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16/02/2013

lettre à K.

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Cher Franz,

je reviens tout juste de votre ville de Prague, la grande Praha, si magique à la tombée de la nuit. Je l'ai traversée de long en large, montant, descendant, usant mes semelles sur ses mosaïques de petits pavés gris et blanc qui changent tous les dix métres et j'ai bravé la neige, le vent, le froid pour découvrir et ressentir cette cité mythique que beaucoup de guides touristiques donnent pour une des plus belles d'Europe avec Paris et puis Venise. Je ne sais dire, la beauté est si subjective. Pour moi elle est si dépendante de l'état d'esprit dans lequel on est et tellement liée à des idées qu'on se fait des choses. Difficile à dêméler. Praha n'est pas époustouflante de beauté comme peut l'être Rome ou Florence, du moins à mon humble avis mais elle dégage une sorte de mystère qui agit progressivement au fur et à mesure qu'on la découvre. C'est sans doute l'euphorie architecturale qui donne à cette cité un ton particulier, tous ces bâtiments qui s'entrechoquent et s'entrecoisent, tous plus chargés les uns que les autres en sculptures, en fresques, en ornements, avec en contraste, parfois, au milieu de cette opulence gracieuse un bâtiment austère, cubiste, à la serpe venant calmer le jeu. J'ai adoré tenter vous comprendre mieux en marchant sur vos pas. Comprendre dans quel état d'esprit vous pouviez être, tenter de me mettre à votre place dans vos endroits. Saviez-vous qu'un musée à votre intention a été créé, un musée qui tente de rendre votre angoissant univers et la tristese infinie de votre oeuvre? Je n'ai pas visité cet endroit, j'ai préféré mille fois baguenauder dans la Ruelle d'or, le long de la muraille nord du château qui domine la ville, cet "amas de petites maisons délabrées" je vous cite, dans lesquelles vous avez vécu au numéro 22 et qui semble vous avoir inspiré. Rénovées depuis, impressionnantes de petitesse, ces maisonnettes incongrues pas plus hautes qu'un homme, et plutôt un homme de petite taille, renferment une sorte de magnétisme, j'ai particulièrement été touchée par celle de la diseuse de bonne aventure, Matylda Prusova, plus connue sous le nom de mystique Madame de Thébes qui malgré la perte de son fils à la guerre de 14 continua à lire dans sa boule de cristal leurs fortunes aux gens du peuple. La pauvre, ayant prévu la chute du Troisième Reich, est morte aux mains de la Gestapo. La minuscule pièce qui ne contient qu'un divan recouvert d'un tapis d'Orient cramoisi, un guéridon rond, une chaise et un bureau sur lequel trône un crâne humain blanchi ressemble à un confessional, il a du s'en dire des choses dans cette alcove propice aux confidences. Et puis, surtout, pour mieux vous suivre, j'ai erré dans les cafés de la ville. Et là, je peux bien vous le dire tout de go, je me suis régalée. Le café Louvre d'abord, celui où vous aviez votre rond de serviette au premier étage de la rue Nationale, avec ses murs rose et crème, ses moulures en stucs néo-rococo, ses grands luminaires en vasque d'albâtre où le temps d'un chocolat chaud, onctueux à souhait, on retrouve l'art de vivre chaleureux et cosy de la Belle Epoque. Vous ignorez sans doute que cet endroit qui permettait aux visiteurs, dont vous faisiez parti, d'user du téléphone comme bon leurs semblaient et dont certains étaient passés maître dans l'art de s'y montrer passant parfois plusieurs coups de fil bruyants au cours d'une même soirée, a été fermé en Mai 1948 par les communistes pour en faire des bureaux et n'a été réhabilité qu'un 1992? Albert Einstein y avait aussi ses habitudes, ainsi les arts, la littérature et la science se côtoyaient autour de cafés et de mets. Votre ami Brod fut exclu du cercle philosophique qui y siégait? Diable, et pourquoi donc? Remarquez cela ne vous a pas empêché de continuer à visiter votre café préféré! J'y suis resté pendant quelques heures à regarder déambuler de table en table des corps masculins tendus dans de seyants gilets noirs, attentifs au moindre désirs des personnes attablées. Ce qui m'a frappée outre le décor, c'est qu'on peut y fumer. Et plus encore c'est dans le coin fumeur que la vie se fait plus active, à croire que la cigarette délie les langues et rassemble les individus. J'ai vu plusieurs groupes de femmes entre elles riant à gorges déployées, deux vieux copains qui semblaient en veine de se dire, et, tout près de moi, j'ai observé un long moment un monsieur d'un certain âge, mèche grisonnante, veste à carreaux plutôt criarde, en jeans comme la plupart des gens dans le lieu, se levant d'un bond