17/02/2010
page d'histoire perso
Ma grand-mère maternelle vient de mourir, 94 ans bien malade depuis un bail, elle n'avait plus toute sa tête, après une agonie d'une dizaine de jours insoutenable pour ma mère elle a rendu l'âme dans cette solitude qui a toujours été sienne au fond. La dernière fois que je l'ai vue ce n'était pas dans des circonstances légères, je venais alors lui demander des comptes par rapport à son inactivité face aux troublantes et incestueuses activités de son pédophile de mari, une entrevue pas banale et assez violente qui ne lui avait pas franchement plu ce que je peux comprendre avec le recul maintenant et qui nous a laissées elle et moi comme ça sans réaction ni d'un côté ni de l'autre pendant une quinzaine d'années. Depuis son décès je fais des rêves nouveaux, elle m'apparaît plus jeune avec sa permanente à laquelle elle tenait tant et ses mains rougies par le travail mais surtout des souvenirs remontent que j'avais occultés, des odeurs des sons des images, sa terrine de lapin aux pruneaux, ses petites tricheries aux cartes, ses câlins maladroits, son " ainsi font font font les marionnettes", le petit panier offert pour cueillir les cerises, le baiser obligé au crucifix au dessus de l'énorme lit bateau à l'édredon fleuri dans lequel je couchais parfois pendant les vacances scolaires... Une brave femme au fond, quatorze frères et soeurs, énorme famille régit comme un régiment tous à la baguette, ses parents n'étaient pas tendres du peu que je me souvienne, sa mère surtout, elle n'a pas eu une vie facile ni frivole travaillant à la ferme du matin au soir, c'est elle qui m'a apprise à traire les vaches, une vie de labeur de chaque instant mais elle ne se plaignait jamais, du moins je ne l'ai jamais entendu se plaindre. Je ne sais dire si je suis triste aujourd'hui de ne pas l'avoir revue depuis et je m'efforce de garder d'elle ce qui a pu et dû sans doute être bon pour moi malgré tout, ce qui me frappe par contre c'est l'attitude de ma mère son unique fille qui en perdant la sienne me sollicite plus que de coutume et se réintéresse à moi comme si elle prenait conscience d'un coup de l'importance de cette filiation. Pas pour autant que la relation soit simple, toujours compliquée et à double tranchant, pourtant je me sens plutôt apaisée et je crois que je commence à accepter cette part d'obscur en elle et tout ce à quoi elle a du elle aussi faire face même si je n'en aime ni les conséquences ni les dégâts collatéraux. Une autre page de l'histoire familiale se tourne, une mémoire s'éteint, une autre s'ouvre une sorte de soulagement bizarre, comme si ça s'épurait de soi-même, je le vois chaque fois un peu plus dans le regard aimant de mes enfants et dans celui que je porte sur la vie...
11:59 Publié dans fragments | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : famille, décès, histoire, filiation, enfance, souvenirs
Commentaires
Que cette page poignante se termine sur les mots de l'amour est une consolation. Vous savez convertir les peines en beauté.
A vous
Écrit par : Arbi | 17/02/2010
@Helena, j'ai souvent ressenti dans tes billets beaucoup d'émotions, de souffrance aussi et un chemin parcouru qui fait de toi, par blog interposé bien sûr, une femme équilibrée et posée.
Tes billets sont très bien écrits et j'avoue que c'est de l'admiration que je ressens en te lisant.
Ce billet m'a beaucoup touché, c'est fou tout ce qu'on porte en nous de notre famille, et si en chemin on peut s'en délester petit à petit, ça permet d'avancer. Et on avance quand on comprend au lieu d'en vouloir.
Hier, sur un billet Tiphaine demandait qui aurions nous aimé être, et j'ai eu envie de répondre "moi, mais avec une famille normale au dessus de moi", j'ai l'impression que tout aurait été plus simple, plus facile...
Je t'embrasse
Écrit par : sophie | 17/02/2010
Hum, des moments riches et boomerang. Ca pogne la vie, c'est bien, j'aime, quelque soient les coups de couteaux.
