Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/11/2009

décorporalisation

 

569909904-1.jpg

C'est la première fois que je lis ce mot rencontré dans un article sur la prostitution et amené par Judith Trinquart médecin de santé publique, ça m'a frappé car c'est exactement ce qui est arrivé à l'enfant que j'étais lors des abus perpétrés dans la famille, les symptômes sont les mêmes, pendant l'acte sexuel on se détache de son corps, on est plus là pour ne pas ressentir le vécu. Ca m'a longtemps taraudé et mise en souffrance dans ma vie de femme cette absence sur laquelle je ne pouvais rien, le mécanisme se mettant d'emblée en route, un mécanisme réflexe somme toute qui me venait de si loin. C'est vraiment un processus dissociatif qui dans le cadre d'une relation amoureuse et aimante est très handicapant, et pour celui qui le vit et pour celui qui le partage. On ne sent plus son corps il n'est plus qu'un instrument, pas faute d'essayer d'y tendre de tout son être, cela m'était et m'a été pendant longtemps inaccessible. A qui appartenait mon corps, à qui appartenait mon sexe? Ce genre de questions que je ne me posent plus mais qui ont alourdi considérablement ma sensibilité à l'érotique en live me réfugiant alors dans la littérature de cette nature et dans l'imaginaire, ce qui m'a aidée à avancer au fond en partie, à force d'y penser et d'y croire.

Ce n'est pas par besoin de voyeurisme d'aucune sorte que j'ai eu envie de rebondir sur ce concept qui n'avait jusqu'alors pas de mot pour moi mais juste pour exprimer la non irrémédiabilité de ce processus, pour cela il faut réaccaparer l'image de son corps, le réinvestir cela n'est possible qu'en sortant du processus de victimisation qui anesthésie et qui maintient dans cette torpeur, sortir du cercle infernal du "je ne vaux rien, je ne suis rien" et s'arroger le droit et le devoir de s'occuper de soi. Une aide extérieure est alors la bienvenue, les témoignages aussi et puis réapprendre la sensualité de son corps par le toucher, les massages, et l'écoute. C'est un travail de longue haleine mais qui en vaut la peine, j'ai découvert le plaisir tard, parfois encore il m'échappe mais Dieu que c'est incomparablement bon que d'être toute là dans les joies expressions et fantaisies du sexe.

 

******





Judith Trinquart, médecin, est l’auteure d’une thèse sur la décorporalisation dans la pratique prostitutionnelle. Elle nous explique ce processus et revient sur les conséquences physiques et psychologiques de la prostitution  

Le thème de la décorporalisation est au coeur de vos travaux. Pouvez-vous nous expliquer son processus?

La décorporalisation est engendrée par la violence que représente la situation prostitutionnelle avec sa répétition d’actes sexuels non désirés. Ce processus agit à la fois sur deux plans.
Sur le plan psychologique, il conduit à une dissociation de l’image corporelle. Deux personnalités apparaissent : la personnalité privée, en dehors de la prostitution, et la personnalité prostituée dans le champ de la situation prostitutionnelle.  La personne prostituée essaye de protéger au maximum la personnalité privée de ce qui se passe dans la situation prostitutionnelle.
Sur le plan physique, on peut constater l’apparition d’un seuil de tolérance à la douleur très élevé. La personne essaye de se protéger, physiquement, du ressenti de ce qui se déroule pendant « les passes ». Elle se coupe d’une partie d’elle-même, de ce qu’elle ressent dans la situation prostitutionnelle. On parle alors d’« hypoesthésie », c’est-à-dire d’une diminution du ressenti, des sensations qui, quand la situation se prolonge peuvent conduire à une absence du ressenti de la douleur.

Des personnes prostituées frappée pendant l’activité prostitutionnelle ne ressentent pas la douleur ; puis lorsqu’elles rentrent chez elles et se regardent dans la glace, elles voient les écchymoses, les contusions... Ces mécanismes d’hypoesthésie et d’anesthésie conduisent à une auto-négligence de soi : le corps devient instrument, objet.
La décorporalisation est très nette chez les personnes prostituées mais on l’observe également dans d’autres contextes, notamment chez les femmes victimes de violences conjugales à répétition ou chez les personnes en situation de clochardisation.


Quelles sont les conséquences physiques et psychiques de l’activité prostitutionnelle ?

On a de nombreuses conséquences physiques notamment sur le plan gynécologique (peu ou pas de suivi ou de dépistage pour les cancers), les problèmes péri-ménopausiques, la contraception, des problèmes d’ordre traumatique. on a également une mauvaise prise en charge du problème infectieux en général (on ne les voit venir que lorsque les maladies sont déjà évoluées)...
Sur le plan psychologique, que ce soit des dépressions, des angoisses, des phobies, ou des tentatives de suicide, les taux sont beaucoup plus élevés que dans la population en générale. On observe une aggravation des maladies ou troubles à composantes psychosomatiques comme les maladies cutanées, les maladies d’origine gastrique, les problèmes rhumatismaux, les pathologies d’ordre addictif (toxicomanies). D’un point de vue général, la situation prostitutionnelle aggrave les désordres sanitaires...

