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02/08/2011

Le Tournant

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" Où l'histoire commence-t-elle? Où notre vie individuelle prend-elle sa source? Quelles aventures, quelles passions englouties ont modelé notre être? D'où viennent les traits et les tendances multiples et contradictoires dont est fait notre caractère?

Sans aucun doute, nous avons des racines plus profondes que notre conscience ne veut l'admettre. Rien ni personne n'a d'existence indépendante. Un rythme universel détermine nos pensées et nos actes; la courbe de notre destin fait partie d'une formidable mosaïque qui, à travers les siècles, dessine et varie les mêmes figures, depuis la nuit des temps. Chacun de nos gestes répète un rite ancestral et anticipe en même temps sur les attitudes de générations futures; l'expérience la plus solitaire de notre coeur n'est jamais que la préfiguration ou l'écho de passions passées ou à venir.

C'est une longue quête, un long chemin: nous pouvons revenir en arrière et le suivre, jusqu'au demi-jour blafard de la caverne du temple barbare. Le sanglant cérémonial du sacrifice se poursuit dans nos rêves, dans notre subconscient résonne l'écho des cris qui montent de l'autel primitif, et la flamme qui dévore la victime continue à jeter ses lueurs vacillantes. Les tabous ataviques et les pulsions incestueuses des générations d'autrefois restent vivantes en nous. La couche la plus profonde de notre être expie la faute de nos ancêtres; nos coeurs portent le fardeau des chagrins oubliés et des tourments passés.

D'où me vient ce sang fiévreux? Parmi mes aïeux nordiques, il dut y avoir des pirates, dont l'infatigable agitation se perpétue en moi. Laquelle de mes faiblesses, lequel de mes vices dois-je à un ancêtre hanséatique-capitaine, juge ou marchand- dont je ne connaîtrai jamais le nom? Ce que j'ai tenu pour mon drame le plus personnel n'est peut-être qu'une suite de tragédies qui se sont jouées autrefois dans l'époustouflante atmosphère de bonhomie confortable d'une maison patricienne du nord de l'Allemagne- quelque part, bien loin, sur les rivages de la Baltique."

-Klaus Mann - Le Tournant, histoire d'une vie -

 

Commentaires

Ça, vois-tu ça me parle vraiment ce texte, pas tellement que je voudrais être rabat-joie sur notre unicité mais hélas elle l'est que dans la perspective d'un petit groupe d'individus (amis, famille,zone personnelle d'influence) sinon, vraiment, l'humanité est un peu bêlante dans sa lenteur à évoluer. Le seul clash à l'horizon c'est cette formidable rapidité à communiquer l'information, bien que toujours à la mercie de la première dictature qui "unplug" à volonté, sans parler que s'il fallait que cette capacité de communiquer nuise à l'Ordre mondial on aurait tôt fait de nous raser le buisson beau-parleur. Le boulet que l'on traîne tous au pied c'est que notre cerveau, cette belle pâte à la naissance, se formate à une étonnante vitesse pour peu à peu prendre sa vitesse de croisière, le "joystick" bien enfoncé sur "N". C'est peut-être mieux ainsi, relâcher +- 7 milliards d'individus en quête d'unicité, comme on aime imaginer, reviendrait à libèrer tous les fauves de la planète dans l'unique comptoir des viandes de votre supermarché. Bon, va pour les végétariens mais la merde de lions ça vous empeste les salsifis, croyez-moi!

Écrit par : MakesmewonderHum! | 02/08/2011

pour toutes ces raisons, il y a projet à:

"Tenter de découvrir des lignes de force dans une personnalité complexe,
les composantes essentielles de sa physionomie morale,un itinéraire subjectif, mais choisi après une longue fréquentation.
Donner à voir du paysage intérieur."

Il fait bon par ici...

;-)

Écrit par : Lorka | 02/08/2011

@Lorka Les quais de la gare du cyberespace déversent sont flot de voyageurs encore endormis et courbaturés par tant et tant d'aventures. Vous me semblez du dernier arrivage?

Écrit par : MakesmewonderHum! | 02/08/2011

J’avoue que cet extrait me parle plus que la citation de Wilde. Mais c’est bien du pur Blue puisque, à moins que je sois totalement dans les patates, ça me semble éclairer ton point de vue sur une affirmation de soi qui ne se réduit pas au nombrilisme.

Parce que c’est vrai que, de prime abord et prise au pied de la lettre, la conception de l’art exprimée par Wilde me semble assez limitative : elle renvoie à celle, dominante, qui nourrit le culte de la personnalité - avec cette conséquence pénible que, souvent, l’œuvre n’a d’autre fonction ni intérêt que d’attirer l’attention sur l’artiste, sa personnalité, ses frasques, etc. (À tel point d’ailleurs que pour plusieurs, il suffit de réunir les traits de caractère les plus détestables abusivement associés au "génie artistique" pour se déclarer artistes à leur tour, sans même se donner la peine de proposer la moindre création, "ils ont ça en eux" et puis voilà...) Conception abusive aussi, dans la mesure où l’affirmation de soi n’est certainement pas le privilège exclusif des artistes.

