24/11/2010
hier
La journée s’annonçait sous de tendres auspices, j'étais plutôt sur la position cœur, les cellules du cerveau en action sur la droite et puis ce réveil mi-figue, mi-raisin pourtant énergisant assez tardif, je m’étais permise une grasse, ça m’arrive rarement surtout en tout début de semaine où je suis plutôt normalement le pied à l’étrier, une fois n’est pas coutume!
Je savais que la journée serait pleine et vraiment différente, c’était de surcroît l’anniversaire de mon beau-papa, et nous avions prévu de lui faire une visite pour cette occasion, mon homme et moi. Il n’est plus tout jeune, et perd la vue, de plus en plus, et ça l’angoisse drôlement, sa maman étant elle décédée complètement non-voyante, il m’a dit d’ailleurs en fin de soirée : « Tu sais c’est dur, de ne plus voir clair quand on a eu comme moi jeune la vue d’un aigle! » ; mais et c’est plus touchant encore ce qui lui fait vraiment profond de la peine c’est de voir sa femme celle qu’il aime depuis plus de cinquante ans perdre doucement la tête, elle est atteinte de leucoaraiose ou plus vulgairement de démence sénile, le cerveau en gruyère, qui fait qu’elle perd doucement la mémoire, qu’elle se désocialise, qu’elle puise dans son enfance de plus en plus ses souvenirs, qu’elle perd de sa superbe de son autonomie.
Mais avant cette soirée la journée ne fut pas en reste d’émotions en tout genre. J’étais en état d’hyper réceptivité dont acte. J’ai reçu quelques coups de téléphone plus ou moins agréables, laissons les moins de côté, j’avais l’humeur « partie pleine du verre », j’ai envoyé un sms tendre à un bon ami cher, échangé quelques mails sulfureux et coquins avec une vieille amie, parlé un bon bout avec ma chère Laure de projets, de construire, d’élaborations, toujours des échanges riches et stimulants en diable, j’ai tenté d’avoir Laurence au bout du fil sans grand succès, j’ai aimé entendre une voix venue de loin en fin d’après-midi, j’ai eu une discussion étonnamment intime avec ma collaboratrice justement sur ce thème de la vieillesse, de cette prise de conscience qu’on est de passage : elle est jeune maman et sa grand-mère qui compte beaucoup pour elle lutte avec les signes inéluctables de l’âge, ce qui ramène chacun à sa propre destinée et aussi à se positionner dans l’échelle familiale, comment vais-je vieillir face à mes enfants, on mesure aussi qu’on n'est pas immortel, « Que va devenir ma fille si je meurs demain? ». Je n’étais pas surprise, j’avais dès le matin senti que ce serait une journée assez dense avec de quoi réfléchir et réflexionner. Un peu avant qu’on ait cette discussion sincère, une de mes vieilles connaissances m’annonçait droit dans les yeux ne plus en avoir pour très longtemps, on venait de lui déceler un cancer pas terrible celui du pancréas, je lui dis : « Ne dites pas de bêtises ! Vous êtes une dure à cuire… », ce à quoi elle répond « Vous avez bien raison Hélène, j’ai toujours eu une santé de fer mais là, vache, c’est costaud, ils me font un traitement de cheval, regardez mes cheveux, je les perds par poignée ! Remarque le positif, c’est que je perds du poids ! Gardons le sens de l’humour, n’est-ce-pas? » Et bien, la journée pour le coup prenait une drôle de tournure, mais bon, j’avais en moi de quoi la conforter, elle est repartie plus légère et plus souriante, plus gaie!