à chaque fois qu'une grande brune faisait son apparition et se rasseyant dépité, la belle ne venant jamais dans sa direction. Je crois bien que tout son paquet de blondes y est passé. J'en étais presque désolée pour lui et aurais donné cher pour connaître son affaire, mais il ne parlait que tchèque. Quelle langue improbable! Impossible de s'y retrouver. Je serai bien incapable, Franz, de vous lire autrement que traduit en français, l'allemand est plus abordable que le tchèque mais est encore beaucoup trop une montagne pour moi. M'étant bien imprégnée du Louvre, il me restait vous concernant à visiter le Slavia. Magnifique endroit! Vaste, éclairé, de grandes baies s'ouvrant sur la Valtva, fleuve plus connu sous le nom de Moldau, avec un point de vue magique sur le château et la cathédrale trônant en hauteur derrière la multitudes de ponts rythmant ainsi l'image de carte postale quelle que soit l'heure. Le Slavia m'a plus fait songer à la Coupole de Paris, le genre grande brasserie truculente, symbole de l'histoire tumultueuse de la ville et de sa très riche vie intellectuelle, de sa façon de vivre, de se penser, de parler de soi. Ici, aussi, le personnel est en frac, à l'ancienne, tout comme le vestiaire à l'entrée. Les traditions sont respectées! Faisant face au théâtre national, ce lieu a accueilli nombreux intellectuels et artistes, on le sent fortement, il y a une liberté d'expression et une décontraction tout a fait sympathique invitant l'esprit à gambader et gamberger. Là aussi, j'ai stationné, n'en pouvant plus, je veux bien vous l'avouer de marcher et marcher encore, de musée en musée, 700 parait-il, rien que pour votre ville! Je ne les ai pas tous arpentés, de tous ceux que j'ai eu envie de faire, c'est le Veltrzni Palac, immense bâtiment construit dans le style constructiviste à l'autre bout de la ville qui m'a le plus secouée. Mais je vous en reparlerai, j'y ai fait une découverte si émouvante qu'il faudra bien une autre missive pour vous ne parler que d'elle, j'y suis encore, par la pensée. Oh! C'est que pour aller jusque là il m'a fallu prendre le métro. Je n'avais jamais encore pris un escalator aussi raide pour investir les entrailles de la terre. Quelle émotion! Mais,revenons à vos cafés. Aux cafés de votre ville sourde et gracieuse qui se découvre petit à petit. Hier, dernier jour de ma visite, j'ai voulu prendre un dernier liquoreux chocolat chaud dans le seul café cubiste au monde. Vraiment tous les styles se côtoient dans cette ville: roman, gothique, baroque, art nouveau, art déco, cubiste... A nouveau à l'étage, c'est le mobilier bien sûr qui m'a attiré l'oeil jusque dans les moindres détails: patères, poignées de porte, luminaires. Je n'ai pas tellement aimé les jupettes vertes en abat-jour sur les grand lustres de métal forgé mais par contre la rigueur et la pureté des tables et des sièges méritent le détour. Finalement pour nous, ce qui était sans aucun doute avant-gardiste à l'époque est devenu presque dépassé voire un tantinet vieillot mais c'est rigolo de se replonger ainsi dans des ambiances totales jusqu'aux tasses à café, on a un peu l'impression d'être dans un décor de ciné et de faire de la figuration. J'y ai vu une jeune femme slave de toute beauté, perdue dans ses pensées, seule, écrivant sur son petit carnet noir des bribes de choses et d'autres, sirotant entre deux coups de stylo son cappucino. J'avais pour ma part à la main un de vos livres, Un artiste de la faim à la colonie pénitentiaire et autres récits, votre médecin de campagne m'a fait froid dans le dos, et "Un rêve", Joseph K. rêvait, m'a subjuguée. Je ne vous avez plus lu depuis pas mal d'années, le dernier livre que j'ai repris de vous il y a peu était lettre au père qui m'avait inspiré une lettre à ma mère beaucoup moins dense, pour, comme vous l'écrivez vous-même "rendre à tous deux la vie et la mort plus faciles", pensez-vous cela possible? Je veux y croire même si parfois encore j'en doute. Je ne sais s'il est possible d'extraire de soi tout le poison que notre éducation nous a "intraveiné". D'ailleurs, je ne veux pas vous ennuyer avec ça mais j'ai fait pas mal de cauchemars entre vos murs, je me suis demandée s'il n'y avait pas une alchimie particulière qui m'a ainsi ramenée aux fantômes du passé. Comment séparer les choses qu'on décide et celles qui se décident malgré nous? Cher K., en tout cas, ces quelques jours en votre compagnie furent un régal et Prague sous son grand manteau blanc une poétique découverte pleine d'instants que je garde en mémoire comme des petits trésors brûlants. Merci d'avoir été et d'être encore au travers de vos mots aussi remuant.

