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18/09/2012

Joel-Peter Witkin

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Cette photo me fascine depuis longtemps. Je la regarde de temps à autre, elle m'inspire, me parle, me touche. J'en ignorais l'auteur. Ce qu'elle induisait en moi me suffisait pleinement, je n'avais pas envie d'en savoir davantage. Ces jours derniers, je ne sais plus comment je suis tombée sur une autre image qui m'a interpellée.

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J'avais le sentiment d'une parenté. Comme si mon cerveau faisait le lien entre ses deux évocations et le trouble délicieux qu'elles provoquaient en moi. J'ai décidé de pousser mes recherches et je l'ai rencontré. Le photographe. Celui qui arrive à mettre en images des pans de mon inconscient. Celui qui arrive à rendre le désespoir de l'âme, l'aspiration de l'humanité dans toute sa beauté et son horreur, ne dit-il pas lui-même qu'il vit pour créer des images représentant la lutte pour la rédemption des âmes? Joel-Peter Witkin, né à Brooklyn de mère juive et de père catholique, témoin à l'âge de six ans d'un accident de voiture prémonitoire de son univers photographique: la tête coupée d'une petite fille roule à ses pieds, prend en photo des monstres dès l'âge de seize ans, étudie la sculpture et obtient une licence de beaux-arts en 1974, commence à exposer en 1969. Fasciné par les êtres aux caractérictisques physiques étranges, difformes et singulières, il crée des photos de mises en scène soignée de portraits de personnes mêlées à des objets dans un assemblage baroque et hétéroclite. (source Wiki)

 

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De plus en plus intriguée par son travail, je fouille encore pour en apprendre davantage et je finis par tomber sur une interview de l'artiste lui-même:

Dans votre travail vous explorez le monde des « freaks », la religion et les influences de l’histoire de l’art. Quelles connections trouvez-vous entre ces sujets ?

Premièrement, je ne suis pas à l’aise avec le terme de « freaks ». C’est un terme terrible et sensationnaliste. Merci mon Dieu, il n’y a plus de Freak Shows (représentation théâtralisée avec des monstres de la nature ndlr). Quand j’étais adolescent, j’allais à Conny Island avec mon frère pour prendre des photos des gens. The Barker (l’homme qui présente les breaks en criant devant un théâtre ndlr), qui essayait de faire s’attrouper les badauds, disait à beaucoup de gens : « Si vous ne vivez pas dans la vertu, vos enfants ressembleront à ces gens là ». C’était cruel, stupide, et des mots bien primitifs.

Je ne peux pas être cerné, comme beaucoup d’artiste – il n’y a pas de A, B, C, D, pour parler de mon travail. Certains artistes fonctionnent par cycles, mais pour moi, cela n’a jamais été aussi simple, car je photographie des gens qui ont tous des caractéristiques et une conscience différente. Je ne sais jamais qui je vais rencontrer. Je travaille avec ces gens, je ne les utilise pas. La même chose s’applique à des restes humains ou des objets inanimés.

Mon travail n’est pas linéaire, c’est plutôt une phénoménologie.

Pensez-vous que le tirage photographique devrait être unique ? Que pensez-vous de l’aspect reproductible dans la photographie ?

Je vais contre ça. Dans mon cas, je veux imposer ma main, ma signature sur l’oeuvre photographique. Je veux que les gens sachent que je n’ai aucun lien avec « le moment décisif ». Le négatif photo est un point de départ pour moi. Je suis un tireur autant qu’un photographe.

J’ai besoin de connaitre chaque centimètre carré du tirage sur lequel je travaille. Ca me prend des jours, parfois des semaines ou des mois pour résoudre une image. Pour ce qui est des ventes, je garde un recueil qui référence la manière dont j’ai fait chaque tirage, mais j’ai quand même besoin de recommencer le processus de découverte pour chaque nouveau tirage. Mes pensées vont se calquer sur ce moment et j’ai besoin de revivre les émotions de ce moment.

Vous disiez en blaguant que durant deux opérations, les chirurgiens qui vous ont opérés n’ont pas vu de sang sortir de votre corps : il n’y avait que des photos à l’intérieur de vous. Est-ce une métaphore pour dire que c’est la photographie qui vous fait vivre ? 

Il y a deux choses dans ma vie : ma foie religieuse et mon engagement avec la vie au travers de la photographie.

Si la photographie coule dans vos veines, alors que dire de la chair présentée dans votre photographie ?

La chair est le vêtement de notre existence corporelle. Elle nous signale si nous la portons bien, ou si nous sommes nés avec des problèmes physiques. Tous, d’un point de vue théologique, avons des passifs et des dons et nous devons faire avec dans la vie. Nous devons accepter la peine comme la découverte.

Il y a à peu près dix ans, j’ai fait une image à propos de l’avortement. C’était un cadavre comme un Christ, et une foetus à ses côtés. Ils étaient plus ou moins enlacés. Ce n’était pas titré « avortement », mais basé sur un poème d’Auden, où on pouvait lire la phrase « Le glacier frappe dans le placard ». C’est comme si la nature était une rébellion prête à nous accabler car nous n’allons pas dans le sens des causes et des effets de la nature.

L’avortement est un sujet qui divise actuellement. Je suis démocrate et je ne suis pas en accord avec certaines choses dont Obama parle. Ce n’est pas un respect pour la vie. En fait, je pense que la vie se forme à la conception et je pense que nous avons déjà une âme à ce moment. Comment une mère peut-elle détruire la vie dans son corps ? La principale raison était scientifique, mais l’action faite, et la mère le sait, est de couper les liens du foetus et le détruire. C’est une forme d’assassinat et les gens ne réagissent pas.

