19/01/2009
L'avenir dure longtemps
En octobre 1990 disparaissait le philosophe Louis Althusser, dix ans après avoir étranglé sa femme Hélène au cours d'une crise de démence. Dans l'intervalle, il avait rédigé L'avenir dure longtemps, afin de "soulever la pierre tombale" d'un non-lieu qui l'avait "enfoui à vie " dans le silence. En effet reconnu irresponsable au moment du meurtre, il n'avait pas eu à répondre de ses actes devant un tribunal: " ce livre est cette réponse à laquelle autrement j'aurais été astreint " , écrit-il .
Dans cet ouvrage , Althusser abat les cartes de son destin où histoire familiale et personnelle, amitiés et amours, tissent avec le parti communiste, l'Ecole normale, la philosophie, la psychanalyse, la psychiatrie et la folie une vie peu commune.
Un texte unique , d'une intensité tragique , poignant , L'avenir dure longtemps a marqué mon parcours et ma mémoire .
" Nul être au monde ne peut répondre à la demande d'angoisse: dis-moi quelque chose! quand ce mot veut simplement dire donne-moi tout, donne-moi d'exister enfin ! de quoi colmater cette angoisse de ne pas exister dans ton regard et dans ta vie, de n'être qu'une simple occasion en passant, de ne pas suffire à constituer ton intégrité entamée à jamais! Et derrière cet appel pathétique, je savais trop, et Hélène elle-même savait trop, ce qui de dissimulait: la terreur fantasmatique d'Hélène de n'être qu'une mauvaise femme, une mère affreuse, une mégère à faire du mal et mal, et avant tout à qui l'aimait ou voulait l'aimer. A la volonté impuissante d'aimer, ne répondait alors que le refus (désir ) farouche, obstiné et violent de ne pas être aimée parce qu'elle ne le méritait pas, parce qu'au fond elle était qu'un affreux petit animal plein de griffes et e sang, d'épines et de fureur . "
" Qu'est ce donc que pouvoir aimer? C'est disposer de l'intégrité de soi, de sa "puissance ",non pour le plaisir ou par excès de narcissisme mais tout au contraire pour être capable d'un don, sans absence, reste , ni défaillance, voire défaut. Qu'est ce alors qu'être aimé,sinon être capable d'être accepté et reconnu comme libre en ses dons mêmes, et qu'ils "passent", trouvent leur voie et chemin de dons, pour recevoir par eux l'échange d'un autre don désiré du fond de l'âme : précisément être aimé, échanger le libre don d'amour ? Mais pour être le libre "sujet" et "objet" de cet échange, il faut pouvoir l'amorcer, il faut commencer par donner sans restriction si l'on veut en échange le même don, ou plus encore, que celui qu'on donne. Pour cela il faut bien entendu et de toute évidence ne pas être limité dans la liberté de son être, il ne faut pas être entamé dans l'intégrité de son corps et de son âme, il faut , disons le, ne pas être " châtré " mais disposer de sa puissance d'être sans en être amputé d'une seule partie, sans être voué à le compenser dans l'illusoire ou le vide . "
-L'avenir dure longtemps - Louis Althusser -
Louis Althusser avait entamé une analyse avec Lacan , ce qui ne l'a pas mis à l'abri de tuer sa femme, Lacan voyait en lui depuis longtemps un cas atypique , cela m'a amusé , étant donné que moi aussi au cours de mes différentes rencontres "psy" j'ai entendu cette phrase moulte fois ! Oh je vous rassure je n'ai tué personne !! Dans son livre , il parle très bien de cette relation qui s'instaure entre l'analyste et son patient ...
" L'analyse est comme un lourd camion chargé de sable fin " . Oui c'est vrai , au début rien ne vient , quelques grains tombent et puis d'un coup d'un seul le sable se déverse et là on se dit , ça y est , c'est bon ... mais non , c'est ce que l'on voudrait croire ... Une analyse , un détricotage de névrose est un processus lent et semé d'embûches . On peut même en devenir son pire ennemi tant la lutte est inégale !"
Ce livre est poignant , autobiographique , recherche d'un homme qui cherche à comprendre comment une partie de lui a pu ainsi lui échapper , superbe écriture , dense et sensible .
" L'inconscient , c'est comme le tricot, il suffit de laine, mais on peut varier les points à l'infini "
21:44 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : livre, psychologie, philosophie, littérature
15/12/2008
le feu
" Si tout ce qui change lentement s'explique par la vie, tout ce qui change vite s'explique par le feu. Le feu est l'ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. IL vit dans notre coeur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de la substance et s'offre comme un amour . Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance. Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires: le bien et le mal . Il brûle au Paradis. Il brûle à l'Enfer. Il est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse. Il est plaisir pour l'enfant assis sagement prés du foyer; il punit cependant de toute désobéissance quand on veut jouer de trop prés avec ses flammes. Il est bien-être et il est respect. C'est un dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais. Il peut se contredire: il est donc un des principes d'explication universelle."
Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu.
08:50 Publié dans philosophie | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : philosophie, poésie, bachelard, photo
28/11/2008
la poétique de l'espace
" Que faisons-nous de plus si nous disons qu'un angle est froid et une courbe chaude? Que la courbe nous accueille et que l'angle trop aigu nous expulse? Que l'angle est masculin et la courbe féminine? Un rien de valeur change tout. La grâce d'une courbe est une invitation à demeurer. On ne peut s'en évader sans espoir de retour. La courbe aimée a des puissances de nid; elle est un appel à la possession. Elle est un coin courbe. C'est une géométrie habitée. Nous sommes là à un minimum du refuge, dans le shcéma ultra-simplifié d'une rêverie de repos. Seul le rêveur qui s'arrondit à contempler des boucles connaît ces joies simples du repos dessiné . "
- Gaston Bachelard -
Je découvre Bachelard , il n'est jamais trop tard pour bien faire !! cela fait des années que ce livre est là , à ma portée dans ma bibliothéque et je ne l'avais jamais ouvert , j'ai encore comme cela quelques ouvrages qui attendent leur heure ! et là , quelle rencontre !!
