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19/01/2011

la route de la soie

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Prolongée par bonheur encore une dizaine de jours, je reviens de l'expo "la route de la soie" qui a lieu à Lille au Tri Postal, l'ancien centre de tri transformé en lieu d'expositions d'art temporaires à peine à quinze minutes à pied de chez moi. Je partage avec vous à chaud mon voyage dans ce qui est considérée comme l'une des plus grandes collections au monde, première fois qu'une aussi large sélection de la Saatchi Gallery est montrée en France. Une soixantaine d'oeuvre sélectionnée parmi les oeuvres les plus évocatrices de la jeune création contemporaine. Chinois, Indiens, originaires du Moyen-Orient ( Liban, Iran, Irak), ils sont une trentaine, moyenne d'âge 30-40 ans dont on peut découvrir ainsi le travail et la démarche artistique ainsi que les messages qu'ils délivrent. Certaines oeuvres stupéfiantes, impressionnantes même, de part leur taille et leur mise en scène, d'autres bouleversantes , pour ma part en tout cas, et la plupart vraiment interpellantes.

Bouleversantes, comme ce tableau de Zhang Huan, "Young Mother":

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ou ces trois toiles pleines de finesse de l'irakienne Hayv Kahraman:

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Il y avait pas mal d'enfants qui déambulaient au milieu de ces oeuvres avec leur naturel et leurs réactions savoureuses, surtout devant justement, les plus spectaculaires comme cette pièce emplie de formes courbées en feuille d'aluminium, une installation impressionnante du Franco-Algérien Kader Attia, " Ghost " représentant une foule de musulmanes qui prient à genoux mais qui ne sont que des moulages de corps dont les 560 figures ne sont que coquille vide. L'artiste affirme qu'il ne s'agit pas là d'une lecture autour du voile mais " comment occuper autant de place avec du vide et du fragile, la poésie du dialogue impossible entre le vide et le plein, entre la vie et la mort." L'installation elle-même est éphémère; elle disparaîtra à la fin de l'exposition. Ce que les gamins ont résumé très bien, en courant d'un bout à l'autre de la pièce les uns après les autres: " ici, je regarde pas, c'est trop flippant!"

 

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Stupéfiantes ces oeuvres du pakistanais Huma Bhabha, faites de détournement de matériau, d'objet et qui deviennent d'un seul coup tout une symbolique:

 

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D'autres oeuvres parlent, elles plus spécifiquement encore de la condition des femmes.

Dans "Like Everyday Series" (2000-2001), les clichés couleur de la photographe iranienne Shadi Ghadirian montrent une figure féminine voilée dont le visage est masqué par un ustensile ménager - une râpe, un balai, un gant en caoutchouc ou une passoire.

C'est aussi de la vaisselle qui remplace la tête des "Tehran Prostitutes" (2008) de sa compatriote Shirin Fakhim. Adossées aux murs ou aux piliers du Tri postal, ces poupées de chiffon semblent attendre le client. En cuissardes, résille et latex, elles sont habillées comme des racoleuses occidentales, alors qu'en réalité, en Iran, les prostituées sont beaucoup plus couvertes et voilées. L'artiste dénonce ainsi l'hypocrisie d'un pays moralisateur où fleurit pourtant un marché du sexe, des milliers de femmes étant contraintes de vendre leurs charmes pour fuir la pauvreté ou une situation familiale intenable.

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Faîtes de bric et de broc , ces sortes de poupées grandeur nature sont vraiment touchantes et parlantes, elles ont une présence dérangeantes et tendres à la fois. Et juste derrière l'enfilade de portraits "revisités" est saisissante de vérité, des photos chocs qui en disent plus qu'un long discours et qui ainsi en nombre marque l'imaginaire et frappe la raison!

 

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Mais avec cette exposition étonnante, on est jamais au bout de nos surprises. A l'entrée déjà on est accueilli par une oeuvre monumentale de Zhang Huan encore; une tête curieusement arrêtée à la base du nez de 3 mètres de haut, confectionnée avec des cendres d'encens récupérées dans les temples boudhistes de Shangaï; la spiritualité étant l'une des sources d'inspiration de l'artiste, à tout point de vue pourrait-on dire, jusque dans l'art de dénicher du matériau artistique improbable mais au coeur même de sa démarche!

 

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Des artistes indiens aussi au détour d'une autre salle, on le sent tout de suite, pas la même sensibilité, pas la même approche, et pourtant des ponts entre toutes ces cultures et ces artistes, une tendance à prendre le temps de réfléchir sur le monde et d'y porter un regard, et à chacun leur manière pleine de vitalité de nous faire entrer dans leur paysage culturel, dans leur univers qui peut influencer l'idée que nous nous faisons d'eux, nous ouvrir l'esprit!

 

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Un incroyable voyage en nous-mêmes aussi... surtout avec cette installation sans doute la plus troublante et la plus dérangeante de l'exposition, de Sun Yan et Peng Yu, "Old persons home": 13 sculptures grandeur nature et 13 fauteuils roulants, 13 vieillards au chef chenu et à la barbe blanche au milieu desquels on déambule; ils ont été puissants et les voilà avec de pauvres corps les lâchant de partout, la gloire du monde qui passe. Moi, ça m'a fait un effet boeuf, pour d'autres raisons profondes, elles aussi, mais d'une autre nature!

 

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Les enfants à nouveau, fébriles, bruyants, posant dix questions à la minute, criant et soupirant et en même temps plein de bon sens et de compréhension du monde dans des petites phrases entre eux, donnant d'un coup plein d'espoir et de vie à cette exposition déjà fort riche et fort chargée de messages en tout genre. J'avoue avoir aimé leur présence sous ses corps pendus par les pieds, comme des corps qu'on prépare pour l'abattoir, une oeuvre interpellante, chinoise elle aussi, voulant dénoncer les conditions de travail des ouvriers traités comme du bétail et sans doute aussi cette non valeur qu'a l'humain dans cette société. Nés pour la plupart à la fin du règne de Mao, les artistes chinois de la nouvelle génération ont connu tout à tout les tragédies de la révolution culturelle et l'effritement du dogme collectiviste, les espoirs et les désenchantements du Printemps de Pékin, le passage à l'économie de marché, et, plus récemment, à l'embellie et l'emballement économique et financier de la Chine, ce qui donne un contexte suffisamment paradoxal pour déclencher des sources d'inspiration à multiples résonances.

 

 

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Voilà de quoi nourrir nos questionnements puissants sur notre monde contemporain, sur ses mécanismes, sur les rapports humains. Un voyage qui ne m'a pas laissée indifférente, bien au contraire et que j'essaie de partager avec vous pour ceux qui ne pourront pas voir l'ensemble de ces oeuvres. Cela fait un bail, pour ma part, qu'une exposition d'oeuvres contemporaines ne m'avait fait un tel effet, on passe par beaucoup de sentiments de toute sorte et d'émotions diverses, on en garde quelque chose en soi, on avance, je ne sais pas de quoi, ni d'où, ni même pourquoi, mais le fait d'être interpellé de la sorte ouvre des possibles...