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16/03/2009

Brancusi

" Ceux qui appellent mon travail abstrait sont des imbéciles. Ce qu’ils appellent abstrait est en réalité du pur réalisme, celui qui n’est pas représenté par la forme extérieure, mais par l’idée, l’essence de l’œuvre. "

- Constantin Brancusi -

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Brancusi.jpgConstantin Brancusi est né en Roumanie en 1876, dans un petit village d’Olténie aux pieds des Carpates, au sein d’un monde rural et archaïque. Très jeune il quitte son village natal et, en 1894, entre à l’Ecole des arts et métiers de Craïova où il est admis l’année suivante dans l’atelier de sculpture puis dans celui de sculpture sur bois. En 1898, il entre à l’Ecole des Beaux-arts de Bucarest. En 1904, il traverse une partie de l’Europe pour rejoindre Munich, où il s’arrête quelque temps à la Kunstakademie, avant d’arriver à Paris le 14 juillet .

Dès son arrivée à Paris, il poursuit sa formation à l’Ecole des Beaux-arts dans l’atelier d’un sculpteur académique reconnu : Antonin Mercié. En 1906-1907, diplômé des beaux-arts, il expose au Salon d’Automne. Auguste Rodin, président du jury, remarque son travail et lui propose de devenir metteur au point dans son atelier. A cette époque Rodin jouit d’une reconnaissance internationale et près de cinquante assistants travaillent pour lui.

Un mois dans l’atelier de Rodin lui suffit pour estimer qu’« il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres ». Suit une période difficile pour définir son propre engagement d’artiste : « Ce furent les années les plus dures, les années de recherche, les années où je devais trouver mon chemin propre ».

 

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Brancusi_themuse.jpgUne profonde différence dans leur relation au monde sépare les deux sculpteurs. Rodin est un créateur au sens démiurgique du terme. Il impose au chaos de la matière, c'est-à-dire à la terre qu’il modèle, une forme. La taille directe dans la pierre ou le bois ne l’intéresse pas (elle n’est même plus enseignée au sein des académies). Des assistants réalisent en marbre ou en bronze ce qui a été créé en terre ou en plâtre par l’artiste.
Brancusi, quant à lui, est issu d’un monde archaïque et d’une tradition millénaire de la taille du bois. Pour le sculpteur, « c’est la texture même du matériau qui commande le thème et la forme qui doivent tous deux sortir de la matière et non lui être imposés de l’extérieur ».
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C’est une différence essentielle avec Rodin, car Brancusi ne se présente pas comme un créateur mais comme un intercesseur capable de révéler au sein du matériau qu’il utilise « l’essence cosmique de la matière ». Dans le choix préalable de son bloc de pierre ou de bois, Brancusi perçoit par avance, dans la spécificité du matériau, la présence de la sculpture.

La reconstitution de son atelier par Renzo Piano au centre Pompidou est remarquable .

 

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« Ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses. Partant de cette vérité, il est impossible à quiconque d’exprimer quelque chose de réel en imitant la surface des choses », il est profondément ancré dans une pensée qui structure tout l’art du vingtième siècle, depuis Kandinsky, Mondrian ou Malevitch, jusqu’à Yves Klein, Richard Serra ou les artistes minimalistes américains des années soixante.
L’artiste minimaliste américain, Carl Andre, dans sa sculpture intitulée 144 Tin Square, composée de 144 carrés d’étain de même dimension disposés au sol pour former un carré, dira n’avoir fait que mettre à plat La Colonne sans fin de Brancusi.
La sérialité potentiellement infinie des Colonnes et l’importance que Brancusi accorde à la perception de l’espace dans lequel ses œuvres s’inscrivent définiront une grande partie de la sculpture contemporaine à partir des années cinquante.

artwork_images_141111_388404_constantin-brancusi.jpgAu début du siècle Brancusi partage l’intérêt de ses contemporains pour la Théosophie. Cette doctrine, selon laquelle l’homme est tombé de l’ordre divin dans l’ordre naturel et tend à remonter vers son état premier, est très répandue dans les milieux artistiques. Cette pensée influence des artistes comme Kandinsky, Kupka ou Piet Mondrian.

 

Brancusi est aussi l’ami intime de Marcel Duchamp, d'Erik Satie, de Fernand Léger, de Man Ray ou de Tristan Tzara. En 1912, il visite avec Duchamp et Léger le Salon de la Locomotion Aérienne à Paris. Devant une imposante hélice d’avion, Duchamp leur demande si un artiste aujourd’hui est capable de faire une œuvre aussi belle et pure que cette hélice. A cette époque Brancusi a commencé le cycle des Oiseaux, thème qu’il développera jusqu’à obtenir un pur élan ascensionnel. Cette anecdote montre aussi comment sa sculpture, qui fait référence à des sources anciennes et intemporelles, peut entrer en correspondance avec la modernité. La beauté des objets produits par l’industrie passionne cette génération d’artistes du début du 20e siècle.

