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27/11/2012

Un bouquet de lumière

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- Jérome Karsenti -

 

" J’ai toujours attendu que quelque chose sauve la vie. J’ai toujours été étonné, quand un livre me brûlait les mains, de voir que d’autres pouvaient en parler calmement, et que cela ne les faisait rasseoir que dans leur propre vie éteinte. Quand on leur amène leur propre cœur dans des mains blanches, et que les gens n’en veulent pas, il n’y a plus rien à espérer pour eux.

Par l’amour c’est comme si j’avais été mis une fois de plus en haut d’un arbre, à l’abri de tous les dangers. Quelqu’un m’a aimé, par cet amour j’ai été sauvé de ma vie et du monde. Il m’a semblé que c’était cette lumière que je cherchais étant enfant.Tout d’un coup quelqu’un rassemble toutes ces lumières et me les donne. C’est comme si je posais ma main sur le cœur nu de la vie. Je suis prêt à ce que tous mes livres disparaissent et même le prochain, sauf cette phrase :” La certitude d’avoir été un jour, ne serait-ce qu’une fois, aimé, et c’est l’envol définitif du cœur dans la lumière”.

Il est possible que tout me soit enlevé, mais cette phrase là est écrite en moi autant que dans mes livres."

 

- Christian Bobin, La lumière du monde, extrait de Dans le tympan du cœur, édition Gallimard, 2001 - 



26/11/2012

Jacques Loussier Play Bach Trio

 

 

Je me réveille en vrac, déchirée de l'intérieur, encore à lutter avec mes vieux démons qui m'empêchent de vivre mes désirs les plus profonds. Toujours ce mur, toujours cette chappe, ce noeud qui me vient de si loin et que je tente de résorber avec le temps. Pourtant j'ai peur, le temps passe, vais-je arriver à temps à me vivre complètement corps et âme? Avant la ménopause, avant que je m'assèche de vieillesse et que je me rabougrisse de la chair, avant que ça ne puisse plus, vraiment plus. Je sens les blocages, je sens que ça serre, je sens que je n'y arrive pas, comme si j'étais enfermée dans un écran de télé et que je cogne à l'écran de toute mes forces pour sortir de la boîte, comme cette publicité pour protéger les enfants des programmes qui ne sont pas pour eux, des images qui pourraient les choquer. Moi c'est mon passé qui me hante, comme Angot, comme tant d'autres et je veux m'en tirer, je veux récupérer ce qui m'a été volé, arraché, pris de force. J'écoute Loussier jouer Bach, Colette disait de Jean-Sébastien qu'il était comme une machine à coudre. je l'entends comme une machine à en découdre. La musique a cet effet étonnant et tout à fait extraordinnaire d'arriver à me faire oublier mon enveloppe charnelle, elle me parle au-delà et je me sens libre avec elle comme je peux l'être avec la poésie d'Eluard ou l'air frais d'un petit matin au bord de l'océan, le plombé d'une nuit chaude d'été, un feu de camp. Je sais pourtant que ça n'est pas à force d'y penser, d'y repenser encore, de me culpabiliser de ne pas y arriver et de forcer la chose qu'alors se libèrera l'énergie de vie en moi. Et quand je butte comme j'ai l'impression de faire depuis trois heures du matin, c'est au cutter que j'attaque ma vie. Quelle merde que d'avoir envie de vivre à fond, dense, quelle prétention peut-être que toujours vouloir plus, que toujours vouloir fort. Maman me disait qu'être riche c'est se contenter de ce que l'on a. Se contenter, je ne peux pas, je ne peux me résoudre à m'accrocher au peu que j'ai réussi à regagner. Ce que je veux c'est sentir la chaleur du bonheur m'envahir et n'être qu'être. Les notes de Bach s'insinuent en moi, je sens que la contrebasse me charme et que doucement mes tensions intérieures et mes sensations de lutte acharnées baissent, je m'apaise, me cotérise. Phénix. Quand le piano revient avec toute sa vitalité, je récupère la mienne. Loussier me permet de rebondir. Tant qu'il y a de la vie, on peut espérer, on doit le faire. Rien n'est figé. Nous ne sommes que mouvements. Il faut que je trouve comment je vais pouvoir contourner cet obstacle. Je sais que la clef existe quelque part. C'est gai d'entendre un public comme ça avoir du plaisir et communier ainsi autour de la musique. Je ne regrette pas mon choix, j'ai pourtant hésité, je voulais écouter Mahler, la cinquième symphonie, le "end" de Mort à Venise. J'ai commencé et tout de suite j'ai saigné, je me suis dit " tu n'es pas maso, quand même, tu ne souffres donc pas assez que tu veuilles en remettre une louche!". C'est idiot parfois de se mettre au diapason musical de son état d'âme, c'est pas le bon plan. J'ai pensé à Loussier. Hier matin au petit déjeuner pendant que nous parlions de choses et d'autres avec mon homme il est appparu au milieu de la conversation et nous nous sommes l'un et l'autre tus et juste regardés. Intense. Cette intensité, je la retrouve. J'ai de la chance d'être aimée comme je le suis depuis tant d'années. J'ai de la chance d'aimer. Au nom de cet amour je veux être entière. Je veux être toute à moi pour être toute à lui. Cet homme magnifique qui partage ma vie. Je cesse d'écrire, je me laisse porter par les notes, et j'entre fière dans ma journée. Presque recomposée.

 

25/11/2012

Une semaine de vacances

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J'ai passé mon aprés-midi avec l'écriture précise et insupportable d'Angot. De la dentelle noire, ciselée, implacable, fulgurante. Comment parler de ce livre sans évoquer pour moi les séances de dissection de grenouille en sciences naturelles quand j'avais 13 ans. J'ai ressenti le même écoeurement et la même fascination. L'évocation insoutenable et précise de cette semaine de jeux sexuels parfaitement rendue entre un père et sa fille, la perversité de la relation, l'amour mortifère qui s'en dégage et enfin la délivrance par un rêve de cette intimité opressante et tragique sont remarquablement rendus par les mots de l'auteur qui nous tient en haleine du début jusqu'à la fin de son livre. J'en suis toute retournée encore et toute horrifiée aussi d'y avoir pris un certain plaisir. Sans complaisance Angot nous livre comment avec l'écriture on peut rendre le pire et en venir à bout. Renversant.