Je suis encore sous le coup de l'émotion , au moment où j'écris ces lignes , j'ai d'un seul coup le sentiment que quoique j'écrives , mes mots seront pauvres à côté de ce que je viens de lire , et relire inlassablement tant cela résonne comme une douce musique ... que de poésie , de créativité et d'air dans ce livre ... la poétique de l'espace , porte plus que jamais bien son nom , et m'ouvre à des horizons personnels encore inexplorés ...
" Sans cesse les deux espaces , l'espace intime et l'espace extérieur viennent, si l'on ose dire , s'encourager dans leur croissance . Désigner, comme le font à juste titre les psychologues, l'espace vécu comme un espace affectif ne va cependant pas à la racine des songes de la spatialité. Le poète va plus au fond en découvrant avec l'espace poétique un espace qui ne nous enferme pas dans une affectivité. Quelle que soit l'affectivité qui colore un espace , qu'elle soit triste ou lourde , dés qu'elle est exprimée , poétiquement exprimée , la tristesse se tempère, la lourdeur s'allège. L'espace poétique, puisqu'il est exprimé , prend des valeurs d'expansion. "
- Gaston Bachelard -
22:19 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : gaston bachelard, philosophie, poésie
30/09/2008
Charme
- Frederic Mompou : Charmes -
Entre les deux hommes Jankélévitch et Mompou , un attachement et une admiration réciproque,
qui engendra une correspondance ....
Le je ne sais-quoi est dans l'agent ce que la tranquillité d'âme est dans la conscience du patient; en sorte que si l' « acquiescentia animi » est un événement subjectif, le charme désigne, lui, cette mystérieuse propriété de l'objet musical à laquelle nous attribuons notre propre conversion à la paix. Le charme est essentiellement chose problématique, et chacun sait qu'il n'y a pas de recettes pour en avoir, l'idée même d'une « technique » du charme ayant, comme celle de charmeur professionnel, quelque chose de burlesque qui fait peine ; on ne peut à la fois avoir du charme et le dire, encore moins le professer.Le charme est une de ces qualités labiles qui, comme l'humour, l'intelligence ou la modestie, n'existent que dans la parfaite innocence et dans la nescience-de-soi ... le charme est inexplicable ; le charme, en tant que qualité simple, est irréductible ; en tant que non subsumable sous un concept, il est indéductible ; le charme est indivisible ; le charme est indéfinissable, ne se définissant que par soi ; le charme enfin est inexprimable, c'est-à-dire à la fois indicible et ineffable.Quelque nature qu'on lui assigne (par exemple la grâce, le naturel ou la simplicité), il est toujours autre chose, pour la bonne raison qu'il n'est pas « chose », . En soi il n'est rien, et même il n'Est pas : fait de rien, comme on dit, il est luimême un pur Rien. Toujours autre que ce qu'il est, comme la liberté, le mouvement et la vie, il est aussi toujours ailleurs. Est-il plutôt dans le sourire, ou plutôt dans le regard ?... Le charme, étant inassignable, est l'alibi perpétuel. Comment un art où l'utopie dépayse sans cesse la topographie ne serait-il pas un art de charme ? « Nusquam est, quod ubique est », dit Sénèque....Aussi arrive-t-il qu'en désespoir de cause l'intelligence, lasse d'analyser l'inanalysable, baptise du nom de Je-ne-sais-quoi ce résidu insaisissable qui est comme le parfum de l'esprit autour de l'existence ...
Vladimir Jankélévitch |
21:12 Publié dans philosophie | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : vladimir jankélévitch, mompou, musique, philosophie
14/09/2008
Revue de presse
Depuis deux années déja je lis" Psychologies ",
toujours quelques articles intéréssants , quelque petits conseils bien-être , et puis des analyses assez bien menées et divertissantes sur des sujets variés : la relation à son corps , la séduction , les interactions familiales , les stress du monde du travail , la sexualité , la psychologie des enfants .... etc ...
Pendant mes vacances j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt :
" Philosophie " , je crois que je vais récidiver pour le prochain numéro , un article fort intéréssant sur les fréres Dardenne , et plein d'autres réflexions captivantes ...D'aprés l'édito ,le magazine vient de changer légérement de formule ;et bien je trouve cela trés réussi ...
J'ai aussi pour la premiére fois lu " Charlie Hebdo " pour un peu comprendre ce qui s'y passe ...
et puis ce tout nouveau magazine , 2 numéros à son actif ... j'ai bien aimé aussi , une revue plutôt destinée aux femmes, comme son nom l'indique mais pas trop creuse !!
avec quelques pages littéraires et artistiques , bon évidemment de la mode , ça m'intéresse , des conseils de beauté , jamais inutiles mais aussi des articles un peu plus destinés à notre cerveau gauche , ça change !!
j'aime beaucoup aussi les magazines de déco et de cuisine ... je feuillette parfois aussi Les Inkoruptibles , Paris Match mais seulement chez les autres ! , Vogue , Numéro , le nouvel obs. , le Point ou l'Express et j'aime lire le Monde ...
La presse , le dimanche matin au petit déjeuner , la semaine en épluchant des légumes , le soir avant d'aller me coucher , dans le train et parfois la nuit en cas de légères insomnies ; c'est un plaisir toujours renouvelé ...
08:52 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : psychologie, philosophie, femme, presse