31/03/2010
Lucian Freud
L'artiste britannique Lucian Freud est considéré comme le plus important peintre figuratif contemporain. Portraitiste accompli, spécialiste du nu, Freud a recours à l'empâtement pour figurer profondeur et intensité, tout en restreignant sa palette de couleurs à des nuances essentiellement sourdes. Ses portraits, peut-être sans indulgence pour ses sujets, sont honnêtes, francs et assumés. 'Je peins les gens non pour ce qu'ils semblent être, ni exactement en dépit de ce qu'ils semblent être, mais pour ce qu'ils sont', a déclaré Freud.
- Sebastian Smee -
Petit fils du célèbre psychanalyste, son talent n'est pas dans l'écriture mais dans la peinture. Un talent qui se déploie au fur et à mesure du temps qui passe, remettant en question de façon inexorable sa peinture, son geste, son trait, sa matière. Exilé du régime nazi, il suit son père à l'âge de 10 ans en Grande-Bretagne et obtient la nationalité anglaise à 17ans. Etudiant en art, il expose à l'âge de 22 ans. S'ensuivent de nombreuses récompenses jusqu'à l'apogée, en 2008, avec la vente de son tableau 'Benefits Supervisor Sleeping' à un prix faramineux. Si, dans les années 1980, ses oeuvres rencontrent déjà un véritable succès, il ne sombre pas dans la monotonie du geste acquis, parfait et automatique. D'abord peintre de la finesse et de l'hyperréalisme, il choisit de se faire violence et change de matériel : des pinceaux rigides et gros, une matière plus épaisse, et un geste moins lissé. Ce virage donne à ses toiles un nouveau réalisme malgré l'aspect découpé des visages de ses portraits. La lumière est traitée de façon brutale, voire maladroite. Puis il persiste dans ce style qui lui est propre, pour en devenir le maître incontesté. Ses peintures, violentes de réalisme, plus épaisses, froides et presque cadavériques illustrent l'acquisition par le peintre du geste juste et parfait. Ses portraits de personnages communs, volontairement peints dans des positions torturées, illustrent sa vision sans artifice du corps, ou plus précisément, de la chair humaine.
A la différence de Francis Bacon, le dessin a été fondamental dans la formation du regard de Freud et à son développement en tant qu'artiste. Dès le début, il occupa une part importante de sa vie. Son célèbre cahier de croquis, The Freud-Schuster Book, datant de janvier 1940 lorsque Freud était à Snowdonia avec Stephen Spender, a heureusement été conservé, tout comme ont survécu ses croquis réalisés à bord d'un vaisseau sur l'Atlantique en 1941 alors qu'il travaillait dans la marine marchande. Par la suite, il exécuta des illustrations et se fascina pour le dessin d'animaux, de poissons et d'oiseaux comme en attestent ses dessins au trait illustrant le recueil de poèmes de Nicholas Moore, The Glass Tower (1944).
L'œuvre de Lucian Freud est divisé en plusieurs périodes, d'abord une première période aux compositions surréalistes, ensuite une période réaliste dite "néo-romantique" où apparaissent les portraits dans une texture légère. Ensuite vient la période de maturité qui a fait la réputation de l'artiste. Peint dans une texture épaisse, dans des tons bruns, gris et blancs, les portraits apparaissent souvent comme vus avec une acuité particulière qui ne veut cacher aucun détail du visage du modèle scruté. Les portraits sont peints sur le vif, repris de nombreuses fois.
Les modèles nus sont vus dans des ateliers désolés, sur des lits ou des sofas défoncés dans des poses inhabituelles et des attitudes crues. Aucun détail n'est caché. L'éclairage de la scène est souvent électrique, et on remarque des "coups de blanc" sur les chairs des modèles peints qui renforcent la sensation d'éclairage artificiel. Freud parle d'une "déformation particulière" qu'il obtient par sa façon de travailler et d'observer. (source Wiki)
Qu'est-ce que peindre ? qu'est-ce que peindre le corps ? qu'est-ce que cette matière-chair ? quel est son poids ? quelle est son épaisseur ? que font les corps l'un sur l'autre ? l'un près de l'autre ? que font-ils à la peinture ? Lucian Freud se dit "botaniste", il est étonnamment surtout une présence, parfois dérangeante tant elle implique celui qui regarde. Il ne peint que ses proches, ses amis, ses enfants ... et toujours dans l'atelier : l'espace est clos, murs et planchers contiennent les corps. Et lorsqu'il peint l'extérieur, c'est toujours depuis l'intérieur : on repère par exemple un bord de fenêtre et on n'oublie pas que ce qui est vu l'est depuis le dedans - moi qui vois, je suis moi même, en arrière du regard, un corps, un grand contenant. Une peinture criante de sincérité ni sentimentale ni misanthrope, vraie, crue.