Il ne me restait plus qu’à prendre la route pour Paris pour la petite fête concoctée avec ma belle-sœur pour l’anniversaire de son père. J’avais émis l’idée d’amener un couscous, c’est le plat préféré de grand-papa, c’est ainsi que je l’appelle, toute la famille d'ailleurs, c’est normal, il a vécu une grande partie de son enfance en Algérie, pour lui c’est le plat familial et convivial par excellence et celui que mon vieil ami Momo sert dans son restaurant tout près de là où j’habitais plus jeune est un des meilleurs que j’aie jamais mangé, c’est sa vieille maman qui toujours le cuisine et qui me fascine par son endurance, toujours fidèle au poste, ne se plaignant jamais, son beau visage creusé par les épreuves du temps et par toutes les joies que lui donnent ses enfants. Nous étions allés là-bas au pays, dans leur village du Maroc pour fêter les dix-huit ans de sa petite fille, j’en garde un souvenir ému et tenace, étonnant. Je savais que nous ne pouvions plus lui faire plaisir, de plus Claude, ma belle-sœur, avait de son côté préparé avec soin une salade d’oranges, avec des « elle et lui », c’est pas encore la saison me disait-elle des « toi et moi », j’ignorais pour ma part que les oranges pouvaient avoir des noms si poétiques et gagner en saveur en se rapprochant l’une de l’autre, ça m’a fait bien sourire, et puis elle avait aussi amené dans ses bagages, sa magnifique et merveilleuse mousse au chocolat, dessert préféré dudit grand-papa mais aussi de grand-maman, surtout !
Une belle soirée chaleureuse, chacun y mettant du sien pour qu’elle se passe fluide, on glanait des souvenirs on a parlé d’avant, des choses plus ou moins gaies, des épreuves traversées. Grand-maman nous relatant une fois encore cette fois où des allemands avaient fait feu sur elle avec leurs mitraillettes juste pour lui faire peur et qu’elle n’avait jamais de sa vie pédalé aussi vite sa jupe volant au vent, elle se répétait d’ailleurs:« Ils voulaient juste me faire peur, avec ma jupette, ça ils ont réussi, mais ils ne tuaient pas les enfants de mon âge… ». C’est là que j’ai pris conscience que je n’avais pas connu de guerre, du moins pas de cette nature, et c’est là que je me suis dit aussi que ça ne pouvait en aucun cas rester indolore pour ceux qui la portent dans leurs fibres et dans leur mémoire. On a évoqué aussi d’autres souvenirs douloureux, la perte d’un de leur fils, et puis cette mort qui traîne à arriver et ce corps qui doucement s’use et se perd en route, c’était serein, poignant et bien arrosé, on s’est sifflé à quatre trois bouteilles de bordeaux aux noms plus jolis les uns que les autres, grand-papa étant descendu à l’aveugle dans sa cave et avait tiré une bonne pioche! A quatre parce belle-maman carbure elle au coca, un reliquat de son adolescence à New-York, il y a de ça un bail!
C'est comme ça que je me suis retrouvée en léger état d'ivresse à 2h21 à écrire quelques phrases avant le dodo bien mérité, des idées plein la tête et que je me suis levée ce matin le coeur gonflé, les poils hérissés, la tignasse en bataille et matière à penser...
17:31 Publié dans art de vivre, réflexion | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : réflexion, vie qui passe, maladie, mort, famille, échange, amour, amitié, humain
Commentaires
J'aime lorsque tu nous racontes des histoires qui, en fait, ne sont pas des histoires mais de toutes petites tranches de vie bien précises, bien ciselées avec les bons mots pour les dire/écrire. Touchante à bien des égards, tu es, encore plussss dans ces livrées que nous recevons comme autant de petits cadeaux.
Écrit par : MakesmewonderHum! | 24/11/2010
@ Hélènablue
C'est vraiment la structure d'une nouvelle avec son unité temporelle d'une journée grouillant de vie ! C'est très dense et en même temps d'une grande fluidité donnant la parole à des êtres en chair et en os élevés à un niveau emblématique représentant l'Humanité entière où tout un chacun se retrouve dans ces protagonistes que tu nous présentes à travers leurs joies, tracas et souvenirs!
Je t'assure, j'ai su que je n'étais pas à cet anniversaire quand mon téléphone a sonné! Quelle magicienne de la plume tu es!
Écrit par : Mokhtar EL Amraoui | 24/11/2010
Tu as l'intuition juste comme la pointe d'un diamant qui cisèle le cristal.
Préparée à ta journée parce que d'avance cernée, mais malgré tout, du haut vécu plus que ce à quoi tu t'attendais. Ainsi va la vie et son courant parcouru de chaud et de froid.
