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13/08/2010

demande d'amis

Maman m’a fait sa demande d'amis sur ma page facebook, non pas que j’y aille vraiment assidûment mais c’est comme ici un espace d’un peu de moi, en première réaction j’ai déconnecté mon compte, une réaction reflexe face à ce que j’ai d’abord vécu comme un effet boomerang, me revenait alors des images que j’ai mis longtemps à comprendre et à digérer d’elle lisant mes courriers et mes journaux intimes, ce qu’elle faisait en toute impunité. Et puis j’ai réfléchi, j’ai refusé sa demande, j’ai écrit ceci qu’elle lira un jour peut-être si cela doit se faire, et j’ai reconnecté mon compte et retrouvé mes amis.

 

Le plus terrible dans l’inceste c’est l’absence de frontières, ton corps d’enfant ne t’appartient pas et n’est pas identifié comme tel, pas validé; ton âme toute neuve et friande d’apprendre et d’éprouver n’est qu’un jouet dont se servent à loisir les personnes de référence sachant bien qu’il te faut l’affect pour être en vie; tu ne sais où tu es tu ne sais qui tu es tu n’as aucune conscience de ta géographie, au fond bien malgré toi tu n’existes pas toi-même et longtemps tu traînes cette marque aux fers ancrée au plus profond du profond de ta chair.

Tu n’as pas d’intime tu n’as pas de chez toi tu es à tous et à toutes et du coup à personne, mais plus tard tu grandis tu cherches tu construis un radeau qui t’emporte plus loin vers d’autres rives vers cette voie enfin qui te donne naissance et tu t’offres à toi-même ce qu’on a toujours refusé, du respect de l’amour de la reconnaissance et plus que tout tu fuis d’un réflexe viscéral toute forme d’ingérence de violence d’injustice quel que soit l’habit dont elles se parent souvent.

Il reste bien sûr toujours latentes les cicatrices que les protagonistes peuvent réveiller facile même si tu te protèges depuis ton édifice il reste que tu le veuilles ou non au fond de tes entrailles cette filiation ce lien cette demande affective.

Quand elle a voulu franchir la ligne de cette frontière construite avec le temps de bouts de mes neurones et de chaque particule de ma peau de mon sang de mes tripes de femme mûre de mère et d’amante, elle a bien failli une fois de plus m’atteindre et j’ai dans un sursaut refermé la coquille pour mieux me retrouver et une fois de plus faire face. Elle a toujours été la pieuvre dominante, la mère maquerelle offrant ses enfants en pâture, elle n’en sait même rien elle–même mais continue, pourquoi  diable ferait-elle autrement ce qu’elle a toujours fait, inlassablement elle ignore la vérité de ceux qu’elle a engendrés de ceux qu’elle a mis au monde et cruellement continue de payer sur l’autel de l’immonde son tribut à la grande névrose familiale dont elle est le pion maître.

Je n’ai plus à me battre  maintenant je suis mienne mais j’ai encore au fond de ces peurs ancestrales qui m’inhibent et me freinent, me tétanisent même bien plus que je ne veux l’admettre et le croire. Alors j’écris, j’écris et j’écrirai encore jusqu’au bout de mes nuits jusqu’au bout de ma vie pour ne pas perdre tout ce que j’ai repris ne pas oublier tout ce que j’ai appris ne pas revenir ne pas retremper ne pas re goûter à l’amer et surtout ne pas attendre un quelconque geste vers celle que je suis. Leur monde sans frontière est un monde sans cadre un monde sans amour un monde sans espoir un monde où l’individu na pas de place car il est à tous et jamais à lui-même.

Non, maman, je ne peux t’accepter dans ma liste d’amis, elle n’est pas très longue mais elle est toute ma vie et tu ne peux avoir une place au milieu de celle-ci tu ne peux avoir une place au milieu de ceux que j’aime de ceux que je respecte de ceux que je découvre de ceux avec qui je peux être moi-même, toi, tu es ailleurs dans ma carte du monde, dans un endroit clos où parfois je passe quand j’en ai la force ou le désir brûlant d’avoir des réponses et de donner un sens et d’espérer encore malgré toutes ces années un peu de ta tendresse même si au fond je sais qu’elle est empoisonnée.

Il est long le chemin pour se désintoxiquer pour se défaire d’une drogue à laquelle on s’est nourri pendant de longues années, long le chemin pour se permettre d’être et de dire ce qui doit être dit et de dire sa propre vérité. Je m’y emploie chaque jour en espérant que ce soit le dernier tout en sachant que je ne peux baisser la garde, chaque jour à séparer le bon grain de l’ivraie, chaque jour pour devenir un petit peu plus humaine, un petit peu plus vraie.

