARAIN | 30/01/2013

Oui, Astrid. Et merci...

Écrit par : helenablue | 31/01/2013

@ Anne:

Et toi, profite bien et embrasse pour moi nos amis québécois...

Écrit par : helenablue | 31/01/2013

Les commentaires sont fermés.