 

21/11/2012

Le blog de Mokhtar

Je n'avais plus de ses nouvelles depuis un bail. Parfois, je pensais à lui, il avait tant exprimé et partagé ici. La semaine dernière encore, relisant un de ses poèmes je me demandais ce qu'il devenait, s'il écrivait encore et si la poèsie était toujours le centre de son monde. Quelle surprise, quelle belle surprise il m'a fait hier en m'envoyant par mail son bébé. Mokhtar El Amraoui a maintenant un blog, il s'est lancé! On en avait parlé à l'époque de nos échanges répétés, il hésitait, ne se sentait pas prêt. Et bien, le temps de la gestation est révolu, voici notre ami dans l'arêne et je vous invite à le visiter et à lire sa poésie toujours aussi agréable à redécouvrir, c'est ici.

 

19/11/2012

Accalmie

L'accalmie est un étonnant moment, un moment qui n'intervient qu'apès des vents violents, un moment comme suspendu dans le temps et dans l'espace, un moment de grâce pour reprendre ses esprits, se poser, réfléchir, panser ses plaies, réparer, retrouver ses forces intimes. Tout semble à l'arrêt. L'estomac n'est plus noué, les bouffées de chaleurs sont remplacées par une fraîcheur matinale, les idées noires n'interfèrent plus dans la mécanique de la pensée, les hauts-le coeur laissent la place à l'appétit, les membres se détendent, le dos respire et les mains redeviennent franches. Je pèse mon poids, mon corps semble apaisé et mon coeur ne bat plus la chamade. J'ai une sensation de quiètude un peu abstraite mais agréable et je ressens le détachement. Le détachement, le recul, le lâcher-prise, mon aliénation a déposé les armes, ma névrose cesse de me taquiner et mes douleurs se sont évanouies comme par magie. L'accalmie a frappé, elle s'est installé après une nuit intense de réglements de compte et d'échanges animés, les travailleurs de mon inconscient sans doute qui ne s'arrêtent jamais ont remis de l'ordre pour me laisser souffler, pour que je puisse de nouveau croire possible cet état que je voudrais voir perdurer. Pas de fumée sans feu, pas d'accalmie sans tempête, pas de conscience sans prises de conscience, pas d'actions sans effet. On ne peut pas ne pas changer. Infinitésimalement. Inexorablement. Mon corps se repose mais mon  cerveau carbure, comme s'il pouvait sans retenue emplir tout mon crâne. Quelle étrange sensation que de récupérer toute sa tête! Quelle fascinante présence! Je suis comme régénérée, comme si pendant la nuit de nouveaux neurones avaient déblayé la place et remplacé d'autres morts ou mal en point. Je ressens ces nouvelles connections se mettre en place et j'éprouve un plaisir indescriptible à retrouver ainsi ma capacité à entrevoir et à analyser, ma pensée, ce noyau dur inaliénable qui n'a pas été entamé. J'ai envie d'arrêter le temps, envie que dure et dure ce moment. J'ai si rarement l'occasion de me sentir si proche de moi, ainsi, à jeun. J'ai gagné du terrain. Et je prends doucement confiance. Etre, c'est possible, c'est certain. Là, je suis, à plein et en paix. J'ai envie d'aimer et de créer.

 

13/11/2012

Lélius ou l'amitié

Il me semble, en ce sens, discerner que nous sommes faits pour qu'il existe entre tous les humains quelque chose de social, et d'autant plus fort que les individus ont accès à une proximité plus étroite. Ainsi nos concitoyens comptent davantage pour nous que les étrangers; nos parents proches, plus que les autres personnes. Entre parents, la nature a ménagé en effet une sorte d'amitié ; mais elle n'est pas d'une résistance à toute épreuve. Ainsi l'amitié vaut mieux que la parenté, du fait que la parenté peut se vider de toute affection, l'amitié, non : qu'on ôte l'affection, il n'y a plus d'amitié digne de ce nom, mais la parenté demeure.

 La force que recèle l'amitié devient tout à fait claire pour l'esprit si l'on considère ceci : parmi l'infinie société du genre humain, que la nature elle-même a ménagée, un lien est contracté et resserré si étroitement que l'affection se trouve uniquement condensée entre deux personnes, ou à peine davantage.


Ainsi l'amitié n'est rien d'autre qu'une unanimité en toutes choses, divines et humaines, assortie d'affection et de bienveillance : je me demande si elle ne serait pas, la sagesse exceptée, ce que l'homme a reçu de meilleur des dieux immortels. Certains aiment mieux les richesses, d'autres la santé, d'autres le pouvoir, d'autres les honneurs, beaucoup de gens aussi lui préfèrent les plaisirs. Ce dernier choix est celui des brutes, mais les choix précédents sont précaires et incertains, reposent moins sur nos résolutions que sur les fantaisies de la fortune. Quant à ceux qui placent dans la vertu le souverain bien, leur choix est certes lumineux, puisque c'est cette même vertu qui fait naître l'amitié et la retient, et que sans vertu, il n'est pas d'amitié possible !

 

- Cicéron - Lélius ou l'amitié (extraits)



10/11/2012

Des passantes et des passants

Un livre de mes amis Jalel El Gharbi et Giulio-Enrico Pisani...

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29/10/2012

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28/10/2012

le genre de petite histoire qui fait du bien

Nos bagages sont chargés dans la voiture. Nous avons fait en sorte d'être prêts à partir plus tôt pour ne pas faire attendre la soeur de Pat qui veut dîner avec nous. J'ai du coup quitté la boutique avant l'heure de fermeture, ce qui est rarrissime pour moi un Samedi. Un fois n'est pas coutume. Pat décide de mettre un peu d'essence dans le réservoir et s'arrête à la pompe avant de prendre l'autoroute, histoire de faire des économies. Le carburant est tellement hors de prix en ce moment. Il sort de la voiture et là d'un seul coup se raidit.