Bonne assimilation maintenant.
Écrit par : Venise | 24/11/2010
ça, c'est ce qui s'appelle une sacrée journée, de celles qu'il faut avoir vécues....!
Je te souhaite d'en vivre des tas tout aussi riches et tout aussi intenses, sur tout le temps de ton chemin.
bises.
Écrit par : anne des ocreries | 25/11/2010
belle tranche de vie, que tu ailles là où ça donne envie de te suivre, de l'intimité du journal, au échanges si nombreux qu'uen seule vie, une seule vie devrait pouvoir se résumer ainsi en une journée.
Écrit par : laure K. | 25/11/2010
vrai de vrai , hier c'était bien !! " une parent-aise "
comme une énumération à la" pré -vert " ..
des buttes chaumont et ses pelouses interdites ..
une tantine jouant au tiercé avec la baraka !!
un facteur faisant du marché noir
un tableau maman reine avec la couronne !!!
un éléphant et ses tigres
une lune au mur ??
des sirènes qui nous bercent
vers un rdv :rue de la paix
en passant rue de vaugirard
pour voir
treize brigands calabrais cachés dans les gorges des pyrénées
et si et si et scie ...
entre toi et moi
on se kiss en orange bleu
Écrit par : claudia | 25/11/2010
@ MakesmewonderHum!:
Merci... des petites tranches de vie qui nous permettent de réfléchir et d'être plus en conscience à ce que l'on vit. C'est que plus on écrit, plus on est attentif à ce qui nous entoure et ce qui nous arrive, je trouve!
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
@ Mokhtar:
Cher poète, toujours aussi généreux avec moi...
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
@ Venise:
Oui, la vie est toujours bien plus surprenante au fond, et plus riche qu'on ne se l'imagine, surtout lorsqu'il s'agit d'emotions! Et même si ituitivement préparée, j'étais en état d'alerte, les sens aux aguets, j'ai tout de même été surprise, à croire que c'est peut-être l'un qui provoque l'autre, et que tout cela est une sorte de vases communicants.
Si tu te mets au service de ta sensibilité et que tu peaufines ta perception des choses, des êtres, des situations, tu les perçois autrement et aussi tu permets sans te rendre compte véritablement aux choses d'arriver et aux autres d'exister et de se dire.
L'assimilation se fait doucement, par l'écriture et la réflexion et toute une partie aussi diffuse qui se distille en moi comme une liqueur passant dans le sang me réchauffant le coeur.
C'est cette sensation de vie qu'il me plait d'exprimer, de partager, et de sublimer aussi par les mots. Essayer de rendre ce en quoi ça nourrit l'humain en moi
Merci de ton passage Venise, il compte pour moi.
Amitiés.
Hélène
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
@ anne:
:-), les jours se suivent et ne se ressemblent pas! Je me souhaite et à tout à chacun de pouvoir vivre de tels moments intenses, n'empêche qu'il en est d'autres moins réconfortants, moins conviviaux, moins fluides et qu'ils sont à vivre tout pareil, alors avoir la sensibilité exarcerbée dans ces cas-là n'est pas forcément un cadeau, il faudrait pouvoir endosser l'armure adéquate ou s'en tirer par une pirouette mais bon, il y a toujours un revers, un prix à payer...
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
@ Laure:
Résumer une seule vie comme une seule journée, pas un exercice facile dis-moi!
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
@ Claudia:
:-)
N'oublie pas les sabots, les beaux sabots d'Hélène!
Kiss itou ma belle!
♥
Blue
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
Hélènablue, quand seras-tu convaincue, s'il te plaît, que je ne te dis que la vérité, concernant ce que tu écris, du moins, d'après moi?
Écrit par : Mokhtar EL Amraoui | 25/11/2010
Ne te fâche pas, please, tu m'as convaincue!
Mais on peut toujours mieux faire, non?
Écrit par : helenablue | 25/11/2010
Aucune oeuvre littéraire n'est parfaite; il est , bien entendu, souhaitable qu'on s'améliore, tout le temps.
Écrit par : Mokhtar EL Amraoui | 25/11/2010
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