Tu as fait du mieux que tu as pu, je n’en ai aucun doute, mais arrête-toi là et laisse-moi donc vivre tranquille entourée des miens et de ceux avec qui je partage l’essentiel l’affectif le réel. Je te refuse, maman dans ma liste d’amis, je refuse à nouveau de rentrer dans ton monde dans cette vision que tu as de l’Amour, et dans cette vision que tu as du Pardon dans cette vision mortifère et mortificatoire que tu as de la Vie.

Que viens-tu donc chercher dans les pages de la mienne, restons-en là veux-tu chacun à sa frontière avec ces quelques moments d’échange à la longue cuillère, c’est tout ce que je peux t’offrir pour le moment, c’est le mieux dans l’instant que je puisse faire pour celle que je suis devenue, pour cette petite fille qui vibre au fond de moi et qui compte sur mon aide, pour celle qui est loin de celle que tu voudrais que je sois ou que tu penses encore à force de cécité que je semblais être.

Le plus terrible dans l‘inceste c’est l’absence des repères, ceux qui doivent te protéger t’agressent, ceux qui doivent t’apprendre te détruisent ceux qui doivent t’aimer t’utilisent ceux qui doivent te respecter t’abîment ceux qui doivent te donner vie et confiance te tuent.

Le plus terrible du plus terrible c’est qu’ils n’en savent rien, qu’ils ne s’en rendent pas compte n’étant pas eux-mêmes maîtres d’eux-mêmes manipulés par leur propre destin. C’est une histoire sans fin si on n’en coupe pas la chaîne, c’est une histoire sans fin sans frontières sans repères sans cadre sans plan, un roman de misère où les victimes les morts les bourreaux les parents sont finalement tous des enfants en souffrance, mais c’est toujours celui qui arrive le dernier qui prend en charge tout ce que les autres n’ont pas pu voir pas pu entendre pas pu ressentir pas pu exprimer.

Voilà, maman ce que j’avais à te dire et pourquoi je te garde à une certaine distance, nous ne pouvons faire ce chemin ensemble que si enfin tu comprends que cette frontière m’est nécessaire, car comme tu ne le sais pas elle me protège de ta folie que tu as faite mienne, elle me protège de la mort de celle que je suis.

 


Commentaires

sachant bien qu’il te faut l’affect pour être en vie; tu ne sais où tu es tu ne sais qui tu es tu n’as aucune conscience de ta géographie, au fond bien malgré toi tu n’existes pas toi-même
il reste que tu le veuilles ou non au fond de tes entrailles cette filiation ce lien cette demande affective
Il est long le chemin pour se désintoxiquer pour se défaire d’une drogue à laquelle on s’est nourri pendant de longues années
cette frontière m’est nécessaire, car comme tu ne le sais pas elle me protège de ta folie que tu as fait mienne

Pan !

Des bises Blue.
Mais plein ...

Écrit par : Mik | 13/08/2010

il ya des blogs qui vous donnent... une étincelle de vie... celle dont on est fière de l'avoir un instant partagée...échangée...
Ces blogs vous donnent aussi le courage de continuer...
Blue c'est un beau texte...

Écrit par : laurence | 13/08/2010

Chère Hélènablue, ton texte est très fort, poignant et douloureux.
C'est un véritable manifeste contre les affres de l'inceste.
Ce sublime texte est digne de figurer dans une anthologie littéraire.
C'est pour cela que je te prie de passer , maintenant, à la publication à une plus grande échelle, à un recueil de tes textes pour que le plus grand nombre de gens
les découvre tant dans leur beauté stylistique que leur engagement thématique.
Tu es la voix de milliers de sans-voix!

Écrit par : Mokhtar El Amraoui | 13/08/2010

Il n'y a point de fin a purger ses viperes mais ca libere le poison ...et permet guerison
De renaitre a soi
Bize amie Blue, sois fiere de ce qui te portes

Écrit par : laure k | 13/08/2010

Il y a des gens avec lesquels il faut toujours se tenir prêt à dégainer un NON et il faut être tel qu'ils ne l'oublient à aucun moment.
Il est bon que ce soit les proches qui vous y préparent, à l'inverse leur appliquer cela est tout autre chose .... c'est un peu être comme celui qui, pris par surprise et déjà à terre, sait qu'il n'a plus qu'une seule balle dans son chargeur. Réussir, c'est en quelque sorte gagner sa réputation.

Écrit par : Baltha | 13/08/2010

Plus grand-chose à ajouter, chère Blue, aux commentaires de Mik, Laurence, Mokhtar, Laure et Baltha. Je n’eus pas mieux dit. Reste un mot, dont la répétition ne saurait nuire : BRAVO ! Et un seul petit ajout aux encouragements de Mokhtar à qui j’ai d’ailleurs prodigué les mêmes encouragements (quid ?). Envoie recta vite faite presto pronto ton texte à une grande revue féminine militante de ton choix ! PS : Il y eut un temps où ELLE te l’eût pris sans hésiter – aujourd’hui, je n’en sais rien.