"Délivrés, délivrée" ai-je intitulé un de mes premiers billets...au sujet des parents disparus.
Écrit par : PLume d'Hi | 17/02/2010
C'est sans doute dommage que tu n'aies pu faire la paix avec elle mais l'important, sans doute, est que tu vas maintenant pouvoir la faire avec toi-même. Fais le tri de tes souvenirs, tu n'en garderas que les meilleurs.
Bises, Blue
Thierry
Écrit par : Bluebird | 17/02/2010
Tu as beau avoir ouvert tout grand ta porte, Hélène, je me sens, en déposant cette fois mon papillon, tout drôle. Affaire de famille. Un inconnu, jeune, cravaté, l’air vaguement Droopy m’ouvre… « Monsieur... ? » - « Giulio… un ami… je ne sais pas si je dois… ».- «Mais si, mais si, les amis d’Hélène…» Coup d’œil sur mes sabots crottés. Autre coup d’œil vers le paillasson. Compris. J’y frotte mes semelles et il me débarrasse d’autorité de mon imper dégoulinant. M’introduit au salon. On dirait une salle des pas perdus où une quarantaine de flûtes des deux sexes traînant laborieusement d’énormes bagages humanoïdes échangent des informations fragmentaires sur le temps restant imparti à chacun dans le cadre du service minimum. Les unes moitié pleines, les autres trois quarts vides, toutes beaucoup trop chaudes pour contenir mieux que du bouillon, toutes me sourient d’un air forcé, guindé, triste, surpris, interrogateur, pincé, aucune ne m’adresse la parole. Je leur rends la monnaie de leur pièce. Un pingouin passe avec un plateau. En saisis une au vol. Flûte! Qu’est-ce que je fais ici? «Tu es de la famille ?», me lance soudain, le point d’interrogation imperceptible, une coupe à travers laquelle brille un regard inquisiteur. Et moi : «Plus assez de flûtes ?» Vieux truc, une question pour une autre.- «Apparemment, paraît qu’il y a eu de la casse.» - «Ah, des coupes sombres chez les flûtes…» - «Mais nous, les coupes on est plus extroverties… » - «Je vois. Tu coupes dans le vif.» - «Il le faut, parfois…» - « Oui, à condition de ne pas jeter la famille avec le champagne du verre».- «Vous n’êtes vraiment pas de la famille ? ». Que dire encore. Par chance, il ne pleut plus.
Écrit par : giulio | 17/02/2010
C'est vrai que les souvenirs pesants disparaissent parfois avec la perte d'un être cher, avec ou à cause duquel on a parfois souffert. La liberté de notre pensée nous offre cette possibilité de choisir ce que nous voulons transmettre, en réfléchissant à ce que nous avons subi. Sans embellir les souvenirs, ça c'est dangereux, mais aussi sans juger, sans accuser, en essayant seulement de comprendre et de ne pas reproduire ce que nous savons être potentiellement destructeur. Et dire à nos enfants sans cesse que nous les aimons.
Écrit par : piedssurterre | 17/02/2010
Désolée pour toi, Blue. Comme tu dis, une autre page s'ouvre. Ce qui s'est vécu, elle aurait été bien en peine de l'empêcher, je crois. Tu avais eu raison de demander des comptes, même si ça a tendu le lien pour un temps, c'est comme ça qu'on sort du "victimat", en affrontant. A présent, enfin, tu peux nuancer, et à présent, enfin, tu peux faire la part des choses, comprendre et accepter que chaque être porte du bon et du mauvais en lui, et le poids de tous les silences, les non-dits les mal-dits, les émotions jamais formulées ni analysées. Elle en a eu trop sur le dos cette femme-là, et tu comprends comment les bourreaux peuvent naître des victimes, sauf quand, comme dans ton cas, une solide prise de conscience permet de sortir du cercle vivieux pour enclencher un "cercle vertueux".
A présent, enfin, tu peux "avoir" une grand-mère, à la place d'un monstre froid.
