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16/03/2011

Mourir de dire

 

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"Si vous voulez savoir pourquoi je n'ai rien dit, il vous suffira de chercher ce qui m'a forcé à me taire. Les circonstances de l'événement et les réactions de l'entourage sont coauteurs de mon silence. Si je vous dis ce qui m'est arrivé, vous n'allez pas me croire, vous allez rire, vous allez prendre le parti de l'agresseur, vous allez me poser des questions obscènes ou, pire même, vous aurez pitié de moi. Quelles que soit votre réaction, il m'aura suffi de dire pour me sentir mal sous votre regard.

Je vais donc me taire pour me protéger, je ne mettrai en façade que la part de mon histoire que vous êtes capable de supporter. L'autre part, la ténébreuse, vivra sans un mot dans les souterains de ma personnalité. cette histoire sans paroles gouvernera notre relation parce que des mots non partagés, des récits silencieux, je m'en suis raconté dans mon for intérieur, interminablement.

Les mots sont des morceaux d'affection qui transportent parfois un peu d'information. Une stratégie de défense contre l'indicible, l'impossible à dire, le pénible à entendre vient d'établir entre nous une étrange passerelle affective, une façade de mots qui permet de mettre à l'ombre un épisode imvrasembable, une catastrophe dans l'histoire que je me raconte sans cesse, sans mot dire.

Le non-partage des émotions installe dans l'âme du blessé une zone silencieuse qui parle sans cesse, un bas-parleur en quelque sorte, qui murmure au fond de soi un récit inavouable. Il est difficile de se taire, mais il est possible de ne pas dire. Quand on ne s'exprime pas, l'émotion se manifeste encore plus forte que les mots. Tant qu'il souffre, un blessé ne parle pas, il serre les dents, c'est tout. Quand le non-dit hyperconscient n'est pas partagé, il structure une présence étrange. " cet homme discute aisément et pourtant je sens bien qu'il parle pour cacher ce qu'il ne dit pas;" le refoulement, lui, organise des interactions différentes. D'abord, il est inconscient. mais lors des rêves surgissent des scénographies étranges qui  laissent échapper quelques énigmes à déchiffrer.

Le honteux aspire à parler, il voudrait bien dire qu'il est prisonnier de son language muet, du récit qu'il se raconte dans son monde intérieur, mais qu'il ne peut vous dire tant il craint votre regard. Il croit qu'il va mourir de dire. Alors, il raconte l'histoire d'un autre qui, comme lui, a connu un fracas incroyable.

Il écrit une autobiographie à la troisième personne et s'étonne du soulagement que lui apporte le récit d'un autre comme lui-même, un représentant de soi, un porte-parole. Le fait d'avoir donné une forme verbale à son fracas, et de l'avoir partagé malgré tout, lui a permis de quitter l'image du monstre qu'il croyait être. Il est redevenu comme tout le monde puisque vous l'avez compris- et peut-être même aimé? l'écriture est une relation intime. Même quand on a des milliers de lecteurs, il s'agit en fait de milliers de relations intimes, puisque, dans la lecture, on reste seul à seul."

 

- Boris Cyrulnik -

 

 

 

Commentaires

Ah! la fameuse maxime, quand tu nous tiens!: "la parole est d'argent; le silence est d'or."
Savoir se taire, n'est pas forcément un signe de sagesse, lorsque c'est une initiative prise par un insensé, a dit un autre.
Et aujourd'hui, peut-on se taire devant les événements qui se déroulent dans le monde?
Oui!, souvent, on nous dit de tourner sept fois la langue, dans sa bouche, avant de parler. Pas trop longtemps, j'espère, pour que nos gouvernants se décident à aller préter assistance à peuple en danger.
Pardonnez-moi Héléna, je n'ai pas pu m'empêcher de faire une digression, en rappelant ces tristes évenements, comme si, quelque soit le thème abordé, on les y aborde, toujours.

Écrit par : bizak | 16/03/2011

Formidable, ce Boris Cyrulnik. Je l'adore.

Écrit par : Guillaume L. | 16/03/2011

L'extrait que tu cites me percute de plein fouet, au moment où je viens de publier un récit de vie, dans lequel, justement, je n'ai pas tout dit.
J'ai gardé pour moi certaines choses. Des choses importantes évidemment. Marquantes à jamais. Ce n'est pas de l'ordre de la honte Ou de sentiments comparables.
C'est de l'ordre de l'indicible. Du « vous n'allez pas me croire ».

Cela ne relève pas non plus du silence absolu, puisque ces « choses » furent évoquées en thérapie…
cependant, même déchargées des affects douloureux, je me sens incapable de les livrer « comme ça », au tout un chacun qui peut accéder à mon livre.

Écrit par : Alainx | 16/03/2011

OUI ! Mille fois oui ! Complètement d'accord !
Trouver la soupape qui permetrra de dire l'indicible...c'est ça.

Écrit par : anne des ocreries | 16/03/2011

Tout est dit.
Presque...

Pensées dear...

Écrit par : laure | 17/03/2011

Tout est dit.
Presque...

