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19/09/2011

la photo de famille

Hier nous fêtions en famille l'anniversaire de mon homme et de notre fils aîné. Depuis quelques années nous faisons un groupé, leurs dates respectives tombant à deux jours d'écart, l'un le 19, l'autre le 21. Nos trois grands sont présents, chacun avec leur douce. C'est la première fois que notre petit dernier nous amène une belle qu'il vient de rencontrer sur les bancs de la fac, un beau petit brin de fille venant droit du Viêt Nam pour apprendre le français dans notre bonne ville du Nord, une occasion pour moi de parfaire mon anglais car pour l'instant elle n'a pas encore beaucoup de mots à son vocabulaire, je me demande d'ailleurs comment elle arrive à suivre ses cours d'économie. Nous sommes tous les huit à table, comme d'habitude la conversation va bon train. Il y a toujours une ambiance joviale et complice quand on se retrouve tous. On reparle de choses d'avant, de vieux souvenirs et puis on se partage ses visions d'avenir, ce à quoi on aspire. Chacun se livre un peu, on se chambre, on part dans des fous rires, on se raconte, on s'entend bien. Voulant montrer de plus près à son béguin asiatique une carte de Ben que j'ai mise sous verre sur la console longeant la table de la salle à manger, Pierre attrape l'objet et le pose devant elle. C'est comme ça que je découvre que derrière et depuis des années se cache une photo que j'avais oubliée. Et quelle photo! Comme le dit mon homme: "C'est une rescapée!". En effet, toutes les autres, je les ai, brûlées.

La photo n'est pas de grande qualité. En jetant vite fait un oeil sur ceux qui posent, on comprend que c'est notre plus grand qui l'a prise lors d'une réunion de famille dans la maison de mes parents. De gauche à droite il y a mon grand-père maternel, royal, sa canne à la main, costume gris chemise blanche cravate sombre et une petite laine gris pâle pour se prémunir des frimas du mois de Décembre, la photo est datée à l'arrière, 16 Janvier 93. Juste à côté de lui se tient ma petite soeur, elle a encore à cette époque ses cheveux longs tout bouclés, un immense sourire éclaire sa frimousse, elle porte un pull blanc et a pour l'occasion mis des énormes boucles d'oreille multicolores, sur ses genoux, mon second tout blond en salopette grise, un regard rieur à l'objectif et dans ses mains une petite voiture, il a longtemps adoré les petites voitures, maintenant grand il les préfèrent grandeur nature. A sa droite ma grand-mère avec son fameux gilet vert, c'est celui qu'elle préfère, une robe rouge et une écharpe blanche, elle a sa mimique habituelle un peu bécassine sur les bords et un air ahuri, à côté d'elle, maman. Une robe rouge elle aussi et une veste grise, une broche en grappe de raisin sur le revers, une paire de lunettes carrées qui lui mangent la moitié du visage. C'est fou ce qu'elle ressemble à son père, stupéfiant. Ces cinq là sont assis sur une méridienne en velours gris vert qui du côté de papy fait une arabesque accentuant sa posture de patriarche régnant en maître sur ses sujets. Debout derrière juste au centre, mon homme. Dieu qu'il paraît jeune sur ce cliché! D'un côté en laissant bien un espace entre eux, mon père, qui se trouve ainsi entre les deux mères. Il porte lui aussi un complet, mais un beige foncé et une cravate brune, sa chemise est bleu ciel, ça n'est pas très heureux. De l'autre mon frère et sa femme bras dessus bras dessous, tout juste amoureux, le regard plein de promesses, l'avenir devant eux. Moi, je suis devant, par terre, au pied de mon grand-père. Je suis toute habillée de noir, déjà. Je regarde mon fils prendre la photo avec insistance et tendresse. J'enserre de mon bras gauche Pierre qui est complètement affalé, à moitié endormi, il suce son pouce. Dans mon bras droit de la même manière, je tiens un gros panda presque aussi gros que moi, un panda en peluche noire et blanche. On a le sentiment que je m'accroche ainsi à deux bouées de sauvetage, c'est frappant. A l'extrême droite de la photo on aperçoit le reste d'emballages empilés sur un canapé en cuir havane. Au premier plan, sur la table basse en verre, le pot de fleur sûrement offert en cadeau au vue de l'immense noeud rose qui le couvre cache un père Noël piqué dedans, voilà qui date encore plus précisément la photo.