- Merde! Il m'arrive une tuile! Je n'ai pas mon portefeuille!

- Tu as dû le laisser à la maison. Quand t'en es-tu servi la dernière fois? Où le mets tu d'habitude?

Pendant que je l'assaille de question et que je commence à sentir l'angoisse m'envahir, il réfléchit.

- Voyons... Je suis allé à la poste ce matin pour l'envoi en nombre. Je suis sûr d'être revenu avec puisque j'ai donné à Isa la carte pro et les coordonnées de la personne qu'elle doit voir pour les enveloppes d'invitation. On est revenu ce midi à la maison. Je ne m'en suis pas servi depuis. Il ne peut être qu'à la boutique. Pourtant je ne comprends pas. j'ai bien fait attention en partant de ramasser toutes mes affaires. Mon apprareil photo, mon casque...

- Retournons à la boutique, voir s'il n'est pas sur le bureau!

On fait le plein avec ma carte bleue, j'avais bien mon portefeuille dans mon sac. Pat garde pour le moment son calme et moi, je fais en sorte de ne pas partager ma peur grandissante. Malgré sa fréquente tête en l'air, je sais que Pat fait attention à son morlingue, néanmoins là je suis inquiète. Retour à la case départ, j'ouvre la grille du magasin, défait l'alarme, remets les lumières et je monte à l'étage. Sur le bureau, rien. Sur le sol pas davantage. Je redescends, Pat me rejoint après s'être garé. Il monte à son tour, et tout comme moi ne voit rien. Il retourne la poubelle, cherche dans les coins. Toujours rien. On fouille l'un et l'autre un peu partout dans le magasin. Rien. Pas de portefeuille. 

- Merde, ça craint! Où peut-il bien être?

- S'il n'est pas ici, il est peut-être dans la voiture, on a pas regardé. Tu n'as pas changé de veste ni de manteau. Un portefeuille, ça ne disparait pas comme ça. Tu l'as peut-être perdu ou on te l'a piqué...

La soirée et le week-end commençaient à prendre une sale tournure. Je ne voyais pas comment nous pouvions aller à Paris sans les papiers de la voiture, sans le permis de conduire de Pat et avec cette incertitude. Nous refermons penauds l'un et l'autre la boutique. Tout cela n'a pas de sens. Et là, alors que Pat a maintenant autant les boules que moi, son portable sonne. Son visage s'éclaire. C'est Pierre, notre petit dernier.

- Pierre a reçu un coup de télélphone. Une jeune femme lui rapporte mon portefeuille dans dix minutes à la maison. Elle l'a trouvé sur le trottoir. Il a dû tomber de ma poche ce midi quand je suis sorti de la voiture. C'est la deuxième fois cette semaine qu'elle trouve un portefeuille par terre et qu'elle le rapoorte à son propriétaire. Pourquoi a-t-elle appelé Pierre? J'ignorais que j'avais son numéro dans mon portefeuille!

- Si,si, souviens-toi, il te l'a griffonné sur un bout de papier quand il a changé de portable lundi. C'est pour ça qu'elle a trouvé ce numéro. C'est fou cette histoire!  

Nous repassons pas la maison. Le portefeuille est au complet sur la table de la salle à manger. Notre soulagement est à la mesure de la tension qui nous a étreint. Pat s'exclame:

- C'est bon de savoir qu'il existe encore des gens comme ça! 

Notre week-end peut commencer.

 

25/10/2012

Pearl Buck

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« Quel que soit son domaine de création, le véritable esprit créatif n’est rien d’autre que ça :   une créature humaine née anormalement, inhumainement sensible. Pour lui, un effleurement est un choc, un son est un bruit, une infortune est une tragédie, une joie devient extase, l’ami un amoureux, l’amoureux est un dieu, et l’erreur est la fin de tout. Ajoutez à cet organisme si cruellement délicat l’impérieuse nécessité de créer, créer, et encore créer – au point que sans la possibilité de créer de la musique, de la poésie, des livres, des édifices, ou n’importe quoi d’autre qui ait du sens, il n’a plus de raison d’être. Il doit créer, il doit se vider de sa créativité. Par on ne sait quelle étrange urgence intérieure, inconnue, il n’est pas vraiment vivant à moins qu’il ne soit en train de créer. »

Pearl Buck (1892 – 1973)



24/10/2012

Élémentaire!

COMMENT WATSON APPRIT LE TRUC

par Sir Arthur Conan Doyle



Watson regardait son compagnon avec intensité depuis que celui ci s’était assis à la table du petit déjeuner. Holmes leva finalement les yeux, et aperçut le regard de son compagnon.

« He bien, Watson, à quoi songez vous ? », demanda-t-il.

« A vous».

« Moi ? »

« Oui, Holmes. Je songeais à quelle point sont superficielles vos petites astuces, et comme il est extraordinaire que le public continue à s’y intéresser. »

« Je suis assez d’accord », dit Holmes. «En fait, je crois me souvenir que je vous ai moi même fait une telle remarque par le passé ».

«Vos méthodes», dit Watson avec sévérité, «sont vraiment aisées à acquérir ».

« Sans aucun doute», répondit Holmes avec un sourire. «Peut être pouvez vous donner vous même un exemple de ces méthodes de raisonnement ?»

« Avec plaisir », dit Watson. « Je suis en capacité de dire que vous étiez fort préoccupé en vous levant, ce matin ».

« Excellent !», dit Holmes. « Comment avez vous su cela ? »

« Par ce que vous, un homme d’habitude soigné, avez pourtant oublié de vous raser. »

« Mon dieu, comme c’est brillant !» dit Holmes. «Je ne savais pas, Watson, que vous étiez un si bon élève. Votre regard de faucon a-t-il détecté autre chose ? »

« Oui, Holmes. Vous avez un client du nom de Barlow, et n’avez pas eu de succès sur son cas ».