Le positif peut enfin montrer le bout de son nez, il n'y a plus de bataille à mener pour se remettre debout, c'est fait.
C'est classique et normal qu'une mère se rapproche de sa/ses filles à la disparition de la sienne, c'est un processus fréquent, je l'ai vu souvent. "Avant", ta mère était protégée, en quelque sorte, de la mort par l'existence de la sienne, de mère. Elle était "la fille de" ; à présent elle devient enfin grande, elle est en première ligne, la génération du dessus ayant disparu elle se retrouve dans la génération des "prochains à y passer", et ça la trouble, donc elle se rapproche forcément de toi qui représente la vie qu'elle a donné, l'angoisse et le deuil l'y poussent, c'est le moment des réparations.....le moment de réinventer ta mère, et votre lien. Oh, pas de panique, ça va se faire plus ou moins de soi-même......
Car ainsi est la vie, nous faisons notre temps et nous laissons la place...
Je t'embrasse de toute mon amitié, Blue, en ces moments flottants où tout se ré-équilibre. Tiens bon.
Écrit par : anne des ocreries | 17/02/2010
Par chenous on appelle ce genre de chaudron pour cuire sous la pression un"presto''.
Cocotte c'était le nom de notre défunte chatte :-)
Écrit par : gaétan | 17/02/2010
On ne peut entrer que sur la pointe des pieds dans la souffrance des autres,
Que tu ais trouvé l'apaisement est réconfortant.
Le problème de l'inceste est déchirant..tout ne tient qu'à un fil..l"hypocrisie environnante..on ne sait pas tout de l'histoire..mais la femme est deux fois victimes; en tant que mère et en tant que fille.
Le pardon ( hautement religieux) doit ressembler au désir de vivre..
Vous êtes très fortes:)
Écrit par : noese cogite | 18/02/2010
J'avoue ne pas aimer cette idée de pardon, sûrement pour sa connotation religieuse, je préfère celle de Tisseron, d'exonération, comment de manière transgénérationelle si personne ne s'en préoccupe la patate chaude se refile.
D'avoir, enquêter d'abord puis compris comment tout cela avait pu être et comment cela a pu de génération en génération été tu sécrété entretenu inconsciemment même si sans détour je peux dire que toutes les découvertes que j'ai pu faire sont plus effrayantes les unes que les autres, elles ont un sens, terrible et implacable, il a fallu beaucoup d'énergie et de foi dans l'humain pour en sortir, chaque génération étant le jouet de la précédente, chacun véhiculant le problème ou plutôt la mauvaise solution pour y faire face personne n'ayant le courage de s'y confronter, parce qu'il en faut c'est vrai mais pas uniquement, je crois que dans toute cette désolation qu'a pu être mon enfance et celles de mon frère et de ma soeur, il y avait chez ma mère une volonté sourde mais puissante qu'on en sorte, elle ne savait pas de quoi elle même prisonnière mais en tout cas me concernant m'a permise je ne sais encore vraiment de quelle manière n'ayant pas pu jusqu'alors aller jusque là, elle m'a permise d'y accéder et de déchirer le voile et couper cette chaîne bien plus vive et destructrice qu'aucune prison.
Je n'ai pas à lui pardonner pas plus qu'à mon grand père ou mon père ou ma grand mère, à quel titre, ils sont eux mêmes victimes, mais néanmoins responsables, je peux juste comprendre et tendre à être meilleure encore.
meilleure ne veut pas dire vulnérable faible ou prête à tout accepter, non, meilleure dans la compréhension de l'autre de sa problématique et de son équation. Pas pour m'oublier comme je l'ai fait par loyauté familiale pendant longtemps et dont j'ai payé le prix, non, par volonté et acceptation, en accord avec celle que je suis, active.
Ce désir de vivre qui m'anime depuis ma naissance et qui m'éclate à la figure près de quarante années après!
Parce que ça en vaut la peine, se sentir vivant ne se remplace pas et se vit.
Écrit par : helenablue | 18/02/2010
:0)
Écrit par : Top Floor Man | 19/02/2010
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