Par ailleurs, bon nombre de personnes sont atteintes de PTSD ou Post Traumatic Stress Disorder qui peuvent prendre de multiples formes : des souvenirs répétitifs et envahissants, des cauchemars, la peur que l’agression se renouvelle, des conduites d’évitement, l’hypervigilance, la réduction des contacts et des affects pour éviter tout  ce qui semble risquer de répéter l’agression, des troubles du sommeil engendrés par cette hypervigilance, des troubles de la mémoire et de la concentration. Certaines études avancent le chiffre de 67% de PTSD sur une population observée de personnes prostituées.


Pouvez-vous nous parler de l’impact des antécédents (violences sexuelles ou autres) observés chez bon nombre de personnes prostituées ?

On s’est aperçu récemment que les cas d’antécédents de violences sexuelles (inceste, pédophilie, viols) dans la population des personnes prostituées représenteraient de 80 à 95% des personnes. Les proxénètes qui utilisent les viols individuels ou collectifs pour formater les filles de la traite l’ont d’ailleurs très bien compris.
Quand il n’y a pas d’antécédents de violences sexuelles, on retrouve très souvent des contextes de vulnérabilité sociale avec des familles fragiles, précaires, maltraitantes ou désociabilisées.
Il y a systématiquement un facteur déclenchant d’entrée dans la prostitution. Mais si le contexte économique précaire peut jouer, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas n’importe quelle personne qui se lancera dans la prostitution.


Dans l’idéal, quelles seraient les solutions thérapeutiques les mieux à même de répondre à cette décorporalisation ?

La première chose à faire est évidemment de stopper la situation prostitutionnelle. Il faut ensuite casser cette loi du silence. C’est un milieu où les personnes n’existent pas, elles n’ont plus de nom, plus d’identité. Il est important qu’elles puissent se retrouver et parler de ce qui s’est passé. Puis, il faut une dévictimation, une phase où on reconnaît la personne comme victime. 

Il y a une différence entre victimisation et se reconnaître victime. Il est indéniable qu’étant en situation de violence, la personne prostituée en est victime comme toutes les autres situations de violences sexuelles (viols, etc...).  Le travail de reconstruction ne peut avoir lieu sans que la personne ait pu reconnaître son statut de victime. C’est le même raisonnement que pour les victimes de génocides...
Ensuite seulement on peut dépasser ce statut. La réparation passe aussi par les soins et l’accompagnement avec un réseau d’intervenants variés (la justice, les psychiatres, les médecins, les travailleurs sociaux). Des groupes de paroles de survivantes de la prostitution peuvent être un bon support de dévictimation.

Il faut ensuite un travail de recorporalisation pour permettre à la personne de se réapproprier son propre corps par des thérapies très spécifiques . Le corps doit redevenir un lieu à sensations positives...

Il faut proposer des thérapies à médiation corporelle : kinésithérapie, activités sportives en groupe et des activités artistiques corporelles comme le théâtre, la comédie, l’art-thérapie, qui sollicitent l’interaction de la personne avec les autres participants et la réintègrent dans un vrai jeu social qui permet la communication corporelle. 

Ce qui est vraiment victimisant, ce sont deux choses : soit maintenir la personne dans un statut d’éternelle victime en ne lui offrant pas les solutions concrètes pour en sortir, soit la non reconnaissance de la violence dans la prostitution, voilà bien ce qui est victimisant...

******

 




 

 

Commentaires

J'ai lu quelque part que beaucoup de prostituées refusaient d'être embrassées sur la bouche par leurs clients. Une façon pour décorporaliser l'acte j'imagine.

Écrit par : gaétan | 16/11/2009

Nelly Arcan en parle dans son livre Putain, je ne sais pas si tu l'as lu, mais oui effectivement les prostituées n'embrassent pas, c'est dans leur pratique, sans doute pour le désinvestissemnt affectif, éviter la relation. La décorporalisation n'est pas un acte voulu, conscient je veux dire, c'est un mécanisme qui se met en route, le psychisme se déconnecte pour ne rien sentir pour être ailleurs, ce qui n'empêche pas parfois de jouir mais pas dans l'instant qu'on vit, dans une autre dimension, hum, je sais pas si j'arrive à me faire comprendre!
Ce n'est pas des choses dont on parle, pourtant en l'occurence cela fait courir des dangers certains à celles qui se désinvestissent ainsi de leur corps comme s'il ne leur appartenait pas...

Écrit par : helenablue | 16/11/2009

sujet très complexe s'il en est,comme pour la drogue...,je dirais que c 'est la demande qui créé la l'offre...,puis il y a ceux et celles qui acceptent par choix de...vie,et toutes celles et tous ceux pour qui c 'est un besoin,c'est pour cette deuxième catégorie que l'on se doit d'apporter des réponses et des solutions ' humanisantes ' à titre très personnel,je dirais je ne conçois pas que l'on puisse acheter,à fortiori,vendre du plaisir,le plaisir se donne se partage et quand le partage n 'est plus possible pour une raison ou une autre...,reste le plaisir solitaire qui ne fait de mal à personne...