Bien à vous.

Blue

 

Commentaires

Le choix d'angle, la douceur du récit, le passage du général au détail, la transparence des ressentis et l'humilité de l'écriture (j'arrête, j'en laisse aux autres). Tout est là. Un vrai guide touristico-émotionnel que je garde sous le bras si l'avenir veut bien m'offrir la découverte de la ville. Joli Helena ! Très joli ! Merci.

Écrit par : Claudio | 16/02/2013

J'ai découvert Franz Kafka à 16 ans , en lisant Le Procès et en voyant le superbe film qu'en a adapté Orsen Wells. Puis suivirent La Métamorphose et tous les autres titres que tu as cités, aussi. Je n'oublierai pas les Lettres à Félice et celles à Milena.
Cela fait bien longtemps que je rêve de visiter cette Prague mythique. Ton beau récit me servira de bon guide surtout qu'il a été écrit par un coeur qui sait parler des morts, des vivants, des lieux et des choses. J'attends impatiemment la suite!
Maintenant, dans mon esprit s'entremêlent et s'enlacent si harmonieusement les Praha de Franz et d'Hélène! Merci!

Écrit par : Mokhtar El Amraoui | 16/02/2013

Quelle belle invitation au voyage, Blue. Magnifique errance et découvertes partagées. C'est un K. de toute beauté, ce Franz. Je crois ne pas avoir dépassé le stade de la lecture des Métamorphoses, il y a sans doute tant d'autres écrits de lui à découvrir. Mieux vaudrait tard que jamais.

Écrit par : Laure K. | 16/02/2013

@ Lorka:

Tu as comme ça l'origine du K., c'est l'enseigne du musée Franz Kafka. (Hé,hé, j'ai beaucoup pensé à toi qui m'avait demandé un K.)

Écrit par : helenablue | 16/02/2013

@Hélénablue
C'est à dire qu'au pays du K., difficile de pas y penser.
j'ai bien aimé ce qu'en disait un des commentaires précédent, de l'importance du K. dans la perosnnalité de Kafka. Je sais pas, ça me donne à réfléchir au mien. Oui, pourquoi ce cas m'est-il indissociable à moi également ? ... K. isolé... :-)

Écrit par : Laure K. | 16/02/2013

" J'ai adoré tenter vous comprendre mieux en marchant sur vos pas."

J'ai souvent des perles à relire après t'avoir lue, et je les savoure seul, mais celle-là, pouvais pas, trop beau de simplicité avec un accent de classicisme dans la construction des deux infinitifs. Il faut me permettre un baise-main et un genou au sol,

Ma main,

Kevin

Écrit par : Kevin Vigneau | 17/02/2013

Votre regard s'ouvre sur des "mosaïques de petits pavés gris blanc" puis s'envole sur "l'architecture euphorique". Je devine votre silhouette s' arrêter un instant à l'entrée d'un musée de poussière, en vos yeux, un détournement las, retourner vite ans le vif du présent. Des pas, des pavés, des hauteurs, des angles, l'appétit du détail, la précision à scrupter les matières et les gens, à les définir, à les regarder être.
L'écriture est précise, entre le vu, le vécu et l' imaginé. Un entrelacement que l'on boit chaudement, dans les mêmes cafés où vous prenez place. Judicieuse idée que de vous adresser à Franz, en lui comptant votre traversée de Prague, votre traversée de vous Hélénablue.
Je vous remercie tout autant de vos mots qui nous y invitent et nous y accompagnent.
Je suis curieuse d'en savoir d'avantage sur ce que vous laissez en suspend. Suspens.