Et là, seul dans son corps le bras les muscles la main, tendus par et vers la matière, le peintre aborde notre regard, mais le sien et celui des modèles sont toujours ailleurs détournés, ouvrant une autre direction brisant le face à face obligeant ainsi à voir autrement. Et l'on pense forcément à son ami Bacon dans cette torsion des lignes, ces glissades de couleurs qui infligent aussi une échappée vers la matière. Peintre de chair Freud affirme les corps.
Jusqu'au 19 Juillet 2010 fascinante exposition au centre Pompidou à Paris se terminant par les photographies de David Dawson de l'atelier du peintre.
07:58 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (35) | Tags : art, peinture, expo, paris, rencontre, humain
Commentaires
Troublant et dérangeant, mais très habité ; ça ne doit pas être facile d'être le petit-fils de Sigmund Freud, et assez névrotique en soi....non ?
Écrit par : anne des ocreries | 31/03/2010
vraiment troublant.... on sent l'influence de papy !
je ne connaissais pas... merci de cette découverte !!
tres forts comme tableaux
bizous a toi
Écrit par : Ibid Norio | 31/03/2010
Passionnant sujet, ces toiles me parlent, la crudité de la lumière sur les corps exposés, un certain goût à fixer la déchéance fragile corporelle au travers des décors.
En regardant je me disais qu' il était dommage de se contenter d' un écran, je suis donc ravie d' apprendre que je peux m' écarquiller les yeux dès à présent, devant la grandeur de ces toiles. Plus que ravie.
La peinture est un art revigorant.
Je transfert... (!)
Amitié, Blue
Écrit par : laure K. | 31/03/2010
Peintre de la chair, oui. Superbe billet, enrichissant et complet, comme toujours, tu vas au fond, Blue. Merci.
Écrit par : piedssurterre | 31/03/2010
Je ne connaissais pas. C'est impressionnant de vérité. C'est du 3D.
C'est vivant. Mouvant.
Merci pour la découverte.
Écrit par : Claudio | 31/03/2010
J'adore ! Je vais voir l'expo sous peu.
Écrit par : nikkos | 31/03/2010
Bonjour,vous avez surement lu l'article de Dagen,vous ne trouvez pas qu'après quelques bonnes huiles dans les années 80,cela vire un peu "croûte" ? Provocation un peu gratuite de ma part,Hélène,mais jusqu'à présent je souscrivais à vos choix picturaux et là je suis surpris.Bien à vous,vincent.
Écrit par : vincent | 31/03/2010
L'article de Ph.Dagen : http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/03/11/lucian-freud-peintre-academique-de-l-obscene_1317671_3246.html
Écrit par : vincent | 31/03/2010
le lien : http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/03/11/lucian-freud-peintre-academique-de-l-obscene_1317671_3246.html n'est pas passe,je re-essaye..
Écrit par : vincent | 31/03/2010
Une pensée pour Stanley Spencer, chère Blue et, peut-être, pour Matthias Grünewald. L.F. est un grand maître de la peinture réaliste, mais au spirituel plutôt tordu, sinon vraiment torturé. Il serait bien capable de rendre repoussante une rose. Le contraste entre la molle et élégante douceur du modèle et la dureté quasi-anguleuse de la peinture dans ta 7e vue est saisissant .
Écrit par : giulio | 31/03/2010
Merci cher Giulio, Stanley Spencer, j'aime bien, j'ai plus de mal je l'avoue avec Mathias Grünewald au spirituel torturé tu as raison!