Pensées dear...

Écrit par : laure | 17/03/2011

Un de nos grands poètes, Tahar Djaout, à la veille de son assassinat, a dit:
«Le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs !»

Tahar djaout était un poète et romancier algerien,assassiné par les terroristes islamistes(FIS) en Algérie le 26 mai 1993.

Écrit par : bizak | 17/03/2011

moi ce qui me parle plustot c'est le fait que l'écriture délivre du silence une tautologie me direz vous oui sans doute elle délivre... mais la réception silencieuse est un interdit encore plus dissuasif "Gardez votre histoire" elle n'intéresse personne alors à quoi bon?

Écrit par : laurence | 17/03/2011

@Laurence
Je vous rejoins sur, effectivement , cette reception silencieuse qui en dit long sur l'attitude quelque fois, qui frise l'ironie et la condescendance de la part de celui ou celle qui vous écoute. Laurence, il s'agit, aussi, de trouver la personne à qui l'on pourra se raconter, un ami, un confident ou à défaut bien sûr, on peut faire appel à un thérapeute. Montrer sa vulnérabilité n'est pas honteux. Personne n'est jamais,à l'abri, parole de scout!

Écrit par : bizak | 17/03/2011

J'aime bien moi aussi les gens capable de montrer leur vulnérabilité ... et les thérapeutes ne sont souvent que des gens vulnérables reconvertis...mais parfois ils peuvent aider...

Écrit par : laurence | 17/03/2011

J'ai mis plus de quinze années à me dire... D'abord dans un cadre thérapeutique et puis par le biais de ce blog au monde extérieur.
Se dire à l'autre, c'est se dire à soi-même d'abord, et c'est en cela qu'on sort de la honte. Ce n'est pas toujours facile de voir comment peuvent-être reçus nos mots, mais, c'est le sentiment de honte qui engendre cette peur de mourir de dire, alors qu'une fois dépassée, on se rend compte qu'on meurt à petit feu de se taire!
Ce n'est pas une équation simple, on se structure sur sa honte, elle devient partie prenante de notre personnalité et l'oriente qu'on le veuille ou non.
Sortir de la honte, c'est comme changer de peau, c'est douloureux, vulnérabilisant, car tout en déservant elle nous camoufle et nous protège, c'est bien plus compliqué que cela en à l'air.

Quand j'ai commencé à parler haut et fort il y a une dizaine d'années dans mon cercle d'amis qui me connaissaient telle que je me présentais à eux, j'ai essuyé des revers étonnants et stupéfiants de non - vouloir voir et entendre, le vide s'est fait malgré moi et j'ai compris que je n'étais pas entouré de véritable amis, du moins pour celle que je tendais à être, pour celle que j'étais au fond mais qui derrière un personnage bien construit et bien lisse, enfin presque, avançait masquée.
Je n'avais pas choisi cet état de fait, je l'ai juste constaté. Seuls ceux qui m'aimaient vraiment sont restés, et il se firent rares.
Encore maintenant, je mesure que certaines de mes dires ne peuvent être facilement recevables mais je n'ai plus autant ce besoin d'être reconnue, j'ai appris à me connaître et à m'aimer, et je n'ai plus honte de dire ce que je suis, et que ce que je suis est le fruit de ce que j'ai été.
Néanmoins, je dois reconnaître que parfois c'est encore difficile, dans certaines situations, avec certaines personnes incapables de recevoir votre parole, là vite la honte réapparait et on se tait!
Montrer sa vulnérabilité est loin d'être honteux, c'est humain, la reconnaître et la revendiquer plus encore.
Je suis vulnérable.
Je suis fragile.
J'ai peur.
Je suis blessée parfois par certains propos, certaines actions, certains regards.
Je suis sensible.
Mais je n'ai plus cette honte de l'être!
D'être.
E je préfère mourir d'avoir dit et de dire, que de mourir de me taire.
Et si ça n'intéresse personne ce que j'ai à dire, c'est que je ne le dis pas de la bonne manière...
Je reste persuadée que l'indicible est recevable s'il est bien dit.
Je ne sais pas encore comment cela est possible, je tente de le faire, j'ai toujours tenté.
Et dès que j'ai pu, je suis sortie du rôle dans lequel la honte m'avait enfermée. Toute vérité n'est pas bonne à dire n'importe comment et dans n'importe quel contexte, néanmoins sa vérité est bonne à vivre, à chacun d'en faire ce qu'il a besoin d'en faire, au mieux.
Et je reconnais que par ce blog, j'ai le sentiment d'avoir fait ce chemin, précieux pour moi.
Mais la honte est une marque tenace, pas question de s'en sortir avec des tours de passe-pasee, c'est un travail de longue haleine, qui demande beaucoup de résistance, de vigilance, d'amour, d'empathie et de créativité!