«Diable, comment avez vous su cela ? »

« J’ai vu le nom sur une enveloppe qu’il vous a envoyé. En l’ouvrant, vous avez poussé un grognement, avant de la fourrer dans votre poche avec un froncement de sourcils ».

« Admirable ! Vous êtes effectivement très observateur. Encore autre chose ? »

« J’ai bien peur, Holmes, que vous vous adonniez à la spéculation financière. »

« Et cela, comment pouvez vous le dire, Watson ? »

« Vous avez ouvert le journal, regardé la page économique et eu une exclamation d’intérêt ».

« Ma foi, c’est très subtil de votre part, Watson. Une nouvelle déduction ? »

« Oui, Holmes. Vous avez mis votre manteau noir, et non votre robe de chambre. Cela prouve que vous attendez une visite importante d’un instant à l’autre. »

« Rien de plus ? »

« Je ne doute pas que je pourrais trouver d’autres éléments, Holmes, mais je ne vous donne que ces quelques la, afin de vous montrer qu’il y a d’autres personnes que vous dans le monde à pouvoir être aussi habiles.

«Mais certaines ne le peuvent pas», dit Holmes. «Je dois bien avouer que peu sont dans cette situation, mais j’ai bien peur que vous n’en fassiez partie, mon cher Watson. »

« Que voulez vous dire, Holmes ? »

« Eh bien, mon ami, j’ai le sentiment que vous déductions n’ont pas été aussi heureuses que ce que j’aurais souhaité. »

« Voulez vous dire que je me trompais ? »

« Oui, j’en ai peur. Reprenons tous les points dans l’ordre correct ; je ne me suis pas rasé car j’ai envoyé mon rasoir pour se faire aiguiser. Me voici en manteau pour un rendez vous matinal avec mon dentiste. Son nom est Barlow, et la lettre que vous voyez la me confirme le rendez vous. Dans le journal, la page à propos du cricket est juste à coté de l’économique, et je vérifiais si l’équipe de Surrey avait tenu face à celle de Kent. Mais continuez, Watson, continuez ! Mes tours sont vraiment très superficiels, et il n’y a aucun doute qu’un jour prochain vous saurez comment faire.

 

Cette histoire fut écrite par Conan Doyle à l’occasion de la création de la Queen’s Dolls’ House, en 1923. Le texte original est rédigé sur un livre de la taille d’un timbre, d’une écriture manuscrite.



23/10/2012

de la parole

 

 " Je cherche mon patois personnel, tout est là."

- Fred Griot -

 

Peux-tu?

Peux-tu me vendre l'air qui passe entre tes doigts

et fouette ton visage et même tes cheveux?

Peut-être pourrais-tu me vendre cinq pesos de vent,

ou mieux encore me vendre une tempête?

Tu me vendrais peut-être

la brise légère, la brise

(Oh, non, pas toute!) qui parcourt

dans ton jardin tant de corolles,

dans ton jardin pour les oiseaux,

dix pesos de brise légère?

 

Le vent tournoie et passe

dans un papillon.

Il n'est à personne,

à personne.

 

Et le ciel, peux-tu me le vendre?

Le ciel qui est bleu par moments

ou bien gris en d'autres instants

une parcelle de ton ciel

que tu as acheté crois-tu, avec les arbres

de ton jardin, comme on achète le toit avec la maison?

Oui, peux-tu me vendre un dollar

de ciel, deux kilomètres de ciel,

un bout, celui que tu pourras, de ton ciel?

 

Le ciel est dans les nuages.

Les nuages qui passent là-haut ne sont à personne, 

à personne.

 

- Nicolas Guillén -

 

 

21/10/2012

Aujourd'hui, 15 heures, théâtre du Rond-Point

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08/10/2012

Mistral chanté par Major

 

J'aime ses chansons, qu'est-ce que je peux vous dire de plus, si ce n'est qu'il a des interprètes artistes musiciens hors pairs...

 

07/10/2012

Mistral chanté par Moran

 

 

C'est toujours un régal poignant. Merci Christian.

 