Écrit par : Laure K. | 17/02/2013

@ Mokhtar:

J'ignorais l'existence de ces lettres à Milena, j'ai eu envie d'en savoir davantage et je me suis commandée l'ouvrage! Merci à toi!
Ah oui, Prague t'enchanterait, j'en suis certaine! Cette ville est tout à fait inspirante! Je suis même sûre que tu en ferais un recueil de poèmes...

Écrit par : helenablue | 17/02/2013

@ Kevin Vigneau:

C'est moi qui suis honorée de ta présence ici, cher Kevin et de tes mots qui me touchent grandement. Je suis heureuse de t'avoir ainsi procuré du plaisir...

Ma révérence.
Blue

Écrit par : helenablue | 17/02/2013

@ Claudio:

Merci beaucoup mon ami pour tes qualificatifs et je te souhaite d'un jour découvrir cette ville enchanteresse avec ma lettre à K. sous le bras!
:-)

Écrit par : helenablue | 17/02/2013

@ Lorka:

Oh! Pas besoin d'aller au pays du K, pour penser à toi/vous...
Merci pour ton délicat commentaire plein d'encouragements! El longue vie à cet amour de l'écriture qui nous unit et nous fait tant vibrer ainsi qu'à notre profonde amitié!

Écrit par : helenablue | 18/02/2013

Merci, Héléna, de ces nouvelles de Prague, du pays du K. comme vous dites. Deleuze dit dans son petit livre sur Kafka, au début, que Kafka est comme un terrier, on peut y entrer par où l'on veut. "Le Terrier" est la dernière nouvelle écrite par Kafka.
Dès qu'on touche à Kafka, tout devient magique.
Mais celui qui en parle le mieux, celui qui a été, comme il le dit:"son prophète et son cheval, sa nourrice et son homme de peine, et son lierre et sa mauvaise herbe", c'est celui qui a pris la peine de le traduire en français, quand personne ne le connaissait, j'ai nommé le grand Alexandre Vialatte.
Et voici ce qu'il dit dans sa préface à la traduction du "Procès"en 1933 chez Gallimard:
"La leçon de Kafka est une leçon d’amour. Et aussi une leçon d’effort et de patience. C’est l’impatience, explique-t-il, qui a chassé du paradis Adam et Eve, c’est l’impatience qui nous empêche d’y rentrer. Il y a en lui du stoïque, du soldat (« Accueillir la froideur du glaive avec la froideur de la pierre ») et l’infinie patience du cobaye volontaire. C’est avec une plume scientifique, paisiblement, en bureaucrate de génie, qu’il fait l’inventaire de l’horreur. Il reste toujours impersonnel, il a le génie de la discrétion, il est éperdument anonyme. C’est un ascète. Il écrit pour prier.
Jamais il ne se paye de mots. Ce n’est pas un auteur bizarre, dans la mesure où la bizarrerie est une préférence arbitraire pour l’étrange, ou même un goût. Si son œuvre est étrange, elle l’est par profondeur, parce qu’il voit sous un angle à lui des choses que nous croyions connaître par routine et qu’il nous en révèle que nous ne connaissions pas. Un explorateur n’est pas bizarre parce qu’il rapporte des tropiques des monstres qu’on n’avait jamais vus. Kafka est le contraire d’un auteur artificiel. S’il étudie des problèmes compliqués, c’est que la nature est compliquée. L’artiste artificiel et l’écrivain bizarre sont vaniteux. Kafka est humble et naturel. Il n’y a pas eu d’auteur plus humble. C’est le seul cas de modestie dans les lettres universelles.(...)
Ses plus grandes œuvres sont des cauchemars de scrupuleux rédigés par un ironiste et un roi de la parabole sur un ton de procès-verbal . C’est la plus singulière complainte du sort humain qu’on ait écrite.
Il y a en somme peu de temps on l’ignorait. Mais aujourd’hui toute la critique s’occupe de lui. Le voilà découvert, le voilà même inventé. Il ne reste plus qu’à le connaître.
Qu’on regarde mieux sa photographie, on y trouvera, comme le dit si bien Starobinski, derrière une expression de « douceur terrorisée », l’image d’un « homme en état de guerre » : ce « front bas », ces « lèvres serrées ». C’est un monsieur qui a passé sa vie à se vivisecter lui-même, par vocation particulière, pour l’amour de la vérité, avec une cruauté humble et infatigable. C’est le héros et la victime, c’est le cobaye qui a vu le couteau, c’est le sacrificateur « au regard implacable ». Les bras rouges, au milieu de ses instruments flambés, il rédige un Rapport pour une Académie." Alexandre Vialatte, la "nounou" de Kafka.
Bien à vous, Héléna,
Liliane