Je crois qu'il ne faut pas craindre de parler, mais plutôt craindre de se taire face à ce qui se passe dans le monde aujourd'hui!
C'est honteux de voir que nous en sommes encore là, impuissants à réagir, à agir! Honteux de permettre que des hommes qui se battent pour la liberté de vivre et de s'exprimer soient ainsi massacrés sous nos yeux! Honteux de comprendre qu'en notre monde tel que nous le bâtissons tous, le pouvoir de l'argent l'emporte sur le pouvoir du coeur et que les scélérats l'emportent sur les nobles!

Quel exemple malheureux pour les générations à venir! Quelles haines en devenir! Quelle triste et cruelle constatation!
Quand on voit par chez nous, la montée de voix extrémiste de surcroît féminine, il y a de quoi avoir honte! Pourtant, on ne devrait pas succomber à ce sentiment qui inhibe, on devrait plutôt se battre pour faire entendre sa voix, la seule qui me semble recevable, celle de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
La voie vers plus d'humanité.

Écrit par : helenablue | 17/03/2011

@hélénablue
Enfin l'ONU a fini par dire et elle ne risque pas de mourir d'"avoir dit" et protéger ces pauvres populations libyènnes du despote libyen . Vive la douce France! qui s'est bien démenée, quand elle le veut bien ! cette fois-ci, pour répondre à Laurence il n'y a pas "de reception silencieuse."

Écrit par : bizak | 18/03/2011

Pour terminer avec une note de gaité, voici une citation de l'ancien comédien français Francis Blanche:
- Un malheureux unijambiste m'a confié: "je n'ai pas pu suivre l'enterrement de ma jambe, car je boitais"
et une autre d'Emil Michel Cioran:
-"Lorsqu'on a commis la folie de confier à quelqu'un un secret, le seul moyen d'être sûr qu'il le gardera pour lui, est de le tuer sur-le-champ."

Écrit par : bizak | 18/03/2011

L'indicible, c'est un dicible un peu gêné, souvent bourré de talent, qui demande à ce que l'on tamise un peu la lumière, qu'on lui prête une attention toute spéciale pour qu'enfin il nous livre de sa faible voix les mots lourds de ses maux.

Écrit par : MakesmewonderHum! | 18/03/2011

elle boitait je l'ai tuée sur le champ et je n'ai pas suivi son enterrement

Écrit par : laurence | 18/03/2011

@ bizak:

Oui, une bonne chose qu'enfin l'ONU ait fini par dire et permettre d'agir!

Il n'y a pas de réception silencieuse en effet.
Au fond, il n'y a pas finalement de secret à par peut-être une vie heureuse... le secret aussi lourd soit-il et aussi effrayant sort d'une manière ou d'une autre!

J'aime cette phrase de Cioran, mais en y réfléchissant, celui qui confie un secret n'a-t-il pas inconsciemment l'intention qu'il n'en soit plus un?

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

@ MmwH!:

Joliment dit, tout en douceur...

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

@ laurence:

:-)

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

oui l'absurdité du clown il ne peut dire et se sauve dans l'éclat de rire des autres...

Écrit par : laurence | 18/03/2011

Hum, je suis pas si sûre qu'il ne dise pas au fond sans dire vraiment mais en suggérant, la communication analogique, tu sais tout comme moi, chère et douce amie qu'elle est redoutable d'expressivité et même possible avec les mots en jouant sur l'absurde, une pirouette parfois en dit plus long qu'un long discours, tout comme peut le faire une image, non?

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

chaque humain a sa part de mystère; je pense qu'il est impossible de percer les siens personnels, ça relève forcement de l'arbitraire; le mystère reste lié à quelque chose de passé... je ne sais pas s'il y a quelque chose à comprendre a expliquer? sauf si ça découle d'une situation précise qui fait qu'il n'y a pas réellement de mystère (sur les causes).C'est brouillon et compliqué mais je partage tes sentiments dans les réponses que tu faits aux commentaires
Amitié

Écrit par : alex | 18/03/2011

Liberté et expressivité sont deux faces de la même médaille!I! faut dire pour arracher sa liberté et la mériter; le silence ne fait qu'enkyster les choses et les refouler dans les sédimentations de la peur qui est régressive même si elle est sublimée!
Il faut oser dire les vérités , c'est la seule manière d'avancer et cela devrait être le fondement premier de la civilisation; la transparence évite toute forme de ressentiment, sur le long terme; il faudrait y habituer les jeunes générations afin de conjurer toute sorte de pusillanimité!

Écrit par : Mokhtar EL Amraoui | 18/03/2011

Oser dire les vérités, oui cher Mokhtar! Je crois tout comme toi que c'est bien. Il faut permettre à la jeune génération d'exprimer son ressenti et l'entendre, l'entendre! Tout au moins l'écouter. La transparence n'est pas facile à instaurer, elle semble si peu " politiquement correcte", il reste sur le terrain, l'exemple, mais pas toujours facile pour les jeunes à appréhender, ils ne sont pas très friands de la différence.
Mais dire les vérités, y faire face, et tenir bon face à certaines difficiles, c'est la voie, oui. Et ça porte ses fruits.

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

@ Alex:

mes amitiés également cher Alex et merci de ta fidélité.

Écrit par : helenablue | 18/03/2011

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