force fragile

Je me lève ce matin glacée jusqu'aux os. Un blizzard intéreur m'empêche d'agir. Je suis comme figée dans la glace de mon passé hurlant. Qu'est-ce qui m'arrive encore? J'ai eu une semaine difficile et compliquée, tourmentée et cruelle par certains côtés. J'ai du faire face à des vieux vieux démons endormis qui ont refait surface aux détours de discussions compliquées. J'ai mis le pied à terre, je me suis effondrée sous le poid d'une douleur intense qui m'a cloué au pilori. D'angoisse je me suis ratatinée Jeudi sur un trottoir à Paris. J'étais là, immobile, face contre terre, à la sortie du métro station Etienne Marcel. J'avais un rendez-vous important, et tétanisée par une souffrance intense, je ne pouvais pas m'y rendre, mon corps ne voulait plus faire un pas. J'ai senti en moi un hurlement de fauve, j'ai senti mon ventre devenir dur et j'ai pensé: " je vais imploser!". Là, en dernier recours, puisqu'aucun passant ne m'a prêté mains fortes, j'ai passé un coup de fil, un appel au secours, une sonnette d'alarme. En vain. Alors j'ai mobilisé mes forces intellectuelles, je n'ai pas laissé l'émotion envahir tout. Je me suis fabriquée une image de moi-même forte et capable de faire face, comment dire, je me suis concentrée, je me suis raccrochée à une ancre positive, j'ai pensé à mon homme, à mes fils, à mon entreprise, à mon meilleur ami, j'ai mobilisé le maximum de neurones pas encore touchés par cette vague de froid, tous les neurones encore tièdes et les quelques rares encore brûlants de ma fièvre de vivre et je me suis relevée. Je me suis redressée à la verticale et j'ai marché jusqu'à la place des Victoires où j'étais attendue. Plus tard dans la journée j'ai pu en parler, encore tremblante, encore sous le choc. Et puis les choses on repris leur cours. Cette nuit j'ai revécu cette scène. Ce matin je ne suis que frissons. Des vieilles terreurs d'enfant imprégnent ma peau d'adulte, je sais que je vais devoir aller au devant d'elles, pour les comprendre, les extirper, les empêcher de venir interférer plus qu'il ne faudrait dans la grande fille que je suis devenue. C'est difficile de se réchauffer quand le givre du passé vous tombe dessus. Forte et fragile. Parfois j'ai ce sentiment d'être dotée d'une force hors du commun et d'autre fois c'est la fragilité si fine si au bout du fil qui m'étreint que je me demande comment je vais pouvoir, pouvoir continuer à vivre comme ça, pouvoir faire ce bout de chemin, pouvoir m'ouvrir plus grande encore au monde et me mesurer aux forces du vent? Je me frotte les pieds, l'un à l'autre, j'ai les orteils gelés, j'ai les bras comme la peau d'une poule qu'on vient de plumer, et mes vertébres semblent claquer des dents. Pourtant j'ai trois tonnes de couches de vêtements sur le dos, un pull, une écharpe, une vieille robe de chambre bordeaux, des grosses chaussettes en laine, un pantalon en pilou. Il fait une température normale en cette saison dans mon bureau. Dieu que j'ai froid! Ce même froid qu'à ma naissance, ce froid de l'abandon, ce froid du non-amour, ce froid de la tahison, de l'abus de confiance, ce froid angoissant et profond. Je sens qu'il faudrait que je crie, que je pousse à nouveau ce cri: " JE VEUX VIVRE", à défaut, je l'écris. Toute la maison est endormie et si je pousse là ce cri intense qui déchire, je vais ébranler l'équilibre qui règne ici. O Solitude! Mon enfant intérieur, mon tout petit à moi n'est pas encore guéri. Et je n'ai pas non plus encore parfaitement construit la cuirasse qui l'empêche de souffrir. Ma résilience a encore à mûrir, à encore à se faire, à se construire. A être là à me dire et à tenter de rétablir mon fluide corporel me réchauffe petit à petit. Réfléchir et constuire ma pensée, l'offrir et l'ouvrir à autrui, au monde, à vous a un effet brasero. Chaleur humaine. Puissance des mots. J'ai la gorge qui se noue tout d'un coup et les larmes me salent le visage. Combien de fois vais-je devoir encore éprouver de ne pas avoir été aimée, désirée, respectée, validée? Comment puis-je me faire comprendre que je suis digne de l'être, que je n'ai pas sans cesse à devoir m'expliquer, que cette culpabilité de vivre et de tout qui me ronge n'est pas la réalité mais un poison qu'on m'a fait prendre d'office, suis tombée dans la marmite de la honte toute petite? Quand bon dieu, vais-je enfin pouvoir pour de bon sortir de cette victimisation qui me pourrit la vie. Accepter d'être ce que je suis comme je suis. Ne pas avoir sans cesse cette impression de devoir rendre des comptes. Agir en femme libre. La température monte. Shit. Fuck Hate. Venceremos! Je veux pouvoir être fragile sans finir en miettes, je veux pouvoir être juste et non plus agie par toutes ces forces obscures qui m'habitent et qui me font parfois faire des choses qui m'échappent, qui ne sont pas moi et qui pourtant le sont aussi. C'est infernal, cette dichotomie, cette sorte de skyzophrénie. Je fais tout pour me réunir, tout pour n'être qu'une, tout pour être le plus en accord possible avec ce que je pense, ce que je sens, ressens, aspire, désire et recherche. Mais je sens bien à quel point tout est un peu plus compliqué quand on a été malmené tout bébé. Je n'ai pas dit mon dernier mot, pas encore. Je ne suis pas découragée, non. Je suis fragilisée. D'un seul coup ramenée à mon état initial, à poil, sans défense. Merde, ce que j'ai froid.

 

 

28/09/2012

Une autre extraordinaire journée ordinaire -3-

L'après-midi touche à sa fin, je n'ai eu que quelques personnes de passage pas motivées qui font les boutiques comme d'autres les musées. Elles regardent, elles passent le temps, souvent entre copines. L'heure tourne. L'attente est une chose compliquée à gérer. Dehors, il se met à pluviner, c'est vrai, on est déjà l'automne, comme le temps passe vite. Madame Decourcelles entre avec sa fille. Je les trouve chouettes ces deux-là, elles ont une belle relation, une belle complicité. Celle que toute fille aimerait avoir avec sa mère. Elles sont chaleureuses l'une avec l'autre et aiment s'habiller, chacune avec son style. La maman, de taille moyenne, très féminine porte ce jour là une robe bleue nuit que je lui ai vendue l'année dernière avec une cape en lainage beige. Son sac, toujours trop petit pour ce qu'elle veut y mettre déborde, dévoile son coté foutraillou. Elle a dans l'autre main un paquet de bouquins. On a souvent entre nous des discussions littéraires entre l'essayage d'un jean ou d'une paire de bottes, c'est drôle. Sa fille, belle plante de vingt-huit ans a de longs cheveux chatains qui lui arrivent jusqu'au creux du bassin, elle porte toujours des chaussures aux talons vertigineux qui lui donnent une démarche bien à elle. Elle aime les pantalons moulants et la soie, la douceur, les belles matières. Rose, c'est son prénom, a une voix qui me plait, un peu cassée, un peu grave et a une grande confiance en moi quant à savoir ce qui lui va.
 
- Hello Blue!
- Hello Rose, ça fait plaisir de vous voir...
- Tu n'a eu personne? C'est d'un calme en ville, on se croirait en plein mois d'Août!
- Aujourd'hui c'est particulièrement désert, je ne sais pas ce qui se passe encore...
- La grand-place est bloquée, personne ne peut y passer, et puis il y a des tonnes de travaux partout, on a mis plus d'une heure pour arrriver jusqu'ici, peut-être que ça décourage les gens de venir en ville?
- Oui, c'est certain, tout ce qui bouleverse les habitudes de chacun n'est pas bon pour le commerce! Mais bon, restons positifs. Haut les coeurs! Qu'est-ce que je peux faire pour vous deux?
- On vient chercher un coup de foudre! T'as peut-être une idée?
- Une seule! Tu plaisantes je suppose, j'en ai mille pour toi et tout autant pour ta maman. Je vous montre?
 