Écrit par : Breuning Liliane | 18/02/2013

@ Liliane:

Merci mille fois pour votre commentaire. C'est un régal.
J'ai lu Kafka il y a longtemps, je devais avoir comme Mokhtar quinze ou seize ans. Ce séjour à Prague m'a fortement donné envie de le lire à nouveau, d'autant que je m'étais arrêtée au Procés et à La métamorphose. Je vais découvrir son journal et ses lettres à Milena et ce qu'en dit Monsieur Vialatte me donne plus envie encore de le lire. Vous semblez bien le connaître et beaucoup l'apprécier, sauriez-vous dire Liliane ce qu'il a changé dans votre vie?

Écrit par : helenablue | 18/02/2013

J'ai visité Prague, deux ans après la chute du communisme. Je devais y séjourner pendant une semaine et je suis resté quinze jours. Je l'ai quitté difficilement et au retour j'étais pris d'une nostalgie immense qui a duré plusieurs mois et, j'ai écouté Mozart en boucle jusqu'à l'overdose (Mozart a été fasciné par le charme de Prague et inversement)... C'est la seule ville au monde, parmi celles que j'ai visitées, qui m'a fait cet effet. Depuis, je n'ai plus eu le courage d'y retourner, peut-être de peur de la trouver changée (je crois à peine à cette thèse) ou, plus probablement, de peur de revivre la même nostalgie. Ton commentaire m'a embarqué et troublé, et je me suis laissé faire avec plaisir. Merci!

Écrit par : Halagu | 19/02/2013

Merci, Héléna, de prendre toujours le soin de répondre à chacune et à chacun.
Kafka n'a pas changé ma vie, il l'a innervée. Comme il a innervé le siècle dernier. Dans Le Château, le dernier "roman" inachevé de Kafka, Frieda, la servante de l'Auberge des Messieurs, dit à K. "Il y a déjà trop de Klamm ici" - Klamm étant LE fonctionnaire tout - puissant, celui que l'on ne voit jamais. Frieda dit ça comme si Klamm était plus qu'une personne, une émanation, un gaz, comme l'azote (N). Nous, au 20e siècle, nous n'avons pas eu d'azote (quoique...), nous avons eu du K.
Et puis, Kafka est drôle... Désopilant, "tongue-in-cheek", à baffer... Tout cet humour de l'ancien Empire austro-hongrois dont je suis une héritière. Ma mère disait souvent "L'humour de la potence, c'est aussi de l'humour". Elle était kafkaïenne sans le savoir et surtout le vouloir.
Quand Kafka lisait "La Métamorphose" à ses amis, tout le monde riait aux larmes, lui y compris.
Kafka descendait d'une lignée de rabbins du côté de sa mère, tous rompus au "pilpoul", ergotage sans fin sur le Talmud, d'aucuns diront "coupage de cheveux en quatre". On n'en a jamais fini avec Kafka. Comme il le disait de Prague: "La petite mère a des griffes, elle ne nous lâchera pas" lui, ne nous lâche pas.
Je ne sais pas, Héléna, si j'ai répondu à votre question, mais du coup, j'ai commencé un petit "Kafka illustré", la première page, c'est Kafka qui n'aime pas "les grands mots", ils l'irritent, Milena raconte qu'il disait que si c'était une jeune fille qui les prononçait, avec une respiration haletante, c'était "comme des gros rats qui sortaient de sa petite bouche", et là, j'ai dessiné un gros rat.
A suivre...