Écrit par : giulio | 13/08/2010

@Giulio
Cher ami, j'ai bel et bien suivi tes conseils et je t'en remercierai toujours.
Dès que mon recueil aura paru, je te l'adresserai afin que tu le lises et me fasses profiter de tes critiques.
Je te demanderais, s'il te plaît, de m'envoyer "une adresse terrestre" à mon e-mail afin de t'envoyer le recueil, dès qu'il aura été imprimé:
mokhtaramraoui@hotmail.com

Écrit par : Mokhtar EL Amraoui | 13/08/2010

Deux phrases terribles-mais tellement justes- expliquent, en partie, la situation dramatique de l’enfant qui subit l’inceste etdevient progressivement un être humain sans repères.
« Le plus terrible dans l’inceste c’est l’absence de frontières, ton corps d’enfant ne t’appartient pas et n’est pas identifié comme tel, pas validé… » Et vous ajoutez : « …tu ne sais où tu es, tu ne sais qui tu es, tu n’as aucune conscience de ta géographie... »
Quand on n’a aucune conscience de « sa géographie », on est quelque part et nulle part à la fois, on ne peut s’approprier des facultés de réflexions ni de jugement. On est, en quelque sorte, un amnésique qui n’a jamais eu de « topographie » de référence. Or, nous avons tous besoin de nous situer par rapport à des données constantes et concrètes, faute de quoi nous nous sentons égarés, perdus mentalement et physiquement et nous perdons jusqu’à notre humanité. Les bourreaux connaissent bien cette vérité, ils utilisent l’isolement comme le moyen le plus efficace dans l’échelle des tortures. Un point de repère qui saute par-ci, un autre par-là et notre vision de la vie se trouve un moment, ou définitivement, déstabilisée.
La fin de votre texte me fait penser à cette phrase du poète jurassien : «on se sent crabe au milieu des crabes du dessus du panier ». Giulio, sur ce même blog, disait très justement «il n'y a pas de pureté en ce bas monde, sinon dans l'ignorance de la prime enfance et dans l'absence de la tarde sénilité. »
Votre texte est très beau et juste. C’est une très belle prose qui exprime le trouble sincère de certaines fibres qu’on croit enfouies au plus profond de l’être.

Écrit par : Halagu | 13/08/2010

Juste merci.

Écrit par : Aphrodite | 13/08/2010

Le problème de la médiocrité, c'est lorsqu'elle n'a plus d'adversaire : ce doit être là que gît son point de rupture.
Le travail de deuil à accomplir sur un vivant est un cas particulier, a priori peu constructif, et pourtant, réparateur : il permet de s'approprier les reliefs de sa propre vie, avec la douceur de la glisse au final. Persévérez.

Écrit par : ArD | 13/08/2010

C'est très fort et très émouvant, Blue, et aussi clairement énoncé ; c'est difficile de tenir à distance les fureteurs, fouineurs et autres inquisiteurs toujours occuppés de contrôle, de surveillance et de prise de pouvoir intempestive.....il est bon de leur rappeler qu'on a sa vie, et que tous les mondes ne se mélangent pas !....
Bravo, Blue, il faut savoir installer les frontières ! Tu as eu beaucoup de courage.
je t'embrasse.

Écrit par : anne des ocreries | 14/08/2010

Au-delà de tout ce qu’il contient de douloureux (et que je ne me permettrais évidemment pas de commenter), c’est un texte vraiment puissant; d’une grande qualité dans la manière, d’une efficacité dévastatrice même… mais qui m’impressionne par-dessus tout par l’étendue et la profondeur du regard que tu portes désormais sur ce passé. Je suis fasciné par la richesse de l’enseignement que tu en tires, qui va bien au-delà de ton expérience personnelle et touche des aspects fondamentaux et universels de l’identité et d’une certaine « démence filiale », si j’ose dire… En tout cas, je partage entièrement l’avis de Mokhtar El Amraoui et je suis absolument convaincu, ma chère Blue, que ce texte, et bien d’autres de toi certainement, mériterait d’être plus largement diffusé. (En fait, je m’exprime peut-être un peu mal, ce n’est pas tant une question de mérite mais plutôt de richesse à partager...)

Écrit par : Le plumitif | 14/08/2010

Merci à vous tous d'être là.

Écrit par : helenablue | 15/08/2010

Merci Blue, d'être toi.
Tendre amie.
Tu es très forte et douée
d'une résilience exceptionnelle.
Bonheur te soit donné
sans conditions j'espère.

Y.
xx

Écrit par : Yvan L. | 15/08/2010

je ne peut pas envoyer une demande d'ami sur facebook je sais pourquoi

Écrit par : mamadou | 12/04/2011

Ah? Et pourquoi donc?

Écrit par : helenablue | 12/04/2011

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