15/07/2010
lettre à ma mère
Maman,
Les années passent et je ne peux toujours pas t'appeler chère maman, je crains d'ailleurs que cela me reste impossible à mon grand regret.
Je t'ai haï, maman, j'ai haï te haïr, j'ai même eu très peur d'éprouver cette émotion avec autant d'intensité, de violence, d'évidence aussi. J'ai eu très peur de devenir monstrueuse et meurtrière tant la puissance de feu de ce sentiment nouveau pour moi à l'époque, il y a de ça plus de dix ans maintenant, m'a terrassée et m'a crucifiée de douleur.
Nous avions pas mal de différents et ça depuis un moment, ça faisait pas mal de temps qu'on ne pouvait plus se parler ni s'entendre ni même s'approcher tant la blessure était grande. Tu n'as jamais supporté cette vérité qui est la mienne, tu ne le peux davantage aujourd'hui mais cela n'a plus la même importance dorénavant, j'ai fait ce que j'avais à faire pour sauver ma peau et celle de mes fils, devenir ma propre mère; néanmoins je ne peux m'empêcher de penser souvent à ce moment précis de ma vie, ce moment où j'ai finalement tué ma mère, tué ma maman idéalisée, tué celle que j'aurais voulu et eu besoin que tu sois, ce jour où j'ai fait sauter pour de bon ce verrou "amnésiant" et aliénant qui aurait pu me rendre vraiment folle pour de bon, ce moment précis de ma vie où j'ai hurlé et craché du fond de mes entrailles: " maman je te hais". J'ai vraiment eu peur des mots, moi qui ne les craignais guère, peur de leur intensité peur de leur influence peur de la vérité de l'horreur dans laquelle tu m'avais plongé depuis ma naissance.
Maintenant je l'ai bu jusqu'à la lie cette haine, j'ai même compris qu'elle pouvait revêtir les mêmes atours que l'amour, s'infiltrer dans les mêmes voies les mêmes canaux, "l'ahour" devrais-je dire, car après l'avoir ressenti si profondément dans toutes les fibres et méandres de mon être, elle s'en est allée pour faire place au véritable amour, pas pour toi maman, cela me sera toujours probablement difficile j'éprouve à ton égard plutôt une sorte de compassion, non, je te parle de l'amour tout court, l'amour de la vie, l'amour de l'amour, l'amour de l'art, l'amour de l'autre, de mon corps, de mon sexe, de la femme que je suis devenue, l'amour de l'homme, du masculin, de l'alter ego et l'amour de mes enfants, l'amour de mes enfants de la maternité de la famille. Car vois-tu, ce qu'il y a de plus douloureux pour moi et qui le reste encore, ce n'est pas tant que tu n'aies jamais pu m'aimer que celui que tu ne m'aies pas permis de le faire.
J'ai bien essayé d'y tendre, oh oui, de toute la force dont j'étais capable, je me suis écartelée jusqu'au presque point de rupture pour éprouver exprimer partager cet amour auquel je n'avais pas accès, et ça n'est qu'en le découvrant, qu'en débloquant la source en déverrouillant le passage que j'ai mesuré à quel point j'étais loin de la réalité.
Vivre l'amour est bien plus intense bien plus stupéfiant de beauté et de simplicité, bien plus nourissant que ce que je n'imaginais.
Tard, mais pas trop tard je l'espère, quoique certains jours j'en doute et que cela me désespère, tard mais pas trop tard j'ai pu l'offrir en cascade à mes fils déjà grands et qui me l'ont rendu au centuple eux-mêmes soulagés de cette libération tant attendue.
Si tu savais, maman, à quel point tout cela endommage, à quel point tout cela t'a toi-même endommagée et à quel point on renoue avec soi-même en explorant ce chemin de la vérité et de l'épreuve, ce chemin que tu as toujours redouté et comme je peux le comprendre, tu t'autoriserais à ton tour cette haine en amont, qui, une fois sortie de soi ouvre la porte à la vie même dans toute sa quintessence.