Écrit par : Breuning Liliane | 19/02/2013

@ Halagu:

C'est étonnant, mais je ressens cette même nostalgie... J'espère cependant qu'elle ne durera pas des mois!! A Prague, j'ai eu des émotions que seule cette ville m'a permises, comment expliquer cela, je ne saurais le dire? Saurais-tu, toi, dire pourquoi?

Écrit par : helenablue | 20/02/2013

@ Liliane:

Oh! Oh! Un petit kakfaka illustré ( j'ai laissé exprès ce nouveau lapsus des doigts!)... J'imagine aisément ton premier dessin, hé,hé, quel en sera la deuxième page?

Écrit par : helenablue | 20/02/2013

C'est une bonne idée, non?
Je savais que ça allait te plaire....
Deuxième page: Kafka dit à Milena que, dernièrement, un lecteur de la Tribuna (journal pragois) lui avait dit qu'il - Kafka - devait avoir fait de grandes études à l'asile d'aliénés.
"Seulement dans le mien" lui a répondu Kafka. Et il ajoute: "c'est alors qu'il a tenté encore de me féliciter pour "mon asile".
Tu imagines la tête de Kafka en racontant cela, sans parler de celle de Milena qui était - tu vas bientôt le découvrir - encore plus fine mouche que lui... Ce qui n'est pas peu dire...
Bien évidemment, j'ai dessiné avec de gros crayons gras une tête d'homme éberlué derrière des barreaux.
(Désolée que tu aies été si malade le jour de ton anniversaire)
A suivre...

Écrit par : Breuning Liliane | 20/02/2013

Riche idée en effet!
La deuxième est tout aussi savoureuse et j'attends la troisième avec une impatience extrême!
(Il me tarde de la connaître mieux...)

Écrit par : helenablue | 20/02/2013

De toutes les "femmes" de Kafka, Milena était sans conteste la plus solaire, elle est morte à Ravensbrück où d'autres femmes ont témoigné de son courage et de sa générosité.
Kafka, contrairement à l'idée que souvent on se fait de lui était lui aussi profondément bon, soucieux du bien -être des autres.
Mais comme je te vois bouillir d'impatience (!), voici la troisième page:
Felice, la "fiancée " de Kafka était allée passer ses vacances sur l'île de Sylt. Dans la pension où elle résidait, il y avait un graphologue. Felice lui demanda d'examiner l'écriture de Kafka, et elle communiqua ensuite l'analyse à ce dernier. Elle parut à Kafka fausse et plutôt ridicule.
Mais, "l'affirmation la plus fausses parmi toutes les faussetés" était, que, selon le graphologue, le sujet montrait des "intérêts artistiques".
Kafka répliqua d'une phrase sèche: "Je n'ai pas d'intérêts littéraires, mais je suis fait de littérature, je ne suis autre et je ne peux être autre."
Cette page-là, je vais la calligraphier à la main et dessiner par-dessus le contour de l'île de Sylt.
A suivre... (préviens-moi avant d'avoir une kafkaïte aiguë)

Écrit par : Breuning Liliane | 21/02/2013

Promis, Liliane, je te préviens quand j'ai l'overdose!
:-)

Mon libraire préféré vient de me déposer les lettres de Kafka à Milena et le témoignage de Margarete Buber-Neumann sur Milena, également... Je vais en découvrir davantage sur cette femme au regard envoutant...

C'est vrai que je me faisais l'idée d'un homme taciturne et renfermé, d'être allée à Prague et de marcher sur ses pas, m'a fait comprendre que ça n'était pas le cas, qu'il avait une vie sociale et des amis... Comme quoi on se fait des idées préconçues trop souvent!
Je ne connais rien de sa vie amoureuse.

Il était son écriture, traversée par elle, ne vivant que pour elle, l'incarnant, c'est ça n'est-ce-pas? C'est ce qui en fait une sorte de météore...
Son journal regorge de trésors!