Autre correspondance avec la modernité : en 1926, lors de son premier voyage à New York, Brancusi souhaite ériger une Colonne sans fin monumentale au cœur même de Central Park. En 1956 c’est une Colonne haute de 400 mètres qu’il souhaitera réaliser à Chicago.

 

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Brancusi_kiss.gifDepuis l’unique atelier du 8 impasse Ronsin, jusqu’à l’ensemble des ateliers du numéro 11 tels qu’ils ont été légués par l’artiste avant sa mort, Brancusi a accordé une importance capitale à la relation de ses sculptures avec l’espace qui les contient.

Dès les années dix, en disposant des sculptures dans une étroite relation spatiale, il crée au sein de l’atelier des œuvres nouvelles qu’il nomme groupes mobiles, signifiant ainsi l’importance du lien des œuvres entre elles et les possibilités de mobilité de chacune au sein de l’ensemble.

En 1922, Brancusi n’a pu se rendre à New York pour l’exposition Exhibition Contemporary French Art où vingt-et-une de ses sculptures sont exposées. Des photographies de la présentation de ses œuvres lui sont envoyées. Disposées contre les murs et mélangées à celles d’autres artistes, elles lui apparaissent comme des objets inertes tant elles ont perdu leur capacité d’expansion dans l’espace. Cet incident le conforte dans l’idée que l’atelier est un espace privilégié pour l’élaboration et la perception de ses sculptures.

A partir des années vingt, l’atelier devient le lieu de présentation de son travail et une œuvre d’art à part entière, un corps constitué de cellules qui se génèrent les unes les autres. Cette expérience du regard à l’intérieur de l’atelier vers chacune des sculptures pour constituer un ensemble de relations spatiales conduit Brancusi à remanier quotidiennement leur place pour parvenir à l’unité qui lui parait la plus juste.

A la fin de sa vie, Brancusi ne produit plus de sculptures pour se concentrer sur leur seule relation au sein de l’atelier. Cette proximité devient si essentielle, que l’artiste ne souhaite plus exposer et, quand il vend une œuvre, il la remplace par son tirage en plâtre pour ne pas perdre l’unité de l’ensemble.

 

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07:15 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : art, sculpture, passion

Commentaires

Merci.
Les sculpteurs me fascinent.
J'aime beaucoup cette citation : « Ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses. Partant de cette vérité, il est impossible à quiconque d’exprimer quelque chose de réel en imitant la surface des choses ».
Tant est dit ;-)

Écrit par : Didier | 16/03/2009

Merci. J'aime beaucoup Brancusi.

Écrit par : Aude | 16/03/2009

L'essence des choses, le sens des choses :l'équilibre, la simplicité des portes d'entrées pour ce sens là ...

Écrit par : laurence | 16/03/2009

J'avais l'intention de mettre le même commentaire qu'Aude... mot à mot.

Écrit par : Claudio | 16/03/2009

Belle approche Hélèna de ce grand mystère. Ce bloc de pierre d'abord caressé, senti de la paume puis attaqué par le burin. Enlever pour trouver ce qui vient, ce qui est là , ce qui chante et palpite à l'intérieur. Se laisser guider par le chant de la pierre qui doit sonner juste. Epurer. Faire sauter l'anecdote au profit de la ligne pure qui guide le volume comme un regard. s'arrêter le front couvert de sueur et de la main blanchie par la poussière de la pierre, caresser, encourager la forme qui naît comme un accoucheur saisit délicatement la tête de l'enfant pour le guider vers la lumière. Tourner autour de la forme, la dévoiler par une danse lente où le regard incise déjà la douce pierre. Puis s'asseoir, fumer une cigarette et sourire , épuisé et comblé ou...tout détruire d'un coup de marteau rageur et pleurer, car elle n'est pas venue, s'est refusée, a fui...

Écrit par : Christiane | 16/03/2009

Chère Christiane , toujours ce même bonheur de vous lire . Et ces mots si proches de mon ressenti .
Certains travaillent la pierre ou le bois pour en extraire l'essence , d'autres les mots . Et je suis toujours très émue de ces rencontres .
Je ne suis ni écrivain , ni sculpteur , et j'ai pourtant le sentiment que la démarche est la même , donner corps .
Et ainsi créer l'émotion .

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

@ Aude et Claudio : Plaisir partagé , je l'aime beaucoup moi aussi .

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

@ laurence : le sens des chose et l'essence d'un être , n'est ce pas l'être qui donne le sens ?

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

@ Didier : les sculpteurs mes fascinent également , cette relation si physique à la matière , cette implication du regard et du toucher , cette mise en vie .

