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14/01/2011

flash back

J'étais au restaurant juste en face de l'endroit où je sévis six jours sur sept, il devait être à peu de minutes près treize heures. C'est rare que je me pose pour le déjeuner mais là j'en avais franchement besoin, exténuée par la masse de travail abattu la veille et le matin même. Je me suis assise lourdement devant le feu à gaz craignant même que les flammes n'emportent ma tignasse, il faut dire que c'est assez étonnant ce petit feu en hauteur qu'a installé dans son espace mon auvergnat d'en face que je connais maintenant depuis plus de vingt ans; on a ouvert ensemble nos espaces respectifs mais on est toujours restés assez distants, ce n'est pas un grand bavard ni un grand affectif, quoique depuis quelques années je trouve qu'il s'assouplit, sans doute depuis qu'il est devenu papa, je ne sais pas, mais je pense que d'être père peut permettre à un homme de laisser un peu plus son coeur prendre la relève et lui ouvrir les portes de sa sensibilité, lui permettre de l'exprimer, du moins pour certains êtres qui sont comme çà un peu tendus renfermés sur eux-mêmes...

Juste à la petite table d'à côté, justement un père était attablé avec sa petite fille, elle devait avoir environ sept ans, elle était trop mignonne avec ses petites tresses châtaignes et ses petites boots fourrées. Elle regardait son père avec des grands yeux, il était particulièrement doux et tendre avec elle, souriant, lui racontant des tas de choses, s'intéressant à ce qu'elle aimait, ce qu'elle désirait, ce qu'elle vivait, ce qu'elle voulait manger..."Des frites et du jambon, j'aime ça les frites et le jambon!", Quelle excellente idée! J'étais tellement occupée avec ma fatigue et mes soucis du jour que je n'ai pas venu venir tout de suite les remontées qui imprégnaient doucement mon cerveau, pourtant habituellement je suis plus vigilante, mais là, je n'ai pas tout de suite prêté attention à ce que produisait sur moi cette jolie et proche scénette et j'ai commandé une bière, une blanche de Brugges c'est celle que je préfère! 

En buvant tranquillement perdue dans mes pensées, j'ai eu d'un seul coup comme une affluence dans la gorge, des sanglots étouffés empêchaient le liquide mousseux de s'écouler normalement jusqu'à mon oesophage et je fus prise d'une sorte d'étranglement vraiment incontrôlable! J'ai eu d'un coup d'un seul une remontée d'images; cette petite fille que j'entendais dire à son papa " J'ai pas mon cahier d'images, celui pour dessiner...", moi au même âge... Je repensais soudain à mes petits carnets, ce que j'écrivais à l'époque, ces petits journaux intimes bourrés de mots, de dessins, de photos. Tous ces petits morceaux de moi, de mon passé, de mon petit coeur de petite fille que papa et maman, plus de dix ans après, ont jeté au feu cruellement sans me demander ce que je voulais bien en faire, sans savoir une fois de plus ce qu'ils faisaient. Double blessure de l'intime, corps et esprit, ils m'avaient presque tout pris, ils avaient tout atteint!

J'ai ravalé mes sanglots muets d'enfant d'alors, j'ai fini ma bière, en ai repris une autre, je n'ai pas opté pour le jambon-frites, j'avais commandé en arrivant le plat du jour, un coq au vin qui n'était pas loin de me rappeler celui que faisait ma mère. Et je me suis redis une fois de plus que ce beau gâchis de l'époque toute cette engeance tout cette souffrance tout ce merdier faisaient décidément partis intégrante de moi et que c'était chouette de voir d'autres possibles, que ça me faisait chaud au coeur de savoir qu'une petite fille pouvait ainsi être aimée et respectée par son père, je crois d'ailleurs qu'à ce moment là je lui ai souri et qu'un flot de tendresse et de reconnaissance m'a emplie d'air la tête et de douceur l'âme. J'ai fini allègrement mon repas et suis repartie bien plus légère que je n'étais entrée tout en leur souhaitant une bien belle journée. Si je ne m'étais pas retenue, je les aurais, tous les deux, volontiers embrassés!

 

 

 

Commentaires

Lorsque l'on reprend le contrôle sur un tel flash back en le quittant avec le sourire et la volonté d'embrasser la vie, plus rien ne peut nous arrêter.

* La Blanche de Brugges? Ah bin saperlipopette!