Quelle sera la quatrième illustration de ton livre, dis-moi?

Écrit par : helenablue | 21/02/2013

Vos photographies de Prague sont belles: académiques, elles ont cependant quelque chose de ramassé sur elles-mêmes, qui les rendent fines et solides à la fois.
J'ai regretté de ne pas voir la statue de Tycho Brahé, l'astronome au nez d'or avec son élève Kepler, le tramway m'y ramenait infailliblement lors de mes errances nocturnes à Prague...
Quant à Kafka, je me suis rendue compte que les femmes qu'il crée dans ses textes, qui sont en fait ses "vraies" femmes, ont provoqué une agitation psychique incontrôlable chez d'éminents lecteurs de Kafka, aussi éminents que Walter Benjamin et Theodor Adorno.
Benjamin dit que les femmes de Kafka "émergent du monde de la poussière, de la peluche et de la moisissure comme d'une scène préhistorique". Quelquefois, il est carrément agacé par elles et les traite de "putassières". Elles s'appellent Léni, Pépi, Frieda, Olga ou Fini... Il est difficile d'imaginer une intrigue plus inavouable et impudente que celle qui a lieu entre la vie du tribunal et la vie privée de ceux qui ont partie liée à lui. Dans les bureaux, on étend "le linge à sécher", ce qui rend encore plus "irrespirable" l'air déjà confiné des greniers surpeuplés et surchauffés par le soleil. Les femmes sont attirées par Joseph K. comme "le tribunal est attiré par la faute".
Pour ma quatrième page, j'ai mis la main sur la dernière scène achevée du "Château" quand K. s'adresse à l'aubergiste de l'Hôtel des Messieurs et lui dit avec insolence "Ce n'est pas toi que je regarde, mais ta robe." Kafka décrit ainsi ses vêtements: "d'un bon tissu, coûteux mais démodés, surchargés, souvent retouchés, usés." "En outre, dit-il à l'aubergiste, "ils ne sont pas adaptés à ton âge, ni à ta silhouette, ni à ta position." (clin d'oeil à Héléna) Et là, j'ai dessiné une femme avec une toilette un peu comme un dessin de Bonnard à l'époque de La Revue blanche.
C'est tout pour aujourd'hui (et même peut-être demain...) il faut que je parte d'abord sur les traces de Pépi, Léni et Frieda, les somptueuses garces de Franz Kafka..
Savez-vous, Héléna, que vous avez dans vos rangs depuis peu une émérite "transfuge" d'un autre salon blogien que le vôtre. Je veux parler ici de "Christiane" qui ne m'en voudra pas de la citer, je le sais. Prenez soin d'elle, c'est un trésor de finesse, d'érudition, bien sûr, et de spiritualité.
A bientôt, Héléna.

Écrit par : Breuning Liliane | 22/02/2013

Quel dommage que le concours des Correspondances, à Eastman, n'ait pas été renouvelé, voici une missive qui y aurait eu tout à fait sa place....!

Je me suis promenée avec toi, Blue, dans cette Prague que seul mon Homme a visitée, et, franchement, je crois qu'un jour où l'autre, plus tard, dans quelques années, j'irais y baguenauder, le temps d'un weekend prolongé...vous m'en avez donné l'envie, les uns les autres....

Écrit par : anne des ocreries | 22/02/2013

@ Liliane:

Hum, cette statue m'a échappée, il faut dire qu'à Prague il ne manque ni de statues ni de clochers...
Jolie la quatrième page et le clin d'oeil savoureux!

Je prends toujours soin de mes hôtes, en général et Christiane me suit depuis pas mal de temps, j'ai toujours beaucoup aimé sa sensibilité et sa délicatesse. Un trésor, en effet!

A bientôt, Liliane, quand vous voudrez! Les lettres de Kafka à Milena sont riches à souhait!

Écrit par : helenablue | 22/02/2013

@ Anne:

Quel beau souvenir que ce concours!

Hum, à lire tes récits du Québec et ta façon de jouir des choses et des situations, des rencontres et des êtres, je ne me fais pas de souci, Prague te ravirait!

Écrit par : helenablue | 22/02/2013

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