Souvent les modèles de Freud étaient surpris du résultat, le contraste est en effet saisissant, c'est pourquoi j'ai choisi la photo, il peignait la réalité telle qu'il la voyait lui, au travers de son prisme, de sa névrose peut-être aussi comme le soulève Anne...
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Vincent:
Heureuse de vous lire ici. Hum...
Monsieur Dagen n'a pas l'aire d'apprécier du tout la peinture de Freud à le lire, merci pour l'article, le lien est bien passé. Un peu " croûte" dîtes vous, c'est osé et un tantinet provocateur mais je peux comprendre, il y a beaucoup de matière dans la peinture de Freud, elle est très charnelle, et je n'aime pas tous ses tableaux, certains même me dérangent mais je suis néanmoins interpellée par cette recherche sur les corps et ce rendu quasi palpable, c'est tout à fait fascinant.
Je ne pourrais en aucun cas malgré tout le comparer à un Francis Bacon que je trouve réellement plus puissant même s'il y a une certaine filiation dans cette torsion, ce malaxage ...
Vous dîtes être surpris, voulez vous bien m'en dire davantage, qu'est ce qui vous surprend le plus dans ce choix là?
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
Ah voilà,Bacon..c'est une autre catégorie quand même,on est d'accord. En fait en ce qui concerne vos choix j'ai été maladroit,on ne peut pas avoir que des gouts communs.Dagen ne l'aime pas et il se le "paye",il faut dire assez facilement,mais Dagen est un vieux routard,une autorité,et il ne rend pas de comptes.
Croûte n'a pas obligatoirement à voir avec l'empâtement et la matière je pense,mais au fait que Freud s'est enferré dans un système pictural assez répétitif et qui avec les décennies a perdu,à mon avis,la puissance expressive qu'il a pu avoir au début.Si on peux faire des suppositions,je crois qu'il aurait mieux fait d'aller vers l'abstraction,ou bien alors de pousser ce gout du tactile dans le sens d'un Rebeyrolle,magnifique artiste que vous nous avez récemment rappelé.Celui-ci empâte,platre même,et cela ne fait jamais croûte car c'est le sensible qui domine.Ce même sensible que je n'arrive pas à déceler chez Freud.
Écrit par : vincent | 31/03/2010
Une autre pointure sans conteste, Bacon, c'est un de mes peintres de prédilection, il fait partie de ceux qui m'ont remuée très profond! Bon! Evidemment pour Dagen l'exercice est facile, mais je trouve bien qu'il ai l'honnêteté de le faire, bah! il peut se le permettre...
Je vois, oui, il y a un systématisme qui le dessert, pourtant certaines de ses toiles m'ont vraiment émue mais pas du tout de la même manière que Rebeyrolle que vous citez, tactile oui le mot est tout à fait juste le concernant, il n'y a pas ce sensible chez Freud mais une sorte de cruauté si je puis dire.
On ne peut pas avoir que des goût communs, c'est vrai, mais partager certains goûts est un vrai plaisir, merci de m'avoir répondu.
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Laure K:
De près c'est saisissant, tu me diras ce que tu as pensé de l'expo, Ok?
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ anne:
pas facile d'être le petit-fils de Sigmund, sans doute... mais pas forcément pire non plus! Le caractère névrotique de sa peinture pourrait être dans cette répétition que souligne Vincent, il y a une sorte de violence je trouve dans son choix de sujet et la manière de les traiter, parfois dérangeant, oui.
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Ibid Norio:
Hey! Hello Ibid, comment vas-tu? Toujours à filer l'amour parfait avec ta douce Angéle?
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Piedssurterre:
My pleasure, ça va mieux?
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Claudio:
j'attends avec grande impatience non feinte la commande...
:-)
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
@ Nikkos:
Ok! Tu nous diras ton ressenti, please...
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
merci de m'avoir répondu.
Ecrit par : helenablue | 31.03.2010
Ben quand même,non ?..
Écrit par : vincent | 31/03/2010
:-)
Écrit par : helenablue | 31/03/2010
yes !
Écrit par : laure K. | 31/03/2010
@ vincent:
avez-vous remarqué quand même à quel point Lucian colle physiquement à sa peinture, c'est si frappant dans le regard de Dawson!