Elles sourient toutes les deux, elles me connaissent bien, elles savent le plaisir que j'ai à les habiller. Je montre une cape en cachemire taupe bordé d'un col en mouton retourné à l'une avec un jean enduit chocolat glacé et un chemisier en soie gris perle. Je sors également pour Rose un pantalon en jersey noir ultra-fitté avec un gros pull en maille tricoté main gris beige,un top drapé en maille grise et un poncho anthracite à glisser dessus extra-large, avec sa paire de Louboutin bleu canard, ça devrait envoyer du lourd. Hé,hé.
 
- Hé, Blue? C'est quoi ce livre, L'insatiable Homme-Araignée, j'adore cet éditeur!
- C'est un écrivain cubain, un recueil de nouvelles, ça décoiffe, j'aime son language cru et direct et puis ça me permet de comprendre mieux La Havane. J'y suis allée cet été.
- A Cuba?
- Oui, à Cuba. D'abord Trinidad et puis ensuite La Havane. J'y suis restée une dizaine de jours. Chez l'habitant. Un pays étonnant plein de contrastes.Une lumière à couper le souffle. Les mojitos, la musique, les couleurs, la chaleur...
 
J'esquisse un pas de danse. Elles rient. Nous passons aux essayages. Des Ah, des Oh, des j'adore, des Oh My God. J'ajoute sur chacune d'elle des écharpes, des colliers. C'est la fête! Je monte un peu le son de la musique, justement c'est de la musique cubaine. On est toutes les trois en foufelle. Je sens l'inspirtaion grandir et je leur fait essayer une robe en soie imprimée poil de bête avec une immense étole en laine bouillie et des bottes en cuir cognac, c'est superbe, Madame Decourcelles n'en revient pas elle-même tellement ça lui va bien, je continue et l'encourage à endosser un magnifique manteau noir cintré au grand col drapé qui lui donne un port royal. Elle tombe en pamoison, mais, devant le prix me dit qu'elle doit voir ça avec son mari. Je le connais, c'est un gentil avec sa femme, je sais qu'il lui dira oui. Rose, pendant ce temps farfouille dans la boutique et revient avec à la main un blouson en cuir comme on les aime, souple, sensuel, avec les manches tellement longues qu'on les plisse, ce qui donne encore plus de peps, c'est looké. Elle l'enfile, il lui va comme un gant.
 
- Blue, c'est une tuerie!
- Oui, une tuerie, tu l'as dit!
- C'est énervé, la vache, trop beau, trop beaaaauuu !
 
C'est énervé, quelle drôle d'expression. Heureusement que la veille au soir parlant des mots qu'emploient les jeunes, mon fils m'en avait appris la signification quoiqu'à voir Rose en pleine adoration j'ai compris de suite ce que ça voulait dire. Je vois sa mère me faire un clin d'oeil. Elle va lui offrir pour son anniversaire. L'année dernière elle lui avait pris à la même époque un sac à main terrible, et le blouson avec ce sac, ça sera juste pas croyable! Rose ne va pas en revenir. On continue à babiller et finalement elles se rhabillent. " Bon passons aux choses sérieuses, Blue. Si je prends ça, ça et puis ça aussi, ça me fait combien?" me demande Rose de sa voix rauque. Je lui annonce la couleur en lui montrant le chiffre sur la calculette, elle dit " oups!" et très vite "OK!". Sa maman me fait la même demande, mais je la connais, elle a déjà fait le calcul dans sa tête. Pour la forme je lui refais, elle me dit " C'est bien ce que je pensais, je me ruine chez vous Blue!". Elles me tendent toutes les deux leur carte bleue et m'invitent à boire avec elles un verre puisqu'il est sept heures passés. J'accepte. Je leur dit de m'attendre au bistrot d'en face, le temps que je ferme. Je suis touchée, non seulement ces femmes m'achétent et en plus veulent me remercier. Je coupe l'electricité, fini les feux de la rampe. J'éteins la musique. Je sors et descend la grille. Je vérifie une dernière fois que la porte est bien fermée. Je pousse un soupir. La journée est finie. Je pars boire un mojito avec deux futures amies. Ce métier a du bon aussi.
 

Une autre extraordinaire journée ordinaire -2-

Plate, plate plate. Rien. Rien à se mettre sous la dent. Le néant. Le vide. Et la peur qui pointe son bout de nez. Quel métier stupide! Pas même la force de prendre mon livre. J'ai ma déclaration de douane à faire, et puis les taxes et paiements divers. J'ai la sensation effrayante de ne faire que des chèques, alors que je devrais plutôt les recevoir. Pas de pluie à l'horizon! En tout cas pas de cette nature. Faut être cinglée pour faire ce métier! Pourtant je m'accroche, pourtant j'y crois, pourtant je me dis que les gens ont besoin d'être admis, aimés, reconnus, regardés, conseillés, respectés, entendus. J'ai peur, peur de ne plus être dans la course, peur d'avoir trop envie de faire autrement que le courant, peur d'en payer le prix une nouvelle fois. Indépendant, une utopie, un rêve d'enfant, une lubie! Trop de charges, trop d'impôts trop de trop. Mais l'âme sincère et toujours au taquet, pas le moment de chômer.

Elle revient me voir une énième fois, c'est incroyable à quel point l'indécision fait partie de sa vie. Je la bouscule un peu, "oui, mais vous, oui mais vous..." Oui, quoi, moi? Je suis toujours stupéfaite à quel point les femmes que je rencontre me trouve pleine, féminine, là, entière, féline. Certaines sont partagées entre la confiance et la méfiance, elles sont bigrement partagées, elles sont méfiantes et puis d'un coup super confiantes. Etrange. Je leur fait peur, je le sens. Elles me respectent. Elles m'envient. Elles voudraient vivre ma vie. Elles se disent que peut-être, elles aussi... (Si seulement elles savaient, le prix que j'ai payé.) Elles aussi elles pourraient passer des heures à s'expliquer, à se dire, à s'enthousiasmer à un homme aimant, présent, là pour elles. Sauf que ça court pas les rues ce genre d'individu. Sauf qu'elles ne sont sans doute pas capable de fournir ce qu'il faut pour s'entourer d'une telle présence, sauf que prendre le risque  d'aimer est au dessus de leurs forces, sauf que c'est compliqué.