Take care, maman.
Ta fille
15:19 Publié dans fragments | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : fragments, enfance, écriture, maman, émotion, filiation, humain
Commentaires
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Kiss, Blue
Bird
Écrit par : Bird | 15/07/2010
J'espère ne pas t'avoir trop remué, Bird, avec cette lettre.
Amitiés.
Blue
Écrit par : helenablue | 15/07/2010
Boulversant a l'evidence... Sans doute aussi pour toi d' avoir reussi a l'ecrire, Helena
Non je ne trouve pas ca severe il est des mots ecris qui sont des cris, les tiens ont quelque chose
de sage, d'une s orte de redemption que tu as su trouver, prendre...
Moi au contraire, en lisant cette lettre je mesure a
Mon niveau qu'il va me falloir aussi un travail de fouille que personne n'a entrepris
ds cette famile a par moi, dans la lignee mere fille c'juste une catastrophe...
Si tu savis ce que ma fille m a dit hier...
Je n'ai pas toutes cartes pour repondre a sa souffrance... De petite fille de 4 ans enfin bref,
C'est prevu au programme parce que quelque soit les rapports humains
il faut faire en sorte de ne pas reproduire a l'infini... Voilà pourquoi ce genre de lettre
Essentiel . On peut penser ca trop intime pour un blog, de se livrer ainsi,
mais combien de fois je me suis demandee seule: Comment les autres arrivent a vivre et
Comment ca va avec la douleur ?
Écrit par : laure | 15/07/2010
juste ...merci ... impossible d'en dire plus... merci pour ces mots, cette vérité : c'est un message d'espoir... ÉNORME !
Écrit par : k.role | 16/07/2010
Belle lettre. Forte et sage. Premier objectif atteint.
Et si on imaginait que cette lettre parte vraiment, qu'elle soit lue, qu'on nous poste une réponse... le second objectif...
Écrit par : Claudio | 16/07/2010
Et si le temps reculait, si le miroir inversait l’image , les enfants devenaient les parents ?
Le temps passe , quelque part nous avons l’impression de devenir les parents de nos parents , après avoir déroulé la pelote de leur vie pour attacher ce fil a notre propre pelote…
Je crois que les temps changent ; nos parents etaient les enfants de leurs parents, notre generation a su trouver une maturite plus universelle , une certaine mondialisation de l’amour, assimiler l’orient, faire du gris avec du noir , la rigueur intransigeante du Dieu de nos parents c’est transformée vers des croyances plus humaines !
Aujourd’hui on n’écrirait pas« Ecoute petit homme « mais ecoutez les parents !
Les enfants donnent autant aux parents !il suffit de les écouter !
Helena, Bravo pour avoir deroulé ta pelote comme tu l’as fait et permit a tes fils de tricoter la leur , bon c’est vrai nous leurs transmettons une laine un peu OGM !!! such is life ! keep on going .
Écrit par : RV | 16/07/2010
Toute bouteille à la mère a vocation à être lue, Blue, même si les probabilités sont minces. En toute mère il y a une mer souterraine dont un forage comme celui-ci peut faire jaillir l'amour, même quand la dure-mère est rigide et les rancunes tenaces; mais gare aux solutions passe-partout. Chaque différend (attention! § 3, ligne 1) est différent. Idem chaque serrure, chaque cerveau, chaque coeur. Il n'y a pas de Passe-partout. Celui-ci n'était qu'une allégorie du courage et de la débroullardise victorieuses sur les conventions et l'imobilisme simbolisées par Phileas Fogg avant son tour du monde. La clef, si clef il y a, n'est pas affaire de raison; elle ne peut se trouver qu'au coeur des coeurs. Tu trouveras, Blue!
Écrit par : giulio | 16/07/2010
Non, Blue, ne t'inquiète pas pour moi. J'ai simplement jugé qu'il valait mieux que je me taise, tout en te faisant savoir que j'étais là.
