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14/05/2012

Eva et Irina

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- Eva par Irina Ionesco -

 

Avant-hier soir j'ai visionné le film autobiographique Little Princess d'Eva Ionesco avec Isabelle Huppert dans le rôle de sa mère. Je craignais d'être perturbée par ce film, certains films me troublent au plus haut point, l'image s'infiltre dans mon inconscient sans que je ne puisse y prendre garde et a parfois des effets boomerang déconcertants. Sans doute avec l'âge et avec mon bagage suis-je un petit peu plus préservée, là, il ne s'est rien passé de spectaculaire. Intriguée, j'ai voulu en savoir plus sur cette femme Irina qui a photographié sa petite fille de quatre ans jusqu'à ses neuf printemps dans des poses suggestives d'un érotisme troublant et d'une beauté quasi toxique. J'ai trouvé un entretien d'elle parlant de son enfance et de sa vie stupéfiante digne d'un roman, la réalité parfois dépasse la fiction: on ne se retrouve pas tous contortionistes avec deux énormes boas pour finir cible vivante nue pour un lanceur de couteaux! Au travers de son art, elle a cherché à être, à combattre ses démons intérieurs, à rester vivante et elle a instrumentalisé sa fille tout comme elle l’avait été elle-même. Dans le travail de cette femme il y a un côté sophistiqué à l’extrême, élaboré, un dialogue entre la féminité et la mort comme si un corps de femme était un poison ou une plante cannibale, c’est d’une beauté dérangeante, interpellante presque perverse doublé d’un impressionnant rejet du masculin palpable et d'un appel désespéré au féminin. "Qui suis-je", semble t'elle nous dire au travers de son regard. Abandonnée par ses parents à quatre ans, c'est elle qu'elle semble chercher à travers la théâtralisation de sa petite fille, dans toute son oeuvre transparaît cette quête de l'identité. D'un seul coup j'ai pensé à ma propre histoire avec ce doute qui subsiste en moi sur l'identité de mon père, cette conviction fantasmagorique que mon père pourrait ne pas être mon père et que, quoi qu'il en soit je n'ai pas le sentiment d'avoir eu un papa, alors qu'en fait dans ma sombre réalité il est bien là. Quand je parlais davantage de mon vécu enfant, on me demandait souvent comment je pouvais autant aimer les hommes avec ce que j'avais eu à vivre? On pourrait me demander aussi comment cela se fait-il que j'aime autant les femmes aujourd'hui? Je ne conçois pas un monde sans l’un ou l’autre. Les deux ont leur importance dans les mêmes proportions pour les mêmes raisons et c'est cette union de ces deux pôles qui ouvre à la création et à la complétude, j'en suis intimement persuadée. Quand on me parle qu’un monde sans hommes serait plus je ne sais quoi, je ne peux m’empêcher de sourire, pas plus que dans un monde sans femmes je ne pourrais tenir. Pour en revenir à ce film d'Eva, j'ai été fascinée par le jeu de la jeune actrice qui tient le propre rôle de la réalisatrice et par la mise en scène de cette relation d'attraction-répulsion propre à toute relation incestueuse. Pour sans doute beaucoup d'individus, ce qu'a fait Irina n'est pas là de l'inceste mais de l'art, pourtant cette mainmise qu'à cette mère sur le corps de sa fille me rappelle cette tentaculaire présence de ma mère qui m'utilisait sans le savoir et m'offrait en pâture à son père. Je comprends maintenant qu'elle n'a pas pu faire autrement, elle-même prisonnière, elle-même utilisée et, le regard que je porte sur elle est beaucoup plus apaisé et je ne me demande plus, ou en tout cas beaucoup moins, qu'elle aurait été ma vie si je n'avais pas eu à vivre ce que j'avais vécu. J'accepte même cette insoutenable idée que j'ai pu y trouver un certain plaisir malgré moi et que je porte en mon sein cette perversité, qu'il me faut l'accepter voire la sublimer. C'est tout le paradoxe de la relation d'Eva et Irina et toute la violence de leur relation et si elles sont en guerre encore aujourd'hui, luttant avec les mêmes armes, c'est qu'elles n'ont pas pu faire ce qu'après de longues années j'ai le sentiment d'avoir accompli: ne plus haïr ma mère et apprendre à m'aimer entière avec mes venins et mes contre-poisons, mes désirs, mes substances et mes mots qui poussent, cognent et ne demandent qu'à sortir, définitivement je l'espère dégagés de toute l’emprise d'une maman comme Irina, maquerelle et voyeuse qui m'a aimée à sa manière, vénéneuse.

