26/09/2011
Anne-Marie Cutolo
" La foudroyante fatalité "
J'emprunte ce titre à un poème de Michel Deguy "A ce qui n'en finit pas" dans lequel il trouve les mots les plus justes pour évoquer la douloureuse et tragique entreprise du deuil. Dans le même texte, il évoque aussi "l'insensée distance", "l'insensée séparation" . Des perceptions qui pourraient faire de nous des sujets suffoqués si toutefois nous ne possédions pas l'écriture pour rendre présente les figures de l'absence, le langage pour dire le secret en échappant à son exorbitante dimension mélancolique.
La peinture d'Anne-Marie Cutolo est l'union et la tension entre la hantise du deuil et la poétique du ressassement. La dépossession fondamentale est la matière de son expérience picturale. La dire et la redire dans un langage plastique économe constitue la déchirante singularité de son oeuvre. Elle fait affleurer à la surface du tableau ou de la feuille de papier le vertige d'une tristesse pensive. Le dialogue est sans cesse repris entre l'artiste et l'alarmante et irréparable perte.
écrire la peinture
l'écrire en lambeaux
le cadre. Le lieu posé des questions. le procés. Le désert des mots. Le corps négatif d'une parole qui retourne la langue
bégayer sa ligne de vie. traduire la peinture, l'exiler dans les mots, ou l'écrire au féminin, sous le signe d'une rupture, d'un entracte, d'une absence à son corps d'adoption, comme une chose comblée par ses manques.
l'image, préfigurée par le passage d'une langue à l'autre, la dénaissance du corps réel, dialectal, dans les plis de l'habit
la technique. L'humide, le sec. Le désir. La soif. Le désert du corps féminin raclé dans sa matière sur des fonds de palette, meurtri dans sa transparence par le viol d'une trace sèche
le nostalgie des corps. la rencontre avec la danse. Le déséquilibre. les torsions de l'apparence saous l'angle d'une nouvelle figuration
l'extrême douceur de l'absence. Comme un cri de résignation
la main du fleuve. Son étrange description
l'automne. la chute impossible. la jouissance des anges
archéologie d'un horizon
" Véritable expression des profondeurs, la peinture d'Anne-Marie Cutolo fait surgir des ténèbres des individus hagards qui nous renvoient à cette vérité terrible que nous tentons de cacher dans les profondeurs de nos âmes: sans l'espérance, la mort est effroyable. Un travail rare, solitaire, exigeant."
-Azart n°30 Janvier-Février 2008 -
09:06 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : art, peinture, écriture, émotion, rencontre, découverte, humain
Commentaires
J'adore. Mais en même temps, j'aimerais voir surgir de nouveaux styles. Ce style vaporeux, décharné, vampirique, ne l'observe-t-on pas souvent? C'est à mes yeux original et ce ne l'est pas. J'aimerais un art nouveau... Mais peut-être n'y a-t-il rien de nouveau.
Sinon, j'ai beaucoup aimé ces vers! Eux non plus ne m'apparaissent pas d'un style nouveau, mais ça, ça ne me dérange pas. Je suis littéraire, faut croire. Donc peut-être plus indulgent. Qu'est-ce que je suis en train de dire là. Fuck l'analyse, ces vers sont rarissimes de beauté.
« l'extrême douceur de l'absence. Comme un cri de résignation
la main du fleuve. Son étrange description
l'automne. la chute impossible. la jouissance des anges
archéologie d'un horizon »
Bon matin à toi Blue.
Écrit par : Guillaume L. | 26/09/2011
Sinon, ma toile préférée est la deuxième! Cet elfe moribond suinte la couleur malgré sa putrescence. J'aime ça. Il a un petit quelque chose de sympathique dans l'oeil. Et on dirait que sa main droite sait couper. Toujours utile, d'avoir un canif à la place des ongles.
Écrit par : Guillaume L. | 26/09/2011
Vertigineuse.......
Écrit par : anne des ocreries | 26/09/2011
c'est ça.
Écrit par : laure k... | 26/09/2011
C'est cela.
Je comprend le com de Guillaume pour ce qui est du style vu et revisité à l'éternel, mais comme ma lecture en est toute autrement éclairée que par le formel, disons que je puis être influencée, je dois dire Guillaume qu'il m'apparait peu de style pictural qui parvienne à un tel degré de rendre l'âme dans son état le plus salement dépouillé. Je dis salement pour sali et dépouillé dans tous les sens du terme. La seconde représentation m' a aussi frappée, la première, la suivante, et la suivante, et toutes ensemble.