Mais tu me sembles l’entendre plus largement, avec beaucoup plus de nuances. Et dans cet extrait de Mann justement, le soi devient un nous! Mais incarné dans une personnalité unique et dont l’unicité réside dans la composition particulière d’un héritage à la fois multiple et intemporel. Et là, oui, on voit mieux que l’affirmation de soi puisse être le devoir de l’artiste et aussi son privilège, l’art étant seul capable de révéler les nuances infinies de ce nous que chacun porte en soi…

Écrit par : Le Plumitif | 02/08/2011

Bingo cher Plumitif! Une fois de plus tu m'as comprise entre les mailles du filet si je puis dire...
J'entends effectivement cette affirmation de soi beaucoup plus largement.

Disons pour le faire en raccourci que l'affirmation de soi me paraît la première étape, déjà pas forcément offerte à tout le monde et qui pourtant devrait l'être à tous. Celle de l'artiste est de l'ouvrir au monde, pour reprendre tes mots: " parce que l'art est seul capable de révéler les nuances infinies de ce que chacun porte en soi", en écho, en miroir, en possible de s'y voir et de s'y retrouver. A mon sens, être un artiste est une chance qui implique une grande responsabilité et une grande humanité. Bien plus que des critères de caractère ou de manière de vivre. C'est un état d'esprit et une extra-sensibilité aux choses de la vie, un regard en deçà et large.

Écrit par : helenablue | 02/08/2011

Pour illustrer les possibilités et limites implacables à laquelle une démarche artistique, aussi sensible soit-elle peut être confrontée lorsque l'imagination, (l'affirmation toute personnelle de l'artiste) choisie justement comme canevas de réduire partiellement la misère humaine en la sortant de son contexte pour la donner à voir à tous de façon magistrale, il y a ce film documentaire sur l'artiste Vic Muniz "Waste land" qui, à mon avis, en est une des meilleures illustrations. Cette confrontation entre la plus sordide pauvreté et notre monde occidental des ayant droit qui avons, depuis nombre de générations européennes, nord-américaines (et autres, qui découlent de nos inlassables conquêtes), structuré ce qu'est la liberté de penser comment on y accède tantôt par l'éducation tantôt par prises de conscience collective. A en faire l'exercice en disant avec le détachement qui s'impose: "Va pour l'artiste mais de grâce qu'il s'affirme le moi en bossant! Nous avons dévelloppé collectivement cette quête bien "normale" de liberté de penser et d'agir librement bien installés dans nos certitudes acquisent au fil des temps et encore un peu plus bien enfoncés dans la plus formidable douillette que la consommation démente nous procure. Le hic de toute cette culture de l'individu c'est qu'elle ne s'applique qu'à 20% de la population mondiale. L'autre portion de cette humanité, comme on dit, bave, pas tellement du manque de liberté ( pas de peau ils ne l'ont pas inventé,eux!) bave des petits labeurs qui étanchent à peine la faim et la soif qui reviennent sans cesse, bave des souffrances de la maladie qui s'installe à demeure, bave de ses filles qui meurent en couche...en fait le restant de l'humanité est un peu baveuse, c'est en tout cas ce que ce film démontre.
Je ne le crois plus à l'affiche, faudra se rabattre sur la location en DVD.
Bon visionnement, si la liberté et l'affirmation de soi vous en dit!

Écrit par : MakesmewonderHum! | 03/08/2011

La plus belle invention de sapiens c'est la bande molletière. Le bandana bien serré également. Ça enfle...
Bzzz...

Écrit par : le bourdon masqué | 03/08/2011

Je relis sur Wikipédia la biographie de Klaus Mann, jamais un homme m'a paru aussi proche dans ses idées, dans sa recherche aussi essentiel, dans sa façon d'être aussi créatif, il est mon auteur favori...et Méphistophélès et le Tournant sont des oeuvres étonnement présentes...

Écrit par : laurence | 03/08/2011

l'extrait du tournant que tu cites est remarquable ; difficile de ne pas partager cette idée que la vie qui n'est pas toujours un long fleuve tranquille mérite d'être vécue à fond

Écrit par : alex | 03/08/2011

Ce qui me bouleverse chez Klaus Mann, c'était son suicide un mois aprés avoir achevé son autobiographie! En cela il reflète la complexité du personnage. Il était issu d'une famille d'écrivains éminents dont il a subi forcément l'influence, avec un autre frère qui s'est suicidé aussi; On peut dire que le destin de cette famille ne rentre pas dans les normes des communs des mortels.
Un point, que je relève, il était hommosexuel, son père thomas, l'était aussi et il avait des correspondances avec André Gide qui lui assumait son hommosexualité. Il faut dire qu'à l'époque du nazisme, il faisait pas bon d'être hommosexuel! Je me pose la question: n'etait-ce pas cela son "tournant"?

Écrit par : bizak | 04/08/2011

Mmêmme un hommosexuel ne saurait termminer son autobiographie avant d'avoir vécu, mman.

Écrit par : Christian Mistral | 06/08/2011

Bonjour, Le Tournant est l'un des plus grand livre que j'ai lu de ma vie. Chef d'oeuvre. Rien d'autre à dire. Bonne après-midi.

Écrit par : dasola | 04/11/2011

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