Écrit par : helenablue | 01/04/2010
Ok! On s'en reparle...
xx
Écrit par : helenablue | 01/04/2010
J'aime, Helena gracile, que vous affrontiez la beauté de cette laideur-là. Il fait le pari de l'indolence, du j'en ai marre ! j'm'étale ! le corps s'abandonne à sa pesanteur animale imperméable au regard de l'autre. Plus de tenue, de retenue, il est. Intérieur clos sur une rumination bovine et passent les trains et tombe la pluie... Le corps se fera lait et viande et voilà notre peintre délivré du beau et passant le soc de ses pinceaux dans les glaises de la chair et il s'y enfonce sensuellement, si proche de la création du monde là ou la vie l'emportait sur le beau, le beau devenant souffle d'herbe et somnolence. Superbe !
Écrit par : Christiane | 01/04/2010
Justement,j'ai surtout l'impression qu'il colle à ses tubes de couleurs..
Dans les années 70 des artistes s'immergeaient dans la matière,le living theatre et tout ça.Cela me parait plus conséquent et plus dans la ligne de Rubens en fait que ce retour au chevalet,trés mono-maniaque en fait.
Saviez-vous que Magritte n'avait pas d'atelier,juste un chevalet dans le salon ?
Bon,discussion à suivre..
Écrit par : vincent | 01/04/2010
Oui, je le savais, dans le genre dense celui de Francis Bacon n'est pas mal non plus, il m'a toujours impressionnée, une oeuvre d'art en soi, non?
Écrit par : helenablue | 01/04/2010
et ce qui me parait naturel chez Bacon me semble jouer ici.
Écrit par : vincent | 01/04/2010
Au premier regard, j'ai eu le même "feeling" qu'avec le sculpteur Run Mueck.
Cette sensation de guérir instantanément d'une longue myopie. Être amené à voir le moindre pore, la moindre aspérité d'une macro réalité. Les êtres entiers ne sont jamais sobres , impeccables et ne font jamais acte de contrition lorsqu'ils bousculent nos vies ordinaires. Ces artistes ont l'immense capacité de freiner la vie jusqu'à l'arrêt sur image, de la reprendre un peu et dire à tous "Regardez ce qu'il y avait et que vous n'avez pas vu."
Écrit par : MakesmewonderHum! | 01/04/2010
Oh! Impressionnant le travail de ce sculpteur, je ne connaissais pas, c'est tout à fait troublant déjà en photo sur un écran en réalité ça doit être décapant!
Comme toi, j'aime assez ça, cette "bousculade", ça "karchérise" les méninges et oblige à voir autrement... Et rencontrer des artistes qui en ont la capacité est une grande chance!
Écrit par : helenablue | 01/04/2010
vraiment troublant tout cela.
Je suis assez estomaquée. Je ne connaissais pas cet artiste.
Je vais revenir encore pour digérer le tout et réfléchir à l'impact que cela à sur moi. Parce que l,art c'est justement une question d'impact.
En photographie, je me souviens d'une bonne discussion entre est-ce une belle photo ou est-ce une belle fille en photo ? parce qu'une bonne photo ne nécessite pas un beau sujet, mais il vrai que tout le monde se fait avoir souvent.
merci pour la découverte !
Écrit par : Éléonore | 01/04/2010
Sauf qu'en plus par rapport à Run Mueck( qui ne fait que reproduire avec exactitude une réalité assez décevante et très souvent "médicale"donc peu tendre) il y a toujours chez Freud une magnificence de la posture. C'est dans cette beauté du mouvement qui se laisse découvrir sans s'imposer que se cache l'oeil amoureux du peintre...
Écrit par : laurence | 01/04/2010
les oeuvres de Run Mueck me sont apparues comme un coup de poing, également, je les ai découvertes à l' étranger pas du tout préparer à ce genre de télescopage surdimensionnée, fascinant.
Pour l'expo de Lucian freud, je m' attends au mieux à déguster ... sens propre, sens figuré -
Écrit par : laure K. | 02/04/2010
Sympa votre billet comme le reste de ce site. Je me permet de twitter. Je reviendrai lire vos messages avec joie sur cette page web et je l’ajoute à mes bookmarks.
Écrit par : sophia | 19/04/2012
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