J'apprends jour après jour avec toutes ces femmes qui vivent des réalités loin des miennes mais leurs. J'apprends la vie et je deviens humble, deviens humble, oui. J'étais tellement campée sur ma vérité. Tellement à cran. Tellement sûre. Tellement aveuglée.

Des souffrances, il y en a tant que ça dépasse l'entendement.

 

27/09/2012

Une autre extraordinaire journée ordinaire -1-

Pas le temps cette fois  de faire dans la dentelle. Je me suis levée à l’heure où je devais être au magasin. Pas question de trainasser, de méditer, de tergiverser. Il me faut être efficace et rapide. Je saisis un jean, un pull col V noir, une paire de bottes et mon écharpe doudou en cachemire et soie d’un ton subtil taupé. Vite fait un petit coup de pinceau et de rouge sur ma face encore endormie, un brossage intense de mon blond vénitien et me voilà après une tasse de thé avalée d’un seul coup prête à partir. Je perds quelques précieuses minutes à chercher ma voiture que j’ai garée je ne sais où. Je ne m’explique pas cette résistance que j’ai à me souvenir de l’endroit où je la mets. Et me voilà en route pour de nouvelles aventures. Jamais savoir de quoi va être fait la journée. C’est un bon exercice de lâcher-prise. Un disque qui ne m’appartient pas raisonne dans l’habitacle, j’écoute distraitement et puis d’un seul coup arrive une chanson qui m’émeut davantage. Je la remets une deuxième fois un peu plus fort et une troisième pour cette fois complètement m’immerger dedans.

 

J'écris sur ce que j'endure

Les petites morts, sur les blessures

J'écris ma peur

Mon manque d'amour

J'écris du court

Mais c'est toujours

 

Sur ce que je n'ai pas pu dire

Pas pu vivre, pas su retenir

J'écris en vers

Et contre tous

C'est toujours l'enfer

Qui me pousse

 

A jeter l'encre sur le papier

La faute sur ceux qui m'ont laissée

Ecrire, c'est toujours reculer

L'instant où tout s'est écroulé

 

On n'écrit pas

Sur ce qu'on aime

Sur ce qui ne pose pas

Problème

Voilà pourquoi

Je n'écris pas

Sur toi

Rassure-toi

 

J'écris sur ce qui me blesse

La liste des forces qu'il me reste

Mes kilomètres de vie manquée

De mal en prose, de vers brisés

 

J'écris comme on miaule sous la lune

Dans la nuit, je trempe ma plume

J'écris l'abcès

J'écris l'absent

J'écris la pluie

Pas le beau temps

 

J'écris ce qui ne se dit pas

Sur les murs, j'écris sur les toits

Ecrire, c'est toujours revenir

A ceux qui nous ont fait partir

 

On n'écrit pas qu'on manque de rien

Qu'on est heureux, que tout va bien

Voilà pourquoi

Je n'écris pas

Sur toi

Rassure-toi

 

J'écris quand j'ai mal aux autres

Quand ma peine ressemble à la votre

Quand le monde me fait le gros dos

Je lui fais porter le chapeau

 

J'écris le blues indélébile

Ça me paraît moins difficile

De dire à tous plutôt qu'à un

Et d'avoir le mot de la fin

 

Il faut qu'elle soit partie déjà

Pour écrire " ne me quitte pas "

Qu'ils ne vivent plus sous le même toit

Pour qu'il vienne lui dire qu'il s'en va

 

On n'écrit pas la chance qu'on a

Pas de chanson d'amour quand on en a

Voilà pourquoi, mon amour

Je n'écris rien

Sur toi

Rassure-toi

 

 

Quel beau texte, quelle correspondance avec ce que je ressens, j’en suis toute retournée. Je me demande qui chante, cette voix , je la connais. Enfin Rue Basse, j’ouvre la boutique avec un bon vingt minutes de retard. Mes clientes le savent, c’est sans doute pour cela que c’est plus calme le matin. Un truc étonnant dans le commerce c’est ce temps, ce temps à attendre et puis souvent d’un seul coup tout le monde qui arrive en même temps. A croire que beaucoup d’entre nous ont la même horloge biologique. J’ai avec moi L’insatiable Homme-Araignée dès fois que je trouve le temps de bouquiner. J’attaque par les vitrines. La nuit j’en ai rêvé. Je reproduis ce qui m’est apparu. C’est beau. J’aime. J’espère que ça va plaire. Un doux mélange de matières et de formes qui inspirent la douceur et la féminité. De la non-couleur. De l’enveloppement. Une certaine façon de penser la mode. Confortable et élégante. Satie envahit l’espace. C’est une gymnopédie. Ma première cliente de la journée entre :

 

-       Oh ! Vous êtes là ?

-       Oui. Comme vous pouvez le constater, je suis là…

-       J’adore votre vitrine, elle est de toute beauté, ce gilet… il m’a fait de l’œil !

-       Vous voulez le passer ?

-       Oui, c’est une folie, mais oui… Ici c’est dangereux de franchir la porte ! Trop de tentations !

-       Bah ! On n’a qu’une vie, non ?

-       Allez dire ça à mon banquier !

       

Elle essaye le fameux gilet qui lui va à merveille. Je le savais, elle le savait. Il était pour elle. Quand je l’avais commandé huit mois plus tôt, j’avais justement pensé à elle. Bingo. C’est réussi. Elle repart plus légère et en sortant ouvre la porte à Madame Dauberville qui a une petite mine, je trouve, elle d’habitude si pimpante.

 

-       Bonjour Madame Dauberville, ça n’a pas l’air d’aller fort ce matin ?