Un frisson me parcoure tout le corps en la revoyant. Une foule d'images défilent en un clin d'oeil dans mon cerveau. "You see, my mother, the mother of my mother, my sister, George, my grand-father, my brother, his wife, my love, my father, yours, me and panda!" Le reste de l'histoire je ne lui raconte pas. A ce moment là je ne la savais pas encore moi-même. Elle l'apprendra bien assez tôt. Je deviens blême. Pat craint que je ne fasse un malaise. On ne sait jamais, c'est déjà arrivé. Mais non. Le repas continue, l'ambiance reprend de plus belle. On oublie la photo, je la pose sur la cheminée. Vers dix-huit heures, chacun repart. La copine de George s'en va travailler, elle est ouvreuse à l'UGC pour se faire de l'argent de poche, les deux plus âgés retournent dans leur nid d'amour et Pierre fait faire le tour du propriétaire à sa chérie qui s'extasie. Nous nous retrouvons tous les deux Pat et moi en tête à tête. On reparle de cette photo, à nouveau je pâlis grave. Je ne me sens pas bien. Il faut que je m'étende, j'ai le sentiment que je vais m'évanouir. Je récupère doucement une fois à l'horizontale et pour me changer les idées, mon homme me propose de visionner à la télévision l'intervention de DSK, la fameuse entrevue où sont attendus treize millions de français! Claire Chazal lui pose la première question, il répond, c'est tout juste si je sais de quoi il parle, car d'un seul coup sans comprendre pourquoi je me mets dans une colère noire, et je m'en prends à l'écran: "Gros porc, sale hypocrite, salaud!", tout y passe, heureusement qu'il ne m'entend pas! C'est finalement lui qui trinque pour tous les salopards présents sur la photo retrouvée par hasard un Dimanche de Septembre derrière un cadre sur la console de ma salle à manger.

 

Commentaires

Bin fichtre, ça c'était du repas de famille ! ça va mieux ce matin ?

Écrit par : anne des ocreries | 19/09/2011

Cette photo cachée, "rescapée", arrive à un moment de l'histoire qui commence par un point ?
Quelle était la phrase de Ben au verso ?

Écrit par : laure k... | 19/09/2011

@ anne:

Tout doux!

Écrit par : helenablue | 19/09/2011

La phrase de Ben est celle-ci:

Tout se passe entre moi et les autres: désir, jalousie, haine, peur, tendresse, tristesse, vie, courage, envie, soumission, destruction, plaisir, amour, mort.

J'avais mis cette carte sur mon blog:
http://helenablue.hautetfort.com/archive/2008/11/23/en-relation.html#comments

Amusante coïncidence, non?

Écrit par : helenablue | 19/09/2011

c'est un "dire", cette carte ! un Trésor de Famille, à garder et transmettre !!!!

Écrit par : anne des ocreries | 19/09/2011

coïncidence, coïncidence ... c'est surtout la date à laquelle tu la redécouvres qui me semble troublante. La carte est parlante.
En lisant la phrase de Ben, je pense à cette image donnée évoquant le rapport entre signifiant et signifié je crois, dans ce que j'ai retenu de mes premiers cours de philo sur le langage avec Saussure ...
« La langue est [...] comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso." » Saussure, Cours de linguistique générale, 1916

Écrit par : laure k... | 19/09/2011

@ Laure:

La date est troublante, en effet, serait-ce un signe? Et si c'est le cas, lequel?
J'ai feuilleté le livre de Delphine de Vigan hier, as-tu remarqué (je suppose que oui) que Lucile est surnomée Blue? ça m'a un tantinet perturbée!

Écrit par : helenablue | 21/09/2011

Non seulement remarqué Blue, le surnom donné par son frère ( tu m'étonnes, ça fait un choc) mais je ne t'en ai pas plus dit. C'est ainsi mieux que tu le découvres yourself.

Écrit par : laure k... | 21/09/2011

C'est insidieux les récits, les photos, les familles. Cela n'a l'air de rien. tout a l'air anodin, c'est tout pareil chez moi et insidieusement,
sans trop savoir pourquoi, l'on se retrouve en larmes.
Merci, en tout cas, et bravo pour la plume,
encore plus puissante
que la photo absente

Écrit par : Galibert | 22/09/2011

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