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

Vous êtes un passeur , Hélèna, un passeur entre les autres et vous, entre les uns et les autres et entre l'indicible des mots, des pierres, des corps, des oeuvres saisies par l'objectif ou le pinceau et... en passante... vous vous approchez... et vous vous éloignez (comme celle de Baudelaire si bien chantée par Brassens) .Merci pour tout. Pour vous un cadeau : un galet, tout rond tout lisse au fond de la poche et c'est Brancusi qui sourit....

Écrit par : Christiane | 16/03/2009

parfois il y a écho chez vous à moi de moi chez vous sans volonté ... ça me fait sourire
!

Écrit par : kalor | 16/03/2009

@ kalor : :-) , c'est vrai ... J'ai vu cette tête au jardin du Luxembourg , impressionnante ! et je comptais en parler plus tard , je ferai référence à votre billet ... Chassé croisé de sensibilités communes !
Amitiés
Hélèna

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

Tu parles d'un hasard: j'ai déjà parlé avec un de ses petits-fils qui habite Montréal. Un ancien coureur de haies aux Olympiques. Aujourd'hui un homme à tout faire. Plein de vitalité, d'originalité et un sens de l'humour incroyable. Il m'avait prêté un album portant sur les réalisations de son illustre ancêtre.

Écrit par : Inukshuk | 16/03/2009

Hélèna,
j'ai écrit une sottise repérée grâce à un commentaire de PMB posté sur le blog de deux amis : "lardlibres.canalblog.com". Il y a deus passantes, très belles toutes les deux : "A une passante" de Baudelaire et "Les passantes" un poème d'Antoine Pol mis en musique par Georges Brassens et enregistré par lui en octobre 1972.
Pour me faire pardonner , j'écris ici les deux !

Les passantes (Antoine Pol / Brassens
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets,
A celles qu'on connaît à peine,
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais.

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à la fenêtre
Et qui, preste s'évanouit,
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui.

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage,
Font paraître court le chemin ;
Qu'on est seul peut-être à comprendre,
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main.

A celles qui sont déjà prises,
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent,
Vous avez, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant.

Chères images aperçues,
Espérances d'un jour déçues,
Vous serez dans l'oubli demain ;
Pour peu que le bonheur survienne
Des épisodes du chemin.

Mais si l'on a manqué sa vie,
On songe, avec un peu d'envie,
A tous ces bonheurs entrevus,
Aux coeurs qui doivent vous attendre,
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre,
Aux yeux qu'on n'a jamais revus.

Alors, aux soirs de lassitude,
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir,
On pleure les lèvres absentes
De toutes les belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir.

Voilà pour la première je reviens dans un instant pour le poème de Baudelaire.

Écrit par : Christiane | 16/03/2009

@ Inukshuk :

C'est super ton histoire là , Inuk ! Bien du beau monde à Montréal !

:-)

La vie est pleine de surprise !

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

Me revoici, avec le poème de Baudelaire.

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrais-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Écrit par : Christiane | 16/03/2009

@ Christiane : Oh! Un grand merci pour ces deux superbes textes , cela me touche beaucoup .
Avec toute mon amitié .
Helena

Écrit par : helenablue | 16/03/2009

Somptueux survol... !

Écrit par : Chr. Borhen | 16/03/2009

oui vraiment il donne le sens...

Écrit par : laurence | 17/03/2009

bravo pour le reportage sur Brancusi !
cordialement
alainB

Écrit par : alain BARRE | 19/03/2009

Très bel article Héléna...même si je n'ai pas une passion outrancière pour Brancusi. Je te signale au passage (j'ai un peu de retard dans mes lectures) cette excellente exposition de Rodin...érotique :
http://www.gianadda.ch/wq_pages/fr/expositions/

Écrit par : Sylvaine | 19/03/2009

@ Sylvaine : Oh ! Merci mille fois pour le lien . Je vais pas louper ça !
Amitiés.
Hélèna

Écrit par : helenablue | 19/03/2009

C'est une découverte, pour moi, Brancusi, et je vous en remercie infiniment.

Écrit par : Bast | 23/03/2009

@ Bast : My pleasure . Belle découverte n'est ce pas , c'est un sculpteur qui m'enchante .

Écrit par : helenablue | 24/03/2009

Je viens de tomber dans Brancusi,
comme on tombe dans le silence,
le silence d'un sourire,
d'une forme,
d'un instant...
la table du silence...
la porte du baiser...
la colonne sans fin...
comme le temps...
comme ce temps qui nous reste...
le temps qui reste à vivre...
à chacun de nous...
notre seule richesse,
Brancusi sculpte le silence
du temps d'aimer.

Écrit par : JEAN | 08/12/2010

Merci Jean, c'est très beau.
" Brancusi sculpte le silence du temps d'aimer. "
Je le ressens ainsi aussi.
Merci pour votre poème.

Au plaisir,
Helenablue

Écrit par : helenablue | 08/12/2010

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