Écrit par : francis | 16/11/2009

Hum, Françis, ce n'était pas tout à fait mon propos mais puisque tu en parles, il y a deux choses qui m'interpellent dans ce que tu dis là, d'abord le choix de vie, ya t'il un véritable choix de vie quand on sait que 85% des prostitué(e)s on été abusés dans leur enfance, tu dis que c'est à la deuxième catégorie de gens, des demandeurs en fait qu'il faut s'occuper et à qui il faut apporter des solutions humanisantes, alors qu'au fond n'est ce pas la prostitution en est parfois une, j'entend qu'il vaut mieux cela sans doute que de violer les gamines ou les gamins de son quartier ou de plus loin dans les pays où leur vie ne vaut pas tripette! la notion de plaisir implique le soulagement d'une tension et n'est pas forcément quelque chose que l'on partage il peut-être tout à fait personnel et égoiste, il l'est souvent même en relation, le plaisir partagé implique une grande confiance en l'autre et un intérêt, une écoute, une volonté.
Mon propos était orienté sur cette notion tout à fait singulière et juste de ce corps qui n'appartient plus à son propriétaire parce qu'il n'a pas pu le faire sien ou a du se défaire de cette idée qu'il l'était et cela est forcément du à des traumatismes profonds, des manques dans la construction de la personnalité et une grave blessure narcissique, et j'en parle malheureusement en connaissance de cause.
Mais ce n'est pas irrémédiable, mais singulièrement compliqué et ardu.

Écrit par : helenablue | 16/11/2009

ce billet, Blue, je vais le lire en plusieurs fois - obligée. Parce que je me suis pris une "baffe" rien que dans ton introduction, en lisant ce que tu as ressenti dans ta chair, et en reconnaissant l'état dans lequel je me suis trouvée, à 8 ans, dans les mains du pédophile qui s'est "occupé" de moi. Cette étrange sensation d'être "décollée" de soi, "ailleurs" que dans ce corps investit d'étranger....ça a été drôlement dur, en grandissant, de ne pas "re-foutre le camp" de moi dès qu'on me touchait, de rester là...et même encore à présent. Chance, je n'ai pas été coupée du plaisir. Mais des mains sur moi...allez, un court instant je n'ai plus de souffle, et je suis ailleurs, le plus loin possible de moi. Puis ça passe, avec les années je...dépasse ? ce vieux réflexe, oui, pour rejoindre le regard aimant posé sur moi, "son" désir qui n'est plus danger....ah, ça m'a ramené "là-bas" dans mes 8 ans, ton intro, et ce billet je vais le lire mais il remue tellement de choses que je ne peux le faire que par petit bouts, il m'agite émotionnellement ! Mais tu sais bien de quoi je parle.
Merci de l'avoir mis, en tout cas.
N'a pas dû être fastoche de le sortir, hein....?

Écrit par : anne des ocreries | 16/11/2009

anne, je ne vais pas te mentir mais au stade où j'en suis ce n'est pas si difficile de parler et d'exprimer tout ce qui concerne ce que j'appelle les dégâts collatéraux de toute mon histoire, tu sais, probablement jamais je n'aurais cru pouvoir le faire , si difficile à formuler au départ trop inatteignable et puis doucement ça remonte à la conscience et puis à force de tendre à quelque chose à force de croire cela possible et à force de s'en tenir à ce morceau de vie en soi, voilà le résultat.
J'ai fait ce parcours du combattant, j'en ai tant appris et tant découvert que parfois je bouillonne d'en dire davantage mais point trop n'en faut.
La meilleure des écoles est la vie elle même, l'empirisme, le travail sur le terrain.
Du mieux que je pourrais mais avec parcimonie je témoignerais de ce vécu qui enferme empoisonne rend fou déplace et retire à l'individu son essence rare, et tout ce parcours j'en mesure aujourd'hui l'importance dans le regard la manière d'être et la vivance dans mes enfants et alors je sens que j'ai fait au mieux.
Même si, il faut l'avouer il y a pas mal de casse aussi, et de désillusions et de souffrances.

Écrit par : helenablue | 16/11/2009

merci pour ce texte ou je me suis retrouvé, non dans la prostitution mais dans la decorporalisation suite à des violences familliales de mon enfance.
hypoesthesie, absence de douleur, négligence de soi, dévalorisation physique et sociale...fuite des relations pour éviter les agressions...mais aussi le fait de pousser parfois son corps à l'extreme pour l'obliger à un ressenti...je me demandais si les prostitués en faisaient de meme?
merci

Écrit par : lauraneb | 31/12/2009

Ne parle t-on pas de décorporation lors des fameux NDE, la charnière des 2 mondes, cet état de mort imminente (Near Death Experience) ? Soit la dissociation du corps et de la conscience. La décorporation est surement différente de la décorporalisation (je n'ai pas le temps de chercher dans un dico, mais la frontière me parait étroite, en lisant cet article très interessant).

Écrit par : Raphael | 31/12/2009

Les commentaires sont fermés.