L’Islam, comme la chrétienté, veut diffuser son message et convertir la planète. Je pense qu’il y aura certainement une guerre entre ces deux croyances. C’est une chose affreuse. J’ai toujours dis que si on peut envoyer quelqu’un sur la lune, en revanche une personne meurt de la faim toute les trois secondes. C’est criminel.

Je pense que le but de l’art est de créer un langage que les gens peuvent comprendre.

Il semblerait que vous soyez mieux reçu, ou au moins plus populaire, en France qu’aux Etats-Unis. Est-ce vrai ?

Tout à fait. Actuellement aux Etats-Unis, le public est très axé sur la tendance. Les grandes galeries comme Gagosian ou Pace, ne sont pas intéressés par une vision romantique de la promotion de l’art. Ils sont intéressés surtout par l’argent. Ils sont entourés d’artistes qui travaillent vite, et dont les travaux sont populaires ; des gens comme Kiki Smith et Jim Dine. Ils ont gagné des millions de dollars avec ces artistes.

Avec l’économie qui baisse, je ne pourrais pas vivre de la vente de mon travail. Je ne suis pas à la mode car mon travail traite de la morale. Il s’agit de la vie et ne montre ni la beauté, ni l’évasion, ou la caricature du féminisme comme une certaine Cindy Sherman. Il n’y a rien de mauvais dans le féminisme, mais en ce moment à New-York, si vous êtes une femme, vous avez l’avantage. Si vous êtes un homme, moitié juif et produisant des images pleins de sens, les gens ne veulent pas en entendre parler.

En revanche, en Europe, les gens sont plus cultivés ; ils sont fidèles à leurs artistes, ce qui n’est pas toujours une bonne chose. Ils ont une certaine profondeur. J’ai vu des familles venir à mes expositions, qui expliquaient à leurs enfants mes oeuvres les plus compliquées, comme Feast of Fools. Ceci ne serait pas toléré aux Etats-Unis.

An ending quote or joke?

Pour finir, une citation, un mot léger ?

J’ai récemment signé des livres dans lesquels je cite cet proverbe irlandais : « Nous sommes tous déguisés en nous-même ». C’est une phrase merveilleuse. Cette citation est maintenant dans une cinquantaine de livres. C’est une belle manière de définir l’Humain.

 

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Voilà, je commençais à en savoir davantage. Je découvrais d'autres photos, d'autres articles sur lui, d'autres propos, comme celui fort instructif et riche d'Alban Orsini: 

Le sexe est également une rémanence chez Witkin qui s’attache à transcender ce qu’il a de plus singulier. Exposé, torturé, glorifié, scarifié. À titre d’exemple, le photographe transforme sa fascination pour la transsexualité en accumulant les clichés représentant des « opérés » qu’il magnifie en exaltant de manière pertinente la dysmorphie qu’ils/elles incarnent. C’est avec talent qu’il va chercher la douceur et la beauté de ses modèles pour questionner sur l’identité tant la féminité qu’il réussit à exacerber s’oppose à ces pénis qui se dévoilent de manière incongrue. Trouver le beau dans le singulier et l’extrême est également ce qui transparait en filigrane du voyage que nous offre le photographe dans les milieux particuliers que sont ceux du sadomasochisme et de la zoophilie. À grand renfort de prothèses et d’emphases outrancières, Witkin nous montre ce que le sexe possède de plus particulier, nous renvoyant ainsi à notre propre puritanisme. Sans sombrer dans le voyeurisme, Witkin croque des portraits qu’il réussit à rendre attachants, quitte à faire vaciller nos certitudes dans la beauté du sale même.
 
« Le travail de l’artiste est de révéler les choses sous leur aspect le plus positif et le plus tendre », Joel-Peter Witkin.
 

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Je reste pourtant malgré toute ces recherches attachée à ma première image, celle qui me fascinait tant sans savoir d'où elle venait et en me préservant des messsages et autres interprétations qu'elle contiendrait. Ce qu'elle me raconte, m'évoque et me confie, est tellement intime et tellement diffus en moi que la partager avec vous, c'est déjà beaucoup me dire. Une autre de Joel-Peter Witkin pourtant va la rejoindre, elle me fait aussi de l'effet. Doit-on tout le temps tout s'expliquer?

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Commentaires

revoir "La Création" divine et s'y croire,mais le mohair me fait frissonner plus.
Bzzz...

Écrit par : le bourdon masqué | 18/09/2012

Tout dépend de quelles cellules tu parles, bourdon!

Écrit par : helenablue | 18/09/2012

À l'époque où j'étudiais la photo, y avait toujours 2-3 finfineauts de première année pour s'essayer à faire de la photo trash/porno sale/"freak".
Ça leur passait assez vite aussitôt qu'il découvrait Witkin.
Voilà bien une autre raison de l'aimer, ce Joel-Peter, il nous a sauvé de multitudes de pochitudes nombrillistes nues.

Écrit par : gom | 19/09/2012

on dirait certains de ces rêves "particulièrement stupides" qui te laissent au réveil absolument stupide et abasourdie....mais hallucinée encore, pour la journée, de certaines de ces images restées en mémoire ! inquiétant et fascinant à la fois.

Écrit par : anne des ocreries | 19/09/2012

et bien, quel voyage... ! très stimulant - et je ne me l'expliquerai pas plus que tu n'as à le faire.
Quant à la mise en branle de la première photographie, c'est particulièrement euh... saisissant ? - Je piocherai volontiers des idées de mise en scène, quand j'aurais les entrailles de le faire. mmmh...

Écrit par : Laure K. | 19/09/2012

On ne doit surtout pas tout expliquer, et même, en expliquer le moins possible !
Site magnifique de tous les côtés.
Bonne continuation.

Écrit par : daniel d | 20/01/2013

Les commentaires sont fermés.