Les mises en scène des corps, les postures sont signifiantes à un point terrifiant.
C'est terrifiant de voir aussi loin que cela, et d'avoir vu aussi loin, et de revenir d'aussi loin.
"sans l'espérance, la mort est effroyable. Un travail rare, solitaire, exigeant."
Écrit par : laure k.. | 26/09/2011
J'ai attendu quelques jours avant de commenter question de voir si le texte et les tableaux me feraient le même effet. Et oui. Même première perception: troublant.
Écrit par : gaétan | 28/09/2011
Vous avez raison. C'est la bouffée d'émotions qu'envoient ces toiles qui compte.
C'est effectivement troublant, comme espoirs qui fondent; c'est lancinant, comme cris suspendus.
J'adore et ça remue.
Écrit par : Guillaume L. | 28/09/2011
Elle greffe couleurs et matières organiques pour nous décomposer l'idée même de la vie.
J'ai feuilleté un receuil de photos, il y a plusieurs années, sur les victimes du massacre à l'arme chimique perpétré par Saddam Husseïn en Iran, c'était que des vestiges de vies méconnaissables aux traits fondus que seule la haine peut engendrer. Est-cela qui nous hante, toute cette douleur qui flotte un peu dans l'air et mieux ressentie par certains artistes. Il y a plusieurs mois, avec ta présentation d'Otto Dix à une certaine période il y avait ce "délavie" dans son oeuvre.
Écrit par : MakesmewonderHum! | 28/09/2011
Zoran Music, Rustin, Guiramand par certains côtés...
Quand au texte critique, terrible, comme la peinture qu' il tente de décrire!
Écrit par : versus | 29/09/2011
Les toiles de cette femme jaillissent en moi en écho. Elles ont comme un effet miroir, correspondance avec une partie noire de mon âme en souffrance, je suis émue quand je rencontre pareille rencontre, pareille résonance, pareille intimité.
La puissance suggestive de sa peinture est en parfaite osmose avec certaines de mes angoisses et certains de mes déchirements.
Je suis toujours particulièrement attentive et percée quand de telles "répondances "m'arrivent. Je vois dans ces toiles plus que dans mon propre regard, j'y vois ce que j'ai tant de mal à voir... Ce " délavie", ce désamour, cette désespérance...
J'y puise une forme d'espoir avide dans un moyen de m'en sortir, je m'y accroche, et je m'en sers.
Les toiles et les mots de cette femme agissent en moi comme la poésie de Baudelaire ou celle de Nelligan, loin de me faire souffrir, elles expriment ma souffrance ce qui me permet , moi, de m'en défaire. N'est-ce pas là l'oeuvre et la fonction de l'artiste, d'agir en catharsis et permettre finalement de se libérer de ses émotions qui nous habitent et nous pèsent plus qu'on ne le désirerait?
Écrit par : helenablue | 30/09/2011
Intéressant, ce que tu dis là, Blue. J'ai une part d'ombre, mais elle est moins assumée que la part de brillance (enfin de plus en plus). Ou à tout le moins, ma façon de gérer cette part en moi, c'est peut-être au final par une lumière que je veux toujours davantage généreuse ; cette inflation m'est coûteuse. C'est peut-être un peu ce qui m'agace, dans ces toiles. Une stratégie si différente de la mienne. Des fantômes à l'état cru. Ça fait peur. Je comprends mieux, maintenant. Je te comprends mieux. Car tu sais, Nelligan et Baudelaire me procurent ce même malaise, bien que je les aime. Je suis plus du genre Rimbaud : écarquiller les yeux et réciter des folies lumineuses, en cherchant la foi, tandis que la folie rôde autour. Je suis né sous le signe de l'oxymore.
Écrit par : Guillaume L. | 30/09/2011
@ laure k.
« il m'apparait peu de style pictural qui parvienne à un tel degré de rendre l'âme dans son état le plus salement dépouillé »
Je suis d'accord. Ça fait beaucoup de sens ce que tu dis.