Kiss, Blue.
Bird
Écrit par : Bird | 16/07/2010
Belle missive ! Il fallait l'écrire, cette lettre, il fallait jeter ce cri, une bonne fois. Sacrément soulageant, n'est-ce pas ?
Je t'embrasse, Blue !
Écrit par : anne des ocreries | 16/07/2010
La charge émotive de ta lettre me rappelle comment l'écriture fut d'une aide précieuse lors de mon programme de rétablissement face à ma dépendance envers l'alcool.
bonne journée
Écrit par : gaétan | 16/07/2010
@ Gaétan:
Il y a un effet rédempteur dans l'écriture, c'est vrai, elle peut être tout à fait salvatrice surtout quand elle faîte de chair et de sang, d'authenticité de non-compromis et de prises de conscience. certaines dépendances conduisent inexorablement à l'aliènation, l'alcool le sexe la drogue dure ou douce le travail à outrance le pouvoir l'argent, la liberté se gagne en faisant face, en prenant conscience, en n'essayant plus de faire plier le monde à l'idée qu'on s'en fait, la mise en mot devient alors une des voies possibles, et non des moindres...
Belle journée à toi itou.
Quel est ton programme du jour?
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@ anne:
Cette lettre je l'ai mille et une fois écrite, et finalement jamais vraiment de la même manière, jeter ce cri une bonne fois, comme je voudrais te croire, moi qui en ai poussé plus pour accoucher de moi-même que de mes propres enfants! Je ne crois pas que ce sera le dernier mais c'est une étape, importante, celle d'une forme d'acceptation et d'exonération, ma mère autant que moi a été prise dans cet engrenage mortifère, mais j'ai cessé de vouloir l'en sortir ou de l'aider, j'ai cessé d'y songer, j'ai cessé d'attendre ce qu'elle ne peut de toute façon pas m'offrir, j'ai cessé d'être aussi le parent de mon propre parent, juste à être et à consacrer mon énergie à l'être pour mes enfants.
Je suis soulagée depuis un moment déjà, mais ne le suis pas encore tout à fait de tout ce gachis, et une fois de plus et une foi encore je caresse l'espoir de faire pousser une rose sur le fumier!
Je t'embrasse aussi chère amie!
Et te remercie de ton énergie vive!
♥
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@ Giulio:
Oui, j'y compte bien Giulio, quand le moment sera propice, je ne desespère pas complétement de réveiller son amour filial, il est là manifestement à sa manière à moi de l'entendre et de l'accepter tel qu'il peut m'être offert, à moi de faire ce chemin, elle, c'est au-dessus de ses forces.
Je ne vais pas lui demander ce que j'ai mis tant de temps à comprendre et tant d'energie à ressentir, de toute façon elle n'en pas la volonté et puis ça pourrait lui être fatal, parce que ce qu'il y a à voir n'est pas joli joli...
Je trouverais sans doute, il me faut juste encore un peu de temps et de confiance aussi!
Merci de ton commentaire si imagé et si rondement mené cher ami.
Avec toute ma tendresse.
Blue
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@ RV:
:-), un peu OGM! En effet...
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@ Claudio:
Une réponse comme on souhiterait qu'elle soit, ou la réponse que certainement je risquerais de recevoir?
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@k.role:
Oui, c'est un message d'espoir, un message du Tout est possible, en effet!
Merci de ton passage ici...
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
@ Laure K:
Couper la chaine... la fameuse patate chaude qu'on se refile de génération en génération... On en parlera ce week-end, un peu, si tu veux...
Bises.
Blue
Écrit par : helenablue | 16/07/2010
programme d'hier (comme il pleuvait toute la journée): lecture, internet et revu à la télé le film "Le festin nu" .
Écrit par : gaétan | 17/07/2010
Oh! Joli programme...
Écrit par : helenablue | 17/07/2010
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