-       Non, c’est pas terrible. J’ai été opérée fin Août, c’est pour cela que vous ne m’avez pas vu jusqu’à aujourd’hui. Je viens d’avoir les résultats. C’est pas génial…

-       Hum…

-       Je vais quand même devoir faire de la chimio… Je suis effrayée à cette idée !

-       Vous allez y arriver, vous êtes une battante !

-       Oui, Blue, vous avez raison, je suis une battante mais là, j’en ai les jambes coupées.

-       Et si nous parlions de futilités, je vais vous montrer ce que j’ai reçu pour vous, histoire de vous changer les idées, qu’en pensez-vous ?

-       Oui, c’est exactement ce dont j’ai besoin, montrez-moi, voulez-vous, Blue !

 

Je lui montre alors des petites choses comme elle aime. Elle n’est pas très grande et tous les petits volumes un peu près du corps lui vont bien, je l’habille depuis plus de cinq ans, je connais son corps par cœur. Je lui fait essayer un petit twin-set en mérinos et soie black blue avec un pantalon droit en flanelle grise, je lui pose un collier de minuscules perles grises amaties autour du cou et lui passe une veste en faille de soie bleu nuit qui pourra lui servir de petit imper élégant. Elle me sourit, heureuse de l’image que lui renvoie le miroir. Elle ne pense plus à son cancer du sein. A la caisse elle m’embrasse, me promet de me donner de ses nouvelles, me remercie du courage que je lui ai donné alors que je l’ai juste aidée à le trouver en elle et disparaît en plein milieu d’un morceau de jazz expérimental de ce nouvel artiste que je viens de découvrir Palle Danielsson, contrebassiste de grand talent qui m’enchante.

Je me prépare à fermer, je déjeune ce midi avec mon amie Anne qui sculpte et qui surtout à un grand besoin de me raconter ses nouvelles péripéties sexuelles. Faut dire qu’elles sont toujours d’un tel incroyable que chaque fois je me dis que la réalité dépasse la fiction.  La concernant, c’est vraiment peu dire ! Elle arrive en trombe, toujours à courir et après avoir mis un petit mot sur la porte de la boutique : «  Je reviens à 14 heures, à très vite », nous allons déjeuner à l’Orange bleue. La cuisine y est simple, délicieuse et l’endroit est plein de poésie propice aux confidences et autres diableries.

Anne est déchainée, elle a tellement besoin de parler qu’elle en oublie de manger. Je l’écoute en dégustant mon carpaccio de bœuf-frites.

 

-       Je me suis encore fourrée dans une histoire pas possible, tu sais Blue !

-       Ah, tu m’étonnes !

        

On se sourit d’un air entendu.

 

-       Je crois qu’une fois de plus je ne me suis pas rendue compte ! Tu crois que je suis anormale ? Pourquoi est-ce que j’ai ces pulsions que je ne peux contrôler ? Pourquoi je ne peux pas vivre sans être pénétrée ? Tu te rends compte, j’ai maintenant trois amants et je n’arrive pas à gérer…

-       Euh ! En même temps ?

-       Non, tout de même. Quoique ça ne me déplairait pas, c’est une idée…

 

Elle se tait une minute et rêvasse à cette idée.

 

-       Là, je me suis retrouvée dans une histoire de dingue. Une de mes amies m’a invitée à faire l’amour avec elle et un de mes amants que j’adore depuis longtemps. Nous avons fait cela tranquillement à trois, c’était plutôt bien, mais depuis, figure-toi, alors qu’ils m’avaient juré l’un et l’autre de ne jamais le faire sans moi, ben ils sont toujours l’un avec l’autre et je n’existe plus ni pour l’un ni pour l’autre, ça me fait un mal de chien, tu n’as pas idée. Je ne mange plus, je ne dors plus, je suis comme devenue folle. J’ai le sentiment d’avoir été utilisée comme un objet, suis terrassée. Qu’est ce que t’en penses ?

-       Depuis que je te connais, tu as toujours été confrontée à ce sentiment d’être un objet. Ce que j’en pense, tu le sais bien, toi seule sait pourquoi il faut toujours que tu reproduises les mêmes schémas, les mêmes erreurs, pourquoi tu fais ton propre malheur ? Tu vas me dire que c’est plus fort que toi. Et je vais te dire que tu peux agir dessus mais que je n’ai pas la recette miracle pour toi. Seulement, je n’aime pas te voir souffrir, te voir dans cet état là parce que les choses t’échappent. Ne cois-tu pas qu’aller au-devant de toi, pourrais t’être profitable ?

-       J’ai essayé, j’ai tout essayé. Je dois être maudite !

-       Nan, nan, arrête de dire des conneries ! Quelque chose en toi tente de se dire, essaie d’entendre. Parle à ton homme, dis lui que tu souffres, demande lui de l’aide, c’est ton meilleur ami, non ?

-       Oui. Il a une patience infinie avec moi et il m’aime. Mais lui parler de ça, Blue, c’est trop la honte !

-       C’est certain que ça n’est pas facile, mais vous vivez ensemble de puis plus de trente ans, vous vous connaissez bien l’un et l’autre et il ne t’a jamais laissé tomber. Il doit bien sentir que tu souffres et doit avoir envie de t’aider sauf qu’il ne sait pas par quel bout prendre le problème, tu ne crois pas ?

-       Si, tout à fait, je vois bien qu’Alain cherche à m’aider, mais je n’arrive pas à lui parler de ces démons qui me démangent, tu sais... comment tu dis déjà... ce Hyde en moi !

-       Tu peux le faire. Tu peux intervenir. Quand changer te fera moins peur que souffrir…

Anne prend un café gourmand. Elle boit le café et je mange la mousse au spéculoos, le mini-tiramisu et la barre de chocolat. Je suis obligée d’écourter notre conversation, l ‘heure tourne et je ne peux me permettre d’être en retard une deuxième fois. D’un commun accord on se donne rendez-vous la semaine prochaine, même endroit, même heure. Elle me serre dans ses bras, je la réconforte. On dirait un moineau crevé tant elle est maigrichonne. On s’embrasse et on se quitte sur le trottoir. Je retourne à ma base, le cœur un peu défait...