Écrit par : Guillaume L. | 30/09/2011
@ Guillaume:
Je te comprends mieux moi aussi à te lire, oui nous sommes différents dans cette manière d'appréhender et de régler cette part d'ombre, toi tu la gères si je puis dire dans l'illumination, cette part de brillance dont tu parles, moi dans l'apprivoisement. ma part d'ombre au fond fait partie complète de moi, même je m'en nourris n'ayant pas eu longtemps d'autres choix, elle est un peu une drogue, souffrir c'est aussi exister! Elle influence et cadence ma manière d'être à la vie, d'apprendre à le savoir et d'apprendre à en connaître les ramifications nombreuses et variées ainsi que le racine m'amènent doucement à la sérénité. Ces toiles ne me font pas peur, elle me confortent, au fond. Elles me confortent dans cette solitude que peut -être toute souffrance intérieure et tout conflit en soi, cette détresse interne, intime et infinie...
Rimbaud! Oui, c'est étrange, c'est l'idée que je me faisais de toi avant que tu ne me le dises plus précisement. Connais-tu Norge? Il me semble que tu pourris aimer aussi sa folie poètique quasi enfantine. Né sous le signe de l'oxymore, hum... joli!
Écrit par : helenablue | 01/10/2011
@Helena
Lorsque j'écris un poème très intensément violent et sombre, comme Cimetière en feu, lorsque moi aussi je laisse les fantômes apparaître dans leurs robes de feu noir avec leurs yeux qui irradient le malaise, je me dis ensuite que ce n'était qu'un jeu de l'esprit, un exercice littéraire, une noirceur fugace. Mais je suis forcé de reconnaître qu'il y a bel et bien cela en moi.
Je ne connaissais pas Norge! Je viens de trouver une de ses citations : « Il fait si noir dans le noir il fait si chien dans la nuit, ça vous colle aux dents, la suie, ça désespère l'espoir. »
C'est tellement fabuleusement beau.
As-tu un livre en particulier à me suggérer de ce poète?
Écrit par : Guillaume L. | 01/10/2011
Fabuleusement beau! Oui!
J'aime beaucoup la poésie de Norge et suis heureuse de te la faire découvrir... Je n'ai pas réussi à mettre la main sur les trois livres que j'ai de lui tant régne un capharnaüm de tous les diables dans ma bibliothèque! De mémoire, le recueil d'une grande partie de ses poèmes chez Gallimard est formidable. Tu vas te régaler. Tu me diras, ok?
Écrit par : helenablue | 02/10/2011
Norge, un magnifique poète antiquaire et son fameux livre " les oignons " et dont un ami poète décédé, Moreau du Mans en 1984 lui a consacré tout un recueil intitulé: Sept parole figurative pour le Grand Norge ( Le pont de l' Épée).
Écrit par : versus | 02/10/2011
Merci, je vais trouver ses livres!
Écrit par : Guillaume L. | 02/10/2011
Oh, oh, à force de chercher la bête j'ai mis la main sur un de ses petits!
" La belle saison " aux éditions flammarion.
Je te livre le premier poème du livre en mise en bouche:
Les dix commandements
Brandisseur de décalogue
Ce que tu fais est joli:
Ah, tenter de mettre au lit
La colombe avec le dogue!
Les pots cassés, les mortaises,
Les gravats et les fémurs
D'Ithaque, de Delphe et d'Ur
Sont bien sages dans leurs glaises
Ils ne se rebellent guère
Quand tu leur donnes pour toit
Et pour dalle funéraire
Les grand'tables de la Loi.
Tu peux sceller de ton livre
Leur bon sommeil zélateur.
Un mort est facile à vivre
Sous l'oeil du législateur.
Mais les vifs, mais les vivants,
Les viveurs, les vivandières,
Tout aux fièvres viagères
Sont vivaces fils du vent.
Il leur faut moudre le front
Et régner sur l'hécatombe
Pour plier à ton bâton
Le dogue avec la colombe.
Des soifs et des faimes les gérent;
Hurleurs, mordus et mordants,
Ils ne mâchent leur prière
Qu'avec de la rage aux dents.
Ces mordeurs-là, gens et bêtes,
N'ont pas le coeur à dormir.
La musique des comètes
Leur tire d'affreux soupirs.
Ces mordeurs-là, bien en grappe,
Tout crus, tout chauds dans leur nid
Font les chiens ailés qui jappent
Aux bragues de l'infini.
- Norge -
Écrit par : helenablue | 02/10/2011
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