 

Commentaires

Je me souviens très bien de ces photos qui faisaient les gorges chaudes du Montparnasse de mes 18ans... A l'époque une intense sensation de dégout...de quoi vous rendre mysogine à tout jamais... une petite parcelle m'en est restée, en tant que pédiatre les certificats pour pouvoir faire travailler des enfants dans des reprèsentations filmiques ou photographiques m'horripilaient et je refusais... cette mère continue de me sembler un monstre...et je ne lui pardonne rien...

Écrit par : laurence | 14/05/2012

Cette mère est monstrueuse en effet, c'est indéniable, nos enfants ne nous appartiennent pas et il n' y a rien de plus terrible que cette "choséification", cette utilisation du corps, de l'esprit, de l'âme de SON enfant à des fins personnelles. On peut ouvrir le débat à l'utilisation des enfants en général qui doivent être protégés , entourés et respectés et non ainsi utilisés.
C'est l'effet miroir qui me percute, l'effet que peut avoir une telle histoire sur la mienne. Après réflexion, il est double. Cela va peut-être te paraître violent mais pour Eva, la preuve est là, en image et indéniable, elle peut se défendre et peut-être entendu comme victime. Ca c'est le premier point. Irina n'a certainement pas choisi la meilleure voie pour sa fille de s'en sortir mais avait-elle tout son libre-arbitre? Voilà le deuxième. Je ne cherche pas à la défendre, ça n'est pas défendable, mais à comprendre, sans doute parce que ça m'est nécessaire pour comprendre et pour accepter ma propre histoire et celle de ma mère. Dans mon cas, seule ma parole peut valider ma souffrance passée et mes difficultés à être et seule ma parole peut me permettre d'accepter cette part d'ombre et tordue qui est mienne. Je me suis longtemps défendue intérieurement en tentant d'être parfaite et en donnant l'illusion que j'étais une femme pleine d'elle-même, ce qui était bien loin d'être le cas et ce qui reste un cheminement pour moi.
Dans une telle relation entre une mère et sa fille, ça n'est pas si simple, c'est difficile d'accéder à sa sérénité personnelle si on ne fait pas ce travail d'exonération, je n'aime pas l'idée du pardon qui n'implique pas la compréhension, alors que l'exonération ne peut en faire l'économie. J'ai le sentiment qu'il n'y a pas d'autres moyens pour moi pour dé-passionner le débat et avoir une vision objective et apaisée, pour ne plus être agie mais agissante, pour entrevoir cette vérité qui est mienne avec toute l'intelligence nécessaire.
L'inceste est inacceptable, on doit en parler, il faut quand on l'a subi témoigner de ses capacités destructrices et mortifères, mais aussi de cette capacité qu'à ce genre de comportement à se reproduire si on ne prend pas conscience de toute l'étendue des dégâts causés dans la psyché d'un individu.
Irina n'aurait pas dû être encouragée dans cette voie par une société malade de son sexe, c'est l'approbation de ses contemporains voire la gourmandise de certains d'entre eux qui ont décuplé sa folie...
Parfois tu sais je me demande en quoi ma vie compte-t-elle plus que celle de ma mère? J'ai tellement désiré sa mort que si elle venait à périr maintenant je m'en sentirai sans doute coupable!
Quoi de plus compliqué, de plus profond et de plus puissant que la relation d'une mère à son enfant, et la relation d'une fille à sa maman?

Écrit par : helenablue | 14/05/2012

A. Q.

Jaimerai bien le voir ce film, depuis qu'il est sorti il trotte dans ma tête avec insistance . Parce que Isabelle Huppert d'abord, qui s'attaque toujours de façon aliénante à des rôles borderline, comme si elle tenait à s'en faire un collier de pierres noires. Parce qu'aussi ce rapport au photographe et modèle, le pourquoi des images. Ce qu"on y met, ce qu'on y projette. C'est juste pas rien. L'entretien que tu mets en lien m'a littéralement scotché. Enorme.
ENTRETIEN AVEC IRINA IONESCO
www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=ENJE_002_0223 ( fichier pdf à telecharger)

Certains films effectivement tendent des miroirs parfois très troublant, où les situations mises en scène vont placer le scalpel là où les plaies saignent encore. Il m'intrigue beaucoup ce film, la plupart des films d' Isabelle Huppert d'ailleurs, qui se fait l'interprète majeure de tous les personnages borderlines.
Le rapport à l'image m'intrigue de toute façon. Ce besoin qu'on a de mettre en scène, de re-présenter. Présenter quoi, qui, comment ? quant au pourquoi ma foi il s'écrit dans les cailloux que l'on parsème, me semble-t-il.