Écrit par : MakesmewonderHum! | 14/01/2011

"sans savoir une fois de plus ce qu'ils faisaient", dis-tu. Oh que si, Blue! Ils faisaient de la place. Certes, parfois, la place, c'est du néant, du vide. Mais comment savoir. Un peu d'indulgence, Helena! Comment savoir ce qui importera plus tard comme souvenir à mes enfants ? Les miens, si je continue à tout garder, comme je l'ai toujours fait, auront besoin de maisons immenses pour y ranger mes dizaines de milliers de livres, photos, dessins et poésies d'enfant, certificats scolaires, tableaux, lettres de partout. Tiens, voilà encore une lettre (ruse cyrillique manuscrit donc illisible) écrite par une amie à ma grand-mère maternelle en 1910... Tiens, voilà encore quelques bons du trésor du 19e, où cette longue série de lettres d'un instituteur suisse, probablement mort à l'heure qu'il est, ou ces photos de classe suisse avec une instit super-fière de ses chérubins à une époque (il y a 59 ans) où l'on pouvait photographier les enfants sans un certificat des parents (je te l'envoie par mail; voyons si tu m'y trouves!), ou ces centaines de contes, de poèmes, de romans, d'histoires plus ou moins avortées qui n'ont trouvé d'autre éditeur que les E.D.G. (Editions du Grenier) et des documents de famille remontant au 18e siècle, tout ça et bien plus encore, que je garde pour que mes enfants ne pleurent pas comme toi, tu sais ce qu'ils vont en faire, mes gosses, une fois qu'ils auront bouffé des kilos de poussière ? Ils vont appeler un brocanteur ou autre firme "Videcavesetgreniers" et tirer un grand ouf quand ils seront repartis avec tout le saintfrusquin. Tout est poussière. Tempus irreparabile fugit. Vanitas vanitatum!

Écrit par : giulio | 14/01/2011

@ Giulio:

Ah! Giulio, Giulio, cher Giulio, faire de la place tu dis, de l'indulgence tu me demandes... Ah! Mon ami si tu savais! Ces journaux là ne prenaient pas de place, mais ils étaient pour moi importants, aurais-tu jeté " pour faire de la place" les journaux intimes de tes enfants avant de leur demander quoiqu'est-ce? Les fringues, les objets, les posters, toute la déco de ma chambre de jeune fille qui du jour au lendemain a été transformée en pièce nue, ça m'est égal, mais tous ces mots consignés avec soin et sans doute beaucoup de besoin dans ces petits carnets, moi ça m'arrache l'âme qu'on ne m'est pas consultée avant, juste un petit carton de mes sentiments, c'était pas grand-chose! D'autant que ce n'est pas l'espace qui manque chez eux, c'est un espace me concernant dans leur coeur... J'avoue, tout le reste m'est égal, ces petites choses, et mon nounours confident restent en suspend... dans mon indulgence! Bon, nounours lui est au cimetière des nounours avec d'autres nainains, pandas, singes ou grenouilles de tout acabit, mais les mots , mes mots d'alors! Comment te dire...

Écrit par : helenablue | 14/01/2011

As -tu lu "Journal d'hirondelle" d'Amélie Nothomb?
"je trouvai un cahier de jeune fille...En l'entrouvant je vis une fine écriture enfantine qui bleuissait les pages. Je refermai aussitot le carnet avec honte.Pour la première fois j'avais la sensation physique du bien et du mal".

Écrit par : Manouche | 14/01/2011

A force de rencontrer votre regard sur les blogues des autres, enfin lire ici les lignes tracées par vos mains.

Écrit par : versus | 14/01/2011

@ Manouche:

Non, je ne l'ai pas lu!

Écrit par : helenablue | 14/01/2011

@ Versus:

Bienvenue dans mon antre...
:-)

Écrit par : helenablue | 14/01/2011

Bzzz...nous t'aimons.

Écrit par : le bourdon masqué | 14/01/2011

Thanks, I love you too..

Écrit par : helenablue | 15/01/2011

" Open your mind ", helenablue est le titre d' une magnifique partition musicale de Laurie Anderson et que j' aime tout particulièrement.
La connaissez-vous ?
On la trouve sur son dernier opus, Homeland. ( Deezer ).

Écrit par : Versus | 15/01/2011

@ Versus:

Non, je ne la connais pas, et je vais m'empresser d'aller la découvrir, merci à vous.

Écrit par : helenablue | 15/01/2011

Elles pèsent lourd, ces blessures d'enfances, elles nous poursuivent longtemps.....ce qui est bien, c'est que tu t'aperçoive que l'amour, le respect et l'écoute des parents vers leur enfant est possible, existe. Quand bien même nous ne l'avons pas eu, nous pouvons les croiser, nous pouvons vérifier leur existence, apprendre en quoi ça consiste - et choisir de nous les approprier, enfin, et de nous consoler de nos manques à travers ce que nous recevons MAINTENANT.

Écrit par : anne des ocreries | 15/01/2011

@ Giulio:
Je ne connais que 2 ou 3 ouvrages édités par les éditions du grenier, ceux de Camille Bryen — Les Quadrupèdes de la chasse et Dessins automatiques — et celui d'Armel Guerne, Oraux. Pouvez-vous me donner des précisions sur les autres livres dont vous parlez (14-01-2011) et, si vous en avez, des informations sur les Éditions du Grenier 6 rue Victor Cousin à Paris Ve. Je serais comblé. Merci de votre aide.

Écrit par : Jules RIDEAU | 09/09/2011

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