Me rappelle que je m'interdis beaucoup de photographier ma fille à tout va. Je ne sais pas si c'est une façon de la protéger, mais c'est presque un paradoxe de ma part. "Puisque tu filmes les autres, pourquoi pas moi maman ? " elle ne me l'a pose pas cette question, mais parfois je l'entends, muette. A l'inverse je fais l'économie de son image, je ne lui repète pas non plus à tout va qu'elle est belle, alors que je le pense, bref je n'ai pas de désir du double avec elle. ça m'effraie plus que tout autre chose tellement les autres se chargent de remarquer notre ressemblance. Comme si voilà, physiquement nous n'étions encore qu'un seul corps. "Fusionnelle" on dit. Et moi je fuis ça de toute part. Donc je ne l'expose que très peu. A l'inverse, elle souffrira peut-être d'un manque d'intérêt de ma part. Je sais pas.


@Laurence
Il te faudrait lire l'article en lien, Laurence.
ENTRETIEN AVEC IRINA IONESCO
www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=ENJE_002_0223 ( fichier pdf à telecharger)

"c’est comment on pouvait être un monstre et en même temps quelqu’un d’innocent.
(...)
Il y avait mon intégration dans ce monstre, une exploration de la création du monstre. Parce que le monstre pouvait être aussi moi-même par rapport à ma fille Éva, en tant que je me suis servi d’Éva comme d’un double de moi-même. Car je lui ai fait vivre des moments qui étaient peut-être forts pour elle. J’ai joué son regard, je l’ai prise pour moi. Je l’ai doublement investie."


Irina Ionesco évoque son parcours, sa vie initiale un truc de dingue, de perte complète d'identité dans une filiation à triangulaire très complexe, en cela je comprends l'extrême frontière avec ton histoire, Héléna. Elle évoque le troisième oeil aussi, et cette période de sa vie où elle a photographié le même film pendant un an, tous les jours, le visage de Bette Davis, une folie. 365 jours d'images sur un même sujet. Laurence, je t'invite à lire l'entretien. J'ai le sentiment qu'elle n'a pu échapper à ce besoin, je dis bien "besoin vital" de représentations, d'images de façon parfaitement boulimique, d'elle-même ou de sa fille à travers la photographie, puis à travers l'écriture. Ce qui est très troublant c'est tout le travail qu'elle a entreprit en même temps, psychanalytique, artistique, pour pallier au monstre intérieur. Sans pouvoir le vaincre.Elle a certes franchit des frontières, exposer sa propre fille mais comme elle même a été exposé à la vie, à la mort. Un flirt incessant. Avait-elle seulement le choix hors de ses pulsions destructrices ? Certes, les encouragements d'une époque libertaire allant dans ce sens ne l'ont pas aidée.
L'entretien m' a estomaqué pour un bon moment. Je digère.

Écrit par : Laure K. | 14/05/2012

Et vous croyez le phénomène terminé? Allez visionner les petits clips de l'émission Toddlers & Tiarras en lien ci-dessous. Ce n'est que la pointe de l'iceberg puisqu'il n'y a pas une semaine où de nouvelles accusations pour différents types d'abus à l'enfance ne font surface en lien avec cette industrie.
Et le cirque continu...

http://tlc.discovery.com/videos/toddlers-tiaras-season-5-videos/

Écrit par : MaskesmewonderHum! | 14/05/2012

Merci "Helenablue" pour cette approche qui rend compte de la complexité des relations entre Eva et sa mère Irina ! La lecture de la biographie d'Irina Ionesco, L'Oeil de la Poupée, publiée aux éditions des femmes est indispensable pour comprendre et éviter de prendre partie dans ce conflit inextricable.
Je signale juste en passant une exposition en cours :
http://www.stiletto.fr/univers-stiletto%20/irina-ionesco-onirisme-insolite-et-exces-6-857-56.html
Irina Ionesco travaille depuis une dizaine d'années, principalement pour la mode.
Cordialement. Ch.

Écrit par